vendredi 24 octobre 2008

Sonic Youth - Acid Rock

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Pour son retour après quelques semaines de vacances forcées (pour cause de Rock'n'Roll Hall of Shame), la rubrique Rétro se présente aujourd'hui dans son plus simple appareil - victime collatérale malheureuse de l'autodestruction de mon vieux PC portable. Celui-là même qui renfermait toutes les précieuses « chroniques à chaud » ponctuellement exhumées depuis un an, et qui parfois nous firent bien rire. Une bien triste nouvelle puisqu'elle signifie qu'à moins d'une récupération de données pour l'instant très conditionnelle cette rubrique sera amenée à disparaître des colonnes du Golb. Après ce numéro un peu branlant, puisque comme vous le savez sûrement... du côté de chez Rétro les chroniques « contemporaines » sont écrites avant d'avoir jeté un coup d'œil à la première mouture... soit donc le cas échéant avant de voir que le disque dur a grillé et qu'on a perdu ses trois premiers romans qui n'étaient pas très bons mais auxquels on était attaché (c'est La Pléiade qui va faire la gueule en apprenant ça).


De ce que j'écrivais de Murray Street en 2002 je ne me souviens plus très bien, mais je garde en revanche en mémoire une belle unanimité entourant cet album d'un groupe que je n'écoutais plus que d'une oreille distraite depuis Washing Machine ... unanimité sujette à caution dans la mesure où :

1. à l'époque je ne lisais pas les blogs ni rien sur le Net, juste une presse traditionnellement peu encline à casser les new-yorkais cultes, tolérante jusque dans leurs excès et susceptible de mettre la note maximale aux Silver Sessions... sans doute intéressantes mais assurément pas indispensables et carrément inaudibles pour le commun des auditeurs

2. j'étais de loin le plus pointu parmi mes rares amis, ce qui me conférait quand même une certaine main mise sur le concept d'unanimité accolé au nom du Groupe Pointu par Excellence ; eh oui, à peine vingt-et-un ans et déjà snob - ça promettait, hein ?

Six ans et deux albums réjouissants plus tard (Sonic Nurse et surtout Rather Ripped, le Sonic Youth le plus enthousiasmant qu'il m'ait été donné d'entendre depuis Goo) je suis forcément curieux de savoir ce qu'en pensa alors un KMS ou un G.T., sans doute bien plus éclairés que je ne l'étais à l'époque... tout en conservant je dois le dire un coupable penchant pour ce Murray Street - sans doute parce qu'il m'évoque plus qu'aucun autre album de SY l'un des mes groupes favoris : Television. C'est en effet le nom du combo de Tom Verlaine & Richard Lloyd qui vient en premier à l'esprit quand s'emballe « The Empty Page », morceau inaugural transcendé par la basse fracassée d'un Jim O'Rourke dont c'est le baptême du feu en tant que membre « officiel » du groupe (il figurait déjà au générique de l'album précédent). Rourke dont on ne sait d'ailleurs pas vraiment ce qu'il fait la plupart du temps, aucune importance : les trois albums (seulement) de Sonic Youth avec lui ont une couleur tout à fait particulière, celui-ci donnant l'impression de répondre par l'épure au NYC Ghost & Flowers apocalyptique qui l'avait précédé deux ans plus tôt.

Épure, oui, et non pop comme on le dit à l'époque... comme on le dit en fait à chaque fois que Sonic Youth tente un album un peu plus mélodique que les autres, conférant au collectif emmené par Thurston Moore une schizophrénie complètement artificielle largement relayée par des médias obligés au raccourci comme par certains fans poussant très loin l'élitisme. Comment en effet ne pas rire lorsqu'on lit (y compris sous ma plume, car comme beaucoup d'autres j'ai parfois commis cette simplification) des choses aussi farfelues que Depuis toujours, Sonic Youth est écartelé entre sa face pop et sa face expérimentale, ou il oscille constamment entre laboratoire art-noise et rock pour majors (celle-ci vient de Pitchfork, pourtant un site de référence)... ? Car où est la pop chez Sonic Youth et où donc se cache le rock mainstream ? Vite : qu'on me sorte les extraits incriminés pour en discuter de toute urgence. Même dans son versant le plus simple (l'axe Goo - Dirty - Washing Machine - Rather Ripped) Sonic Youth demeure un groupe de rock relativement abrupte, peu enclin à la mélodie et dont les vocaux dissonnants ne passeraient pas en radio même s'ils reprenaient fidèlement du ColdPlay. C'est flagrant sur Murray Street, album pourtant réputé comme appartenant à leurs productions accessibles... passez l'excellente « Disconnection Notice » à un amateur de pop non averti si vous voulez vérifier : il y a peu de chances pour qu'il saute au plafond et se mette à danser (ou alors dans une danse névrotique parce qu'il a gobé un acide).

Épure, disions-nous... en ceci que Murray Street offre une production très aérée pour du Sonic Youth, un son clair très éloigné de tout ce que Moore & Co. avaient produits jusqu'alors. Bizarrement, l'album dont il se rapproche le plus soniquement parlant est peut-être Dirty - en moins abrasif et en plus progressif. Le meilleur exemple de cela est la pièce montée centrale, « Karen Revisited », qui accuse certes ses onze minutes au compteur... mais demeure un morceau assez limpide, plus planant que vraiment déstructuré, plus Bad Moon Rising que Draydream Nation... plus Verlaine période Dreamtime que Television, en fait. Aérée également, cette construction habile reléguant aux deux dernières plages une Kim Gordon dont le chant, ailleurs un peu trop systématique, est ici merveilleusement utilisé : lorsque retenti le féroce « Plastic Sun » c'est littéralement d'un grand coup derrière la calebasse qu'il s'agit, introduction proto-punk idéale au second morceau de bravoure du disque - « Sympathy for the Strawberry ». Typiquement sonicyouthien dans sa montée en puissance, il conclut l'album sur une notre plus sombre et achèvera de convaincre l'auditeur le plus réfractaire : Murray Street est sans doute un des albums les plus cohérents que Sonic Youth ait jamais publiés, crossover idéal entre toutes les facettes d'un groupe à la palette inépuisable. Ni trop accessible ni trop ardu, il revêt par moment des airs d'introduction idéale au légendaire combo new-yorkais, suffisamment alambiqué pour ne pas froisser des fans parmi les plus exigeants disponibles sur le marché du fan, suffisamment agréable à écouter pour séduire un auditeur peut-être plus réfractaire au Sonic Youth le plus adulé des esthètes (celui des cinq glorieuses - 1985-90). Et s'il ne se hisse pas au niveau d'un Sister ni d'un Goo, nul doute qu'il rivalise haut la main avec un Dirty - ce qui vu la qualité de ce dernier est déjà assez fort pour être souligné.


👍👍👍 Murray Street 
Sonic Youth | Geffen, 2002

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