vendredi 5 octobre 2007

Quelque chose de la pureté

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°74]
Stardust - Willie Nelson (1974)

Celui-ci mérite sans doute d’être un peu plus largement présenté que d’autres. Car si Willie Nelson est une légende, c’est bien sûr le cas partout sauf en France – pays dont on a coutume de dire qu’il est le moins rock du monde, mais qui s’avère également un sérieux prétendant au titre de terre la moins folk de la planète. D’ailleurs j’ai découvert Stardust par hasard, dans un bac à soldes, et l’ai acheté pour sa pochette. C’est vous dire la faillite de la pédagogie musicale dans ce pays.

A la décharge de nos compatriotes cependant, il faut rappeler qu’ils ont déjà une scène country-pop dont ils sont très fiers, tellement fiers qu’ils l’appellent cocoricottement Chanson Française – genre il y a la Chanson Française et la variétoche des autres. Bon, dans les faits, quand on compare la production chanson hexagonale avec la chanson allemande ou la chanson espagnole, c’est rarement plus glorieux – mais ne soyons pas salauds. Les Français ont de bonnes raisons de croire en l’omnipotence de la chanson française (certains croient même sincèrement que leurs artistes sont connus dans les pays anglo-saxons, mais si je vous jure : vous ignoriez que les Stones étaient pétrifiés à l’idée de partager l’affiche avec Johnny Hallyday ?), puisqu’ils ont eu il est vrai quelques génies. Tant pis si Brel était belge, Gainsbourg pop et Brassens blues. Pour le français de France, ils sont les fleurons de la Chanson Française, et c’est en leurs noms qu’on nous inflige Obispo, Cali et Raphaël.

Willie Nelson, de son côté, pratique la Chanson Américaine – également appelée country-music. Attention cependant : il est important de rappeler que la country ce n’est pas que Garth Brooks et les deux blaireaux qui butent Peter Fonda dans Easy Rider. Certes il est arrivé que Willie Nelson porte un chapeau de cowboy, néanmoins il a toujours eu la sagesse de ne pas confondre musique et rodéo, et très franchement je vous invite à poser une oreille sur ses disques tant votre opinion de la country pourrait en être radicalement transformée. L’autre crétin redneck de Brooks (ainsi que ses nombreux clones) ne font pas de la country, non monsieur non madame. Ils jouent un genre musical bâtard, une espèce d’excroissance vérolée et réactionnaire baptisée country & western – ce simple nom suffira je pense à vous renseigner à son sujet… de même qu’il suffit à faire frissonner n’importe quel amateur de country-sans-western à travers la planète. Pour revenir à ce que nous disions un peu plus haut et pour clore sur le sujet, on peut considérer que la country & western est à la country ce qu’Obispo est à la chanson française. De la soupe, quoi. De la variétoche bas de gamme et bas de plafond qui aurait tout juste sa place au concours de l’Eurovision (et encore).


Tout ceci n’a qu’un rapport lointain avec l’album qui nous intéresse aujourd’hui, et pour cause : sur Stardust Willie Nelson ne joue pas de country. Il y a bien un harmonica qui traîne au milieu d’Unchained Melody, mais la couleur musicale de l’ensemble serait plutôt jazz. Cela dit il fallait bien planter un peu le décor (country) avant d’introduire le bonhomme (Nelson) puis le disque (Stardust). Ça s’appelle aller du général au particulier, exercice vaguement fastidieux que je m’épargne bien entendu lorsque l’artiste a vendu quelques disques par chez nous.

Nelson, donc, est une légende de la country, mais une légende en creux. A la manière de gens bien d’cheu nous comme Moustaki ou Sheller, il a participé à la légende de loin, en écrivant pour les autres, avant de réellement fédérer sur son seul nom. Et donc, à l’instar de Moustaki ou Sheller, on a souvent tendance à l’associer non pas à son mouvement d’origine, mais au revival de ce mouvement.

Ainsi donc Nelson écrivit quelques uns des plus grands classiques de la country (tapez sur n’importe quel site musical « Night Life » ou « Funny How Time Slips Away », vous verrez que vous connaissez ces chansons interprétées par d’autres que l’histoire a d’ailleurs fort justement oubliés) mais ne connut vraiment le succès qu’au milieu des années soixante-dix, en plein pendant le premier revival country initié par Gram Parsons et quelques autres. Un genre de retour de bâton exquis qui permit en son temps à l’un des plus grands songwriter du vingtième siècle de connaître la gloire, au gré d’albums aussi somptueux que Shotgun Willie ou Red Headed Stranger – auréolés à juste titre d’autant d’étoiles que de disques de platine.

Le succès était enfin là lorsque Willie, contre tout attente et en dépit de toute logique commerciale, décida d’élargir sa palette au lieu de la réduire à la seule country qui fit de lui une star. Rétrospectivement grand bien lui en prit : c’est ce qui fait qu’on écoute encore aujourd’hui ses disques quand ceux de ses rivaux de l’époque donnent l’impression de dater de l’ère préhistorique.

Uniquement composé de reprises archi-rebattues, Stardust s’inscrit dans la lignée de ces albums aussi souvent grandioses (One for the Road) que totalement foutraques (The Sound in Your Mind). Sur le papier ce chef-d’œuvre n’a franchement rien d’alléchant, et je comprendrais très bien que l’idée d’entendre une soixante-dixième version de « Someone Watch over Me » et une deux-mille-six-cent-soixante-douzième ré-interprétation d'« All of Me » ne vous enchante pas plus que ça. Vous auriez cependant tort de ne pas vous y atteler, car c’est précisément d’enchantement qu’il s’agit ici.

Il n’y a que dix titres sur cet album, mais chacun est d’une beauté à couper le souffle. Avec des arrangements minimalistes, un son cotonneux et une énorme pincée de créativité, Nelson est parvenu à littéralement transfigurer chacune des compositions auxquelles il s’est attaqué. C’est particulièrement flagrant sur « Georgia on My Mind », chanson reprise à peu près autant de fois qu’il y a de jazzeux dans le monde, mais qui n’a jamais aussi bien sonné qu’entre les cordes vocales de Willie – même pas chez Ray Charles. Il n’existe sans doute aucun mot assez fort pour reproduire l’émotion à fleur de peau qui s’en dégage… disons que c’est ce qui se rapproche le plus de l’idée que je me fais de la pureté…

PURE, voilà un titre qui aurait parfaitement convenu d’ailleurs ! Car si « Georgia » justifierait à elle seule l’achat de Stardust, il faut bien voir que les neufs autres sont du même acabit. « September Song » est irrésistible, « On the Sunny Wild Street » est sublime… quant à « Blue Skies », si elle n’avait pas été si apaisante elle aurait sans doute déclenché une vague de suicides chez les fans de Lionel Ritchie. De quoi enfin réconcilier les fans de rock, de country, de jazz et de soul… les faire taire, le temps de trente-sept petites minutes… les laisser rendre les armes devant la Beauté d’une prodigieuse ode à la vie. Si jamais il a existé une musique capable de mettre fin à des guerres, c’est assurément celle-ci. Et c’est quand même un chouette boulot, ça, d’apaiser les gens, de les rendre heureux, de les réchauffer… vous ne croyez pas ?



Trois autres disques pour découvrir Willie Nelson :

The Party's over & Other Great Willie Nelson Songs (1967)
Shotgun Willie (1973)
Spirit (1996)

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