mercredi 11 septembre 2013

Un son tamisé, plutôt qu'une lumière.

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°109]
Trust - Low (2002)

Il y a certains disques que l'on n'écoute pas : on préfère s'y réfugier - s'y pelotonner en attendant des jours meilleurs. C'est cet effet que m'a toujours fait Trust, dont le titre lui-même invitait à se poser instant. Un album sombre, pourtant. Mais pas sombre comme d'autres. Pas inquiétant. Pas stressant. Un album sombre parce que la vie n'est pas marrante, et que pour autant, il faut bien en faire quelque chose. Nous sommes bien là pour une raison, même si aucun de nous n'a la moindre idée du pourquoi du comment. La noirceur de Low est ainsi : elle interroge, elle interpelle. Elle ne cherche pas à écraser. La noirceur de Low n'en est pas une : c'est une grisaille. Celle de Duluth, peut-être, dont est originaire le groupe. Une ville moyenne, dans un coin moyen, dont seul le lac voisin est supérieur à quelque chose (mais on n'a jamais su quoi).

Avant ce disque, je crois que je n'avais jamais vraiment fait attention à Low. Je trouvais le groupe un peu joli et très chiant (ou le contraire, selon les jours et des albums fichtrement inégaux). Je le connaissais mais il ne m'inspirait pas grand-chose, sinon le respect qu'on a toujours pour les gens qui sont prêts à mourir avec leurs idées plutôt de policer leur ton (son). Je découvrais chaque LP avec un an de retard, parfois deux, et cela m'allait très bien ainsi. A vrai dire je ne me rappelle pas exactement comment j'ai découvert celui-ci et j'en suis content. Certains disques restent scotchés à des époques, des souvenirs, des gens. Celui-ci a traversé le temps et m'accompagne encore. C'est un de ceux que j'écoute le plus souvent aujourd'hui. Avec toujours ce sentiment un peu désuet de recueillement, ce qui n'est jamais que le minimum pour un album s'ouvrant sur "(That's How You Sing) Amazing Grace". Un truc mystique à sa manière, même si le mot God n'est jamais prononcé et s'il semble - en apparence - osciller entre nouvelles musicales mélancolique et introspection... mélancolique, aussi. On pourrait dire cela de n'importe quel disque du groupe, sans aucun doute. Pourtant aucun autre n'a su me cueillir ainsi, ni avant ni après. Trust possède quelque chose que la plupart de disques de Low n'ont pas - ou seulement par intermittence : un vrai groove, que je ne retrouve nulle part ailleurs dans leur discographie. Bien sûr vous ne le lirez à peu près jamais ailleurs : même certains grands fanatiques de musique n'ont qu'une idée très vague de ce qu'est le groove, qu'ils associeront plus volontiers à une musique plus joviale ou énergique. Ce n'est pas cela, le groove. C'est une sensation. De fluidité. D'évidence. Le groove c'est le blues : ce sont des notes qui dégoulinent, qui prolongent le toucher de l'instrumentiste et confèrent au son une dimension charnelle incomparable. On ne peut jamais exactement définir le groove, en tout cas non sans mal, mais lorsqu'il est là on le sent. Rien qu'à la manière dont on secouera la tête. Le groove n'existe quasiment plus dans le rock contemporain, et je passe la moitié de l'année à le regretter. On l'a remplacé par la technique, ce truc qui ne vaut rien, qui ne sert à rien, qui est quasiment le contraire du rock'n'roll. Oui, Trust a un groove formidable. Particulier, parce que lent et pour le moins ténébreux. Ça ne le rend que plus estimable.

Je crois qu'il faut remonter à ma première dépression nerveuse pour trouver l'époque où j'ai réellement commencé à écouter Trust en boucle - ce qui n'est vraiment pas rendre hommage à une œuvre aussi douce et profonde. Alors que les médicaments m'écrabouillaient les synapses et qu'il était hors de question de même essayer de regarder un film ou de lire un livre avant de dormir, j'avais pris l'habitude de mettre ce disque sur la platine presque chaque fois que j'allais au lit, et de laisser le son dense et les pulsations faire corps avec le Théralène pour m'attirer vers le sommeil. Sans doute les rythmes engourdit des "Candy Girl" et autres "John Prine" collaient-ils parfaitement à l'engourdissement progressif de mes sens dans ces moments-là. Un son tamisé plutôt qu'une lumière, ça m'allait bien. Le groupe s'appelait Low, après tout. Je me réveillais presque chaque fois environ une demi-heure plus tard, lorsque s'enthousiasmait "La La La Song", titre dont l'aspect guilleret me tirait instinctivement du sommeil. Je me levais dans un état de demi-somnolence. Éteignait le poste. Puis la lumière. Puis ma conscience. Je n'atteignais jamais la piste douze, ce qui était sans doute mieux ainsi. Parce que la piste douze, c'était "Point of Disgust". Numéro un du top 1 de la chanson que je ne peux pas écouter tant elle me transperce.

"Point of Disgust", c'est la mort. Le vertige. C'est rien. Je crois qu'en fait, c'est une chanson d'amour déçue. Ce n'est pas ce qu'elle exprime et ce n'est pas ainsi qu'elle sonne. Avec sa voix blanche, son martellement de piano, son minimaliste exacerbé, elle évoque - que ce soit voulu ou non - le Vide. Dans ce qu'il a de plus béant et de plus inéluctable. "Point of Digust" n'est peut-être pas une chanson sur le suicide, mais elle l'incarne avec une douceur quasi insoutenable. Le texte est résigné, la voix est dépourvue du plus petit début de conviction, et le piano, encore... jamais je crois la pulsion suicidaire ne m'a paru si vraie, si crue que dans ce morceau qui se donne pourtant des airs de ballade doucereuse. Chaque fois que je l'entends, j'imagine une danse lente, apprêtée, au bord du gouffre. Je n'ai jamais compris ce que cette chanson faisait là. Elle casse totalement la dynamique de cet album pieux, retenu. Elle est son principal défaut, tout en étant dans le même temps ma préférée du disque (et du groupe). L'album tout entier paraît avancer vers la lumière et soudain, sans prévenir, Low éteint tout. C'est peut-être volontaire. "Point of Disgust" casse la langueur ambiante, d'un coup, sans prévenir, pour la remplacer par une torpeur étrange et envoûtante. Bien vu - ou mal, selon mon humeur. Il n'y a pas ce fameux groove, ici, et c'est bien normal : la haine de soi ne groove. Le blanc insondable de la pulsion suicidaire n'est pas quelque chose de cool et charnel. C'est un sentiment lourd et irrépressible. Il aurait fallu conclure autrement, "Shots & Ladders", l'un des morceaux les plus faibles de l'album (paradoxalement très apprécié de ses fans), n'étant pas à la hauteur pour redonner un peu de sens au chaos. Le résultat des courses, c'est que je n'écoute quasiment jamais ma chanson préférée de ce groupe que j'adore lorsque j'écoute mon album préféré de ce groupe que j'ai fini par considérer comme un des mes préférés. Vous ne me suivez pas ? Ce n'est pas grave. C'est quand même ma rubrique à moi (et rien qu'à moi). Plus que n'importe quelle autre ici.



Trois autres disques pour découvrir Low :

I Could Live in Hope (1994)
Things We Lost in the Fire (2001)
Drums & Guns (2006)

7 commentaires:

  1. Super article!
    moi le mien c'est the Long Division.

    mais je crois que je ne connais pas Trust. Pas encore....

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    1. Trust n'est pas le plus connu. Je suis toujours étonné, mais il a dû passer assez inaperçu à l'époque car chaque fois que j'en parle, on me répond à peu près la même chose...

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  2. Je ne t'apprendrai rien en disant que c'est sans doute mon groupe en activité préféré (parce que les Cure ont splitté il y a 20 ans, hein ?) et que c'est un de leurs albums que j'aime le moins (le groove sans doute :-)). Mais quel bon billet !

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    1. Je te remercie. Un compliment de toi sur Low, ça vaut un Pulitzer ;)

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  3. Bonjour,

    fan de musique, de foot et de séries, je me réfugie souvent sur ton blog pour y découvrir plein de bonnes choses.
    Content que tu connaisse et apprécie LOW (dans mon top ten best band ever).
    Pour moi, cet album est très bon mais c'est à partir de ce dernier qu'ils ont cessé d'être des génies.
    Rends toi service et redonne une chance à "You could live in hope", "Secret Name", "Christmas" (je me le repasse à chaque Noel...) et surtout à l'album précédent ce "trust", l'immense, l'indépassable "the things we lost in fire".
    Même le titre ne peut laisser indifférent...

    Amicalement,

    Dale C.

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    1. Oh, je n'ai pas besoin de leur redonner "une chance" tu sais ; dans l'article je dis ce que j'en pensais avant de bloquer sur Trust et de me mettre à écouter Low "pour de vrai" (si j'ose dire). J'adore tous ces albums et les connais par cœur :-)

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  4. Moi non plus, j'ai jamais beaucoup aimé cet album (mais je crois que tous les fans de la première heure pense pareil). D'ailleurs je l'écoute jamais. Par contre Point of Disgust...oui, oui.

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