dimanche 5 décembre 2010

Miam Monster Miam, un curieux personnage

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Curieux personnage que ce Miam Monster Miam, qui se prêtait il y a peu, et de bonne grâce, au périlleux exercice du Meeting… Un type assez simple, et gentil et affable. Dégageant une espèce de douceur bienveillante qui ne laisse pas insensible. Pour un peu, on oublierait presque que l’on s’adresse à l’un des producteurs les plus doués de sa génération (d’ailleurs bien plus jeune qu’on le pensait), songwriter de talent et patron du label le plus cool du monde (Freaksville). Miam Monster Miam entre plutôt dans la catégorie prestigieuses des copains universels. Non pas des gens qui seraient copains avec tout le monde (quelle horreur), mais des gens si profondément sympathiques que tout le monde aurait envie, immédiatement et comme par magie, de devenir copain avec eux.

En vrai, Miam Monster Miam s’appelle Benjamin Schoos. Mais plein de gens l’appellent Miam, depuis ce jour, quand il avait 17 ans, où il choisit de prendre le nom d’une de ses BDs. Un extra-terrestre y atterrissait en Belgique, et l’on veut bien convenir que l’univers de Benjamin a quelque chose d’extra-terrien. « C’était la période des soucoupes volantes en Belgique, chaque jour il y avait des gens qui avaient vu des soucoupes – le gouvernement avait même pensé faire un projet de loi pour le cas où les extra-terrestres arriveraient. » L’anecdote est si parfaitement belge que l’on y croit sans mal. Oui, parce qu’on a été prévenu avant : paraîtrait que Miam serait le roi du troisième degré. Du coup, on est arrivé un peu méfiant, bien décidé à ne pas gober tout ce qu’il nous raconterait. Peine perdue : le garçon nous narre des choses parfois surréalistes d’un air pince-sans-rire, au point qu’on ne sache jamais très bien s’il est sérieux ou non. Comme lorsqu’il nous révèle qu’il exerce régulièrement l’étonnante profession de ventriloque radiophonique, ou nous narre sa première rencontre avec Jacques Duvall (« On a été se tripoter avec quelques filles au bordel, boire quelques verres… »). Je vous ai dit que Miam Monster Miam était un curieux personnage ?


Un personnage (le terme est d’ailleurs mal choisi : ce garçon ne joue pas) qui a quelque chose de lunaire ; il n’en demeure pas moins l’un des artistes les plus intéressants qu’on puisse actuellement croiser sur la scène francophone. Dont l’univers, cartoonesque et foutraque, est aussi aisément reconnaissable que la musique qui l’illustre protéiforme. Puisqu’on en est à parler du bon vieux temps, c’est l’occasion ou jamais d’avouer que l’on connaît assez mal ses travaux pré-Soleil Noir (cinq albums, tout de même, avant cette merveille publiée en 2005), qui présentent la particularité d’être chantés en anglais. Une bizarrerie tant Miam se joue avec talent de la langue de Simenon. A écouter les disques à la file (la plupart sont sur deezer), on a presque envie de se dire que le changement de langue a provoqué le changement de direction musicale. Non ? « Sans doute le vocabulaire utilisé n’est-il pas le même . Maintenant, musicalement, je ne sais pas… avec Freaksville je dirais qu’on a quand même essayé de faire quelque chose qui serait la somme des influences qu’on avait tous dans le groupe. On ne se dit pas on va faire un album de tel type ou de telle chose ; un jour ça donne telle couleur… et voilà. Je pense que l’évolution elle est là aussi : il y a les gens avec qui je travaille, il y a une maturité, il y a un son, il y a… une démarche loin de ce que je faisais quand j’étais môme. A l’époque je faisais vraiment les disques seul, dans ma chambre, sur un quatre pistes, c’était extrêmement lo/fi et avec la noisy-pop, c’est un peu la source de mon adolescence. Jad Fair, Guided By Voices, les premiers disques de Swell… Grandaddy, Cat Power, Kramer, Trumans Water… et puis Ride aussi, bien sûr. Ce qui est étonnant c’est que j’aie pu travailler avec pas mal de ces gens-là par la suite. Là j’ai produit un morceau avec Mark Gardener, de Ride. Y a deux semaines j’étais avec Lætitia Sadier… pour moi c’était comme si je jouait avec Michael Jackson ! »

Quand d’autres s’en vanteraient, lui dit ça dans un baragouinage, précisant immédiatement qu’à l’époque de son adolescence, ces groupes étaient au top de la mode, comme s’il essayait de sous-entendre qu’à la grande époque, il n’aurait certainement pas pu les approcher aussi facilement. Certes. Quand on voit les auras médiatiques proches du néant d’un Jason Lytle (l’album d’Admiral Radley n’est même pas sorti chez nous) ou d’un Mark Gardener (dont le nom n’évoque sans doute plus grand-chose à la plupart des gens), il est évident que la mode a laissé des cicatrices. Mais c’est faire peu de cas d’une réalité beaucoup plus prosaïque : Miam est un musicien de talent doublé d’un formidable producteur. Et c’est sans aucun doute le projet Phantom qui l’illustre le mieux. Ou comment faire redécouvrir Marie France à un jeune public conquis, métamorphoser Jacques Duvall en bluesman ténébreux (ce qu’il a, certes, toujours été) ou faire brailler Lio sur une rythmique digne des Ramones. « En fait les Phantom à l’origine, c’était le projet de Duvall, le projet qui liait Freaksville, ses interprètes et lui. On l’a donc d’abord écrit pour lui. Et puis on invite souvent quelques personnes sur scène… comme ça se passe généralement bien en concert ils demandent parfois si on peut faire un truc en studio… et vu qu’on va vite en studio, quand d’autres passent trois jours sur un morceaux nous, dans le même temps, on a fait un album entier (rires) Donc après Jacques on l’a fait pour Marie-France, puis pour Lio… On les a tous envisagés de la même manière quel que soit le chanteur, sans changer d’un iota la démarche. On aurait pu faire Alain Chamfort, aussi, mais je crois qu’il n’était pas vraiment dans l’esprit. » Timing serré et conditions spartiates, en somme, qui créent une saine émulation. « Les gens ça les changent… ils vont dans un endroit qu’ils connaissent pas, ils sont loin de Paris, ça crée une ambiance très différente. »

Pochette Phantom Feat. Lio

Il faut dire qu’en Belgique, vu de chez nous, tout semble très différent. La plupart des artistes belges à qui l’on a posé la question ont eu beau nous dire que non non, pas du tout, c’est une simple vue de l’esprit… impossible, bizarrement, de se départir du sentiment qu’il y a de ce côté une effervescence bien supérieure à ce que l’on connaît chez nous. Que les groupes, et plus spécialement les groupes de rock, y trouvent plus facilement leur place. Donc leur public. « Peut-être le côté l’herbe est toujours plus verte ailleurs. Mais ce qui joue aussi, sans doute, c’est que la Belgique c’est tellement petit… c’est presque une scène locale. On n’a pas du tout la même pression. Ne pas avoir d’argent te laisse une liberté artistique énorme. C’est pas négatif, ce que je dis, hein : il y a un vrai public en Belgique. Mais bon, un disque d’or chez nous c’est quinze-mille exemplaires.1. Tu vends mille albums, t’es une vedette. » S’ensuit un petit délire d’un intérêt très limité pour le lecteur sur les calculs d’apothicaires définissant dans chaque pays le seuil du disque d’or, avant que Benjamin ne reprenne de plus belle : « Ce qu’il y a d’un peu bizarre en France, qui existe chez nous mais qui a été importé de chez vous, c’est la variété française. Les maisons de disques signent ça, ce qui n’existe pas dans les autres pays – en Belgique il n’y a pas de variété belge ! » Ah non ? Et Brel alors ? T’appelle ça comment ? « Brel j’en sais rien, mais vous pouvez le garder. Brel ça me casse les couilles, je déteste. Peut-être qu’après Ne me quitte pas il aurait fallu l’abattre. (rires) Non, désolé, je trouve ça vraiment nul. » Venant d’un citoyen d’un pays qui nous a déjà refilé, entre autres pépites, Johnny, Lara Fabian et Axelle Red (d’ailleurs si quelqu’un a des nouvelles de ces dernières…), on a du mal à ne pas rire. On proposerait bien de prendre Arno dans le pack. Et allez, Miam Monster Miam aussi – ne soyons pas chiens.

Puisque l’on s’apprête à se quitter sur un éclat de rire, impossible de manquer l’occasion, histoire de rassurer nos lecteurs, d’évoquer la part de second degré dans la musique de Miam – et plus spécialement dans le récent Femme plastique. Comme on l’a dit plus haut, nous étions prévenus que le garçon était assez délirant. D’où une certaine surprise lorsque l’on découvre, face à cette question, un Benjamin sincèrement perplexe et étonné que l’on puisse la lui poser. « Je sais pas… j’ai pas l’impression d’être… enfin, oui, j’imagine qu’il y a une patte qui est la mienne et qui est un peu délirante… maintenant je n’écris pas les textes ou les chansons en espérant spécialement m’amuser. Ça fait partie de mon univers, quoi. Tu sais le rock comme je le conçois, et tel qu’il était conçu dans les années 50, c’était quand même très borderline. Entre les chefs-d’œuvre et les nanars, la ligne est parfois ténue. Ça vaut dans le cinéma de genre, ça vaut aussi dans la musique. »


Femme plastique, de Miam Monster Miam (Freaksville, 2011)