vendredi 5 octobre 2007

Philip Roth - With a Little Help From My Friends

...
Il est bien rare qu’on lise cette expression sur Le Golb, alors savourons-la tous ensemble : ce livre est un immense coup de cœur. Un petit ouvrage fascinant qui devrait être remboursé par la Sécurité Sociale des Amoureux de la Littérature (ça n’existe pas, soit – mais ça devrait). D’ordinaire je déteste ce genre de bouquins aux accents de compilation. Je hais le zapping, ne fussent mes obligations professionnelles je n’y aurais sans doute jamais accordé la moindre attention. J’aurais eu tort.


Shop Talk se présente comme un petit recueil de conversations entre Philip Roth et ses copains écrivains. On nous explique en quatrième de couverture qu’ils vont parler de leur boulot et de leurs œuvres. On baille. Ecouter un écrivain parler de son œuvre peut rapidement devenir soporifique même si on la connaît par cœur et qu’on l’adore… alors écouter des écrivains qu’on ne connaît fatalement pas tous très bien faire de même ?...

Seulement voilà : dans Shop Talk, on ne parle pas tellement de littérature. Un peu, forcément, mais plutôt comme d’un dommage collatéral, parce que pour ces gens-là tous se tient. Tout le temps. La littérature fait pour eux partie du monde de manière aussi concrète et vitale que l’eau ou le feu. Et au-delà de la littérature : la pensée. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’être expert de ces écrivains pour apprécier l’ouvrage. Au contraire, celui qui m’a le plus captivé est Ivan Klima… seul de la bande dont je n’ai jamais rien lu.

Inutile de rappeler que beaucoup de choses séparent Roth de Levi, Appelfeld de Klima, Singer de Kundera et O’Brien des six autres. Leurs livres n’ont que peu de points de communs, leurs histoires ne se ressemblent pas, et pourtant ils forment une curieuse famille. Celle, littéraire et affective, de Philip Roth. Une famille exclusivement européenne et obsédée par Kafka, la marche du monde, le sexe et le rire comme mode de pensée universel. Ils sont tous les sept monumentalement cultivés et monumentalement sympathiques, drôles, ouverts. On les verrait volontiers tous ensemble attablés autour d’un bon dîner, à disserter sur la vie et la mort et l’amour, à trinquer à la santé de Joseph K. et à s’envoyer des vannes (genre Klima qui balancerait goguenard à Kundera : Bah dis donc Milan, on dirait que t’as mieux mangé que moi ces vingt dernières années ?). Ils ont une manière bien à eux (et probablement involontaire) de parler de choses absolument atroces (des déportations, des guerres, des drames en tout genre) avec calme et sérénité – simplicité aussi. Le lecteur, et plus spécialement le lecteur français, en sera enchanté : enfin des gens capables de nous réconcilier avec la figure de l’intellectuel ! A côté de ces caricatures d’intellos français contemporains et de leurs parodies de débats, ces gens font du bien. Modestes et brillants, se souciant plus de l’humain que des grandes idéologies, ils attirent la sympathie en disant des choses plus qu’importantes sans jamais se montrer pompeux ou cérébraux. Primo Levi réussit à rire de la déportation, se défend d’avoir commis de la littérature (« Mon style, c’est le rapport hebdomadaire d’usage courant dans les usines »), s’amuse de ce que Roth le voit plus comme un artiste de la science que comme un scientifique de l’art. Appelfeld salue le génie de Kafka, capable de décrire son environnement, à lui Aharon, sans jamais y avoir foutu les pieds. Klima expose des choses passionnantes sur l’Ancien Régime tchèque, les éditions sous le manteau, les auteurs officiels cherchant à garder un semblant d’intégrité créative. Kundera balance une anecdote absolument monstrueuse sur Eluard, se lâche comme jamais à propos de la poésie totalitaire, puis termine dans un grand éclat de rire…

De la littérature, donc, mais aussi de l’histoire, de la politique, de l’humanité. Et Roth recueille tout ça, patient, bavard mais sans jamais tirer la couverture à lui. Dans ses analyses autant que dans sa manière de faire parler ses collègues, il se montre infiniment délicat et remarquablement pédagogue. Seuls les entretiens avec Isaac Bashevis Singer et Edna O’Brien s’avèrent un peu décevants, parce que ciblés sur des thématiques précises et donnant plus l’impression d’interviews que de discussions. Mais même dans ceux-ci, une espèce de soif de vivre pointe le bout de son nez. Avec, encore et toujours, le rire. Sans doute, si nos auteurs avaient pu se concerter, auraient-ils tous faits leur la maxime de Kundera : "Le sens de l’humour est le meilleur des signes de reconnaissance. Je suis terrifié à l’idée d’un monde qui aurait perdu son sens de l’humour".


👍👍👍 Shop Talk [Parlons travail] 
Philip Roth | Hanser, 2001

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Si vous n'avez pas de compte blogger, choisir l'option NOM/URL et remplir les champs adéquats (ce n'est pas très clair, il faut le reconnaître).