jeudi 27 décembre 2007

La Pharisienne - Statut de la Commandeuse

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Difficile de résumer un livre si complexe... oui, car une fois n'est pas coutume, ce livre de Mauriac-ci est un livre gigogne, avec une histoire à tiroirs, une multitude de personnages (d'ailleurs je m'interroge : est-ce bien un livre de Mauriac ?)... Disons qu'en gros, c'est l'histoire de Brigitte Pian narrée par son beau-fils. Brigitte Pian qui sans doute aimerait se faire appeler Brigitte Pieuse tant, au nom du Seigneur, elle s'investit dans le devenir des gens qui l'entourent, au point de les étouffer... Toute la complexité du livre vient de ce qu'il nous est narré par le regard d'un enfant qui, devenu adulte, essaie de raconter cette enfance marquée par le personnage si charismatique et omniprésent de Brigitte, seconde épouse de son père qui semble tant vouloir prendre soin des ses beaux-enfants.

Autant le dire, ce roman est une réussite totale : Mauriac a donné à l'histoire un côté éclaté, fragmenté, comme de vrais souvenirs d'enfance, comme si le narrateur parvenait difficilement à se rappeler les choses dans l'ordre où elles se sont déroulées et surtout comme si le narrateur lui-même n'avait pas conscience que le personnage central du livre n'était pas lui-même, mais Brigitte. Je ne reviendrai pas sur le style coup de poing de Mauriac (largement évoqué dans d’autres critiques), encore plus efficace lorsqu'il est mis au service d'une véritable intrigue. En revanche, ce roman d'apparence classique et qui revêt parfois un côté désuet (paradoxalement il fait plus vieux que ses romans de l'Entre-deux-guerres) pose des questions d'autant plus troublantes qu'elles ont leur propre résonance dans notre époque : doit-on faire le bien d'autrui contre son gré ? Les actes désintéressés existent-ils réellement ? Peut-on tout se permettre au nom de Dieu ?

Je n'en dirais pas plus de peur de déflorer l'intrigue, sinon que le personnage de Brigitte est peint avec génie : d'abord effleuré, il s'impose de plus en plus au fil des pages, puis se dévoile... et enfin se délite presqu'aussi vite après un climax incroyable (manière de figurer le retour à la poussière ?).

Mais ce livre m'a troublé, à plus forte raison parce les interrogations suscitées émanent de Mauriac, catholique fervent, auteur moraliste glissant souvent vers le propos moralisateur, et généralement considéré comme particulièrement conservateur, sinon réac. Autre raison de mon trouble : je me suis dit qu'après Thérèse Desqueyroux, après la mère castratrice de Génitrix , après la jeune arriviste de Préséances et la fausse vierge du Baiser au lépreux (autres relectures à venir), ça faisait quand même beaucoup de portraits de femmes atroces et/ou terrifiantes dans l'oeuvre d'un seul auteur. Une misogynie latente ? Je ne sais pas... je ne suis pas sûr, et visiblement on lui a fait des tas de critiques mais jamais celle-ci... en tout cas quelles femmes tout de même ! Aussi terrifiantes qu’irrésistibles – on aurait presque froid dans le dos.

On a souvent tendance à réduire Mauriac à ses livres des années 20, pas forcément à tort d’ailleurs. Mais s'il y a au moins un de ses livres postérieurs à cette période qu'il faut absolument lire, c'est La Pharisienne - un sacré chef-d’œuvre.


👑 La Pharisienne 
François Mauriac | Grasset "Les Cahiers rouges", 1941