jeudi 30 octobre 2008

Vincent Delerm - (In)égal à lui-même

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De tous les artistes qui explosèrent dans son sillage à l’aube des années 2000, Vincent Delerm est sans doute celui qui s’en est le mieux tiré – en tout cas celui qui fut le plus malin et le plus avisé au moment de donner une suite discographique à un premier album au succès inattendu. Evitant les pièges de la néo-variétisation à force de plateaux télés, restant planqué chez un indépendant à la crédibilité jamais remise en cause (Tôt Ou Tard) plutôt que d’aller se perdre chez Universal, Delerm a réussi l’improbable tour de force d’affiner son image en même temps que sa musique – ce qui n’est pas si courant que cela. Jusqu’à donner le coup de grâce (ou ce qui aurait dû l’être) avec un album superbe, les Piqûres d’araignées, où celui dont on devinait depuis longtemps qu’il se sentait nettement plus proche d’un Biolay que d’un Bénabar ou d’un Cali s’affirmait contre toute attente comme un musicien exceptionnel, capable de se renouveler, de prendre des risques, de jouer le contre-pied, d’aérer son écriture et même, incroyable mais vrai, de PRODUIRE un album… bref tout ce qu’en général, soyons réalistes une seconde, les Français ne savent pas faire et n’essaient même jamais de faire, écrasés qu’ils sont par l’héritage d’une chanson française de tous temps (qu’on écoute attentivement les meilleurs albums de Brel pour s’en convaincre) plus encline à soigner ses textes qu’à jouer de la musique.

Ce disque aérien et chatoyant sous le bras voilà que Vincent Delerm, en qui dans le meilleur des cas on voyait le nouveau Souchon, s’imposait comme un artiste résolument plus pop que chanson française… las : parmi ses (innombrables) détracteurs, combien ont réellement pris la peine d’écouter les Piqûres d’araignées, ses "Sepia plein les doigts" et autres "A Naples il y a peu d’endroits où s’assoir ?" Bien trop peu – les préjugés étant par essence tenaces.

C’est dire si l’on était impatient d’entendre la suite et de s’en repaître sans rougir pour mieux courir écrire un long article à la gloire d’un artiste injustement méprisé des esthètes… et c’est dire si l’on est embarrassé de voir Vincent se prendre ainsi les pieds dans le tapis, retombant sans crier gare dans tous les travers Swingin’ London du pauvre de sa période Kensington Square. On ignore ce qui s’est passé, mais voici que Delerm se retrouve exactement dans la situation de 2004, proposant un album très similaire à son deuxième et décevant opus… c’est à dire écartelé entre la chanson traditionnelle et la pop anglo-saxonne, déchiré entre deux univers totalement antagonistes ne parvenant jamais à s’accoupler pour accoucher d’un album réellement cohérent.


Aussi après s’être ouvert de manière trompeusement exceptionnelle (sur une intro rappelant le Gainsbourg jazz enchainée avec deux grandes chansons : "Tous les acteurs s’appellent Terrence" et "Allan & Louise"), Quinze chansons s’enfonce-t-il progressivement dans une torpeur de plus en plus ennuyeuse – entre scies bassinantes ("Martin Parr") et redites sympathiques mais par définition dispensables ("Je pense à toi", "Et François de Roubaix dans le dos"…). Oubliée la délicatesse confinant à la grâce de cette "Favourite Song" qui nous avait enchantés il y a deux ans ; le Delerm millésime 2008 ressemble si souvent à la caricature que ses détracteurs font de lui qu’il en devient franchement déprimant, ici chantant faux des textes parfois d’une rare pauvreté ("78 543 habitants"), là empilant les clichés (sur la société… et surtout sur lui-même) ("Le Cœur des volleyeuses"…) et sur-arrangeant des titres qui auraient probablement gagnés à plus de dénuement. Difficile de s’expliquer une telle régression – car c’en est une ! – tant la mue d’il y a deux ans laissait présager le meilleur, et certains ne manqueront pas d’imaginer les thèses les plus farfelues, la plus rigolote m’ayant été livrée par ma sœur : c’est celle d’un Delerm vexé que certains bougons aient attribué la flamboyante réussite des Piqûres d’araignées au seul Peter Von Poehl (effectivement omniprésent sur le cru 2006) et qui aurait repris les rênes pour s’affirmer pleinement… thèse bien entendu hilarante, car si tel était le cas (on en doute) c’est exactement l’effet inverse qui se produit : on passe beaucoup de temps à regretter que le Suédois ne soit pas plus présent sur Quinze chansons !

Un Quinze chansons qui, on l’aura compris, ne soutient donc pas une seconde la comparaison avec les Piqûres d’araignées… pas plus qu’avec le premier album éponyme (2002), hélas. Car si encore Vincent Delerm s’était contenté de décliner habilement une formule ayant fait ses preuves, sans doute les amateurs l’ayant suivi au gré des modes auraient-ils baillé, mais au moins aurait-on pu lui accoler la sentence qu’on accole volontiers à un Souchon ou à Voulzy : « Bof, c’est du Delerm, c’est toujours un peu pareil mais c’est bien, quand même. » Là, il donne surtout l’impression de ne plus savoir à quel saint se vouer, sautant de pop en jazz et de jazz en chanson, oscillant entre l’excellent (les deux premiers titres, donc, le single "Un temps pour tout", ou le vivifiant "Un tacle de Patrick Vieira n’est pas une truite en chocolat"), l’anecdotique ("Monterey" ou "Dans tes bras", déjà entendus dix fois sur ses autres disques) ou le franchement mauvais ("North Avenue", "Shea Stadium", et encore et toujours "78 543 habitants" – décidément insupportable). Très court en terme de durée (une grosse demi-heure) mais beaucoup trop long en nombre de morceaux, Quinze chansons aurait pourtant pu être un disque valable s’il avait été réduit à ses quelques fulgurances… c’est à dire à un EP cinq titres, tout au plus. En l’état il évoque au mieux une compile bancale… au pire un véritable gâchis dont les meilleurs moments sont étouffés par des chansons à la limite du remplissage.

Bref : si les fans aimeront à coup sûr (il y a ici autant de noms de propres que de mélancolie), l’auditeur de passage aura lui de grandes chances de décrocher à la moité. Qui est vraiment Vincent Delerm, de l’artiste sensible et fantaisiste des Piqûres d’araignées ou de la fatigante icône pour lecteurs de Télérama ? A cette question retorse, Quinze chansons n’apportera aucune réponse. Il n’apportera même rien, du tout… si ce n’est de l’eau au moulin des détracteurs de son auteur…


👎 Quinze chansons 
Vincent Delerm | Tôt ou Tard, 2008