vendredi 8 avril 2016

Qui êtes-vous, Madame, et qu'avez-vous fait de la vraie Sarah Waters ?

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Parce que Sarah Waters était dès son premier livre l'auteure la plus douée de sa génération, on s'est beaucoup menti à nous-mêmes, nous, lecteurs fidèles, quant au virage très net qui s'est opéré dans son œuvre depuis une dizaine d'années. The Night Watch (2006) n'était pas, non non, un roman décevant. C'était un tournant, un risque, un manifeste de liberté créative de la part d'une auteure qui refusait de s'enfermer dans une formule (celle du roman dit néo-victorien) et entendait démontrer que son univers n'était pas réductible à une époque, à un ton, à une poignée de formules chocs. De même The Little Stranger (2009) n'était-il pas un livre globalement raté dans lequel l'une des pattes les plus immédiatement reconnaissables de la littérature contemporaine réussissait à devenir presque invisible à l'œil, mais une simple fausse note, un texte un peu mineur comme tous les grands écrivains peuvent parfois en signer – et puis nos exigences étaient telles, n'est-ce pas ?...

Avec The Paying Guests, cependant, on commence à manquer un peu d'arguments pour défendre l'auteure du sublissime Affinity. Non seulement est-ce le troisième ouvrage consécutif de Waters à décevoir (et pas qu'un peu dans ce cas précis), mais encore est-ce le second d'affilée à donner l'impression qu'il aurait pu être écrit par n'importe qui d'autre tant rien de ce qui fait habituellement le charme d'un de ses romans n'y figure. Pas de faux semblants. Pas de soufre. Aucun signe de ce don ailleurs prodigieux pour le basculement d'un récit captivant en un autre encore plus passionnant. La différence avec The Little Stranger étant que si The Paying Guests avait été écrit par Madame No One, on n'est pas sûr que l'on aurait eu la politesse de le lire jusqu'au bout.

Car si l'on entend bien qu'une auteure n'ait aucun compte à rendre à ses lecteurs, et qu'il est même plutôt sain après une si longue carrière de tenter encore de les surprendre, The Paying Guests est avant tout un livre assez plat ne racontant rien que de très prévisible et/ou ennuyeux. C'est un roman de Sarah Waters au sens où l'on retrouve son style inimitable, son inévitable histoire d'amour lesbien, et où il s'agit de raconter le basculement d'un univers (en l'occurrence celui de Frances, presque-vieille fille vivant seule avec sa mère, au contact d'un jeune couple de sous-locataires hipsters avant la lettre). Mais si la principale qualité de sa trilogie victorienne était de faire voler en éclat tous les stéréotypes du genre (dans tous les sens du terme genre) et de l'époque, force est de reconnaître que ce n'est pas du tout le cas de ce livre-ci. Les cinquante premières pages enfilent les clichés à une vitesse vertigineuse, et les cinq cents suivantes nous laisseront en vain attendre le moment où l'auteure décidera de les retourner. Il est vrai que les balbutiements d'années vingt pas encore devenue folles, comme ailleurs le Blitz et ce qui s'ensuit, constituent sans doute une matière moins vivace et un cadre plus austère que la très glamour époque victorienne. Soit. Le problème demeure cependant la trame général d'un récit dont on ne doute pas qu'il ne serait pas moins soporifique dans un autre contexte, tant l'auteure donne l'impression de n'avoir aucune idée de ce qu'elle veut faire de ses personnages – lesquels, d'ailleurs, se révèlent vite tout aussi caricaturaux que le reste, pour ne pas dire assez creux... et bien loin, en tout cas, d'une Margaret, d'une Nancy, d'une Sue... etc. Dans le fond, The Paying Guests n'est qu'une énième histoire d'adultère, certes entre deux femmes, mais ne cherche pas à être grand-chose de plus et ne remet aucunement en perspective ni l'époque où il se déroule, ni la nôtre par ricochet. Peut-être Sarah Waters avait-elle envie d'expier le péché mortel commis par son précédent roman (dont le personnage central était... un homme !) Le plus probable est malheureusement qu'elle soit désormais trop écartelée entre la tentation d'enrichir son univers et ses propres obsessions, réussissant au final l'inédite performance que de produire un ouvrage décevant à la fois en raison de ses différences avec les autres, et à la fois en raison de similitudes telles qu'on a le sentiment de tout voir venir avec trente pages d'avances. A moins bien sûr que mon titre ne soit un peu plus qu'une boutade et que j'aie des informations concernant l’abduction de Sarah Waters et son remplacement par un sosie fan de Joyce Carol Oates. Vous comprendrez que je n'aie pas le droit de vous en dire beaucoup plus à ce sujet...


👎 The Paying Guests [Derrière la porte] 
Sarah Waters | Virago Press, 2014

5 commentaires:

  1. non, ce n'est pas moi le sosie fan de Joyce Carol Oates ;-)

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    1. C'est-à-dire ? Tu es un sosie de Sarah Waters ou bien une fan de JCO ? ^^

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  2. Ouf, j'étais sur le point de le commander :)

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    1. Je pense en effet qu'un emprunt en biblio suffirait !

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  3. Entièrement d'accord.
    Val a beaucoup aimé, personnellement je suis resté de marbre. Affinité est bien loin...

    Bonne journée.

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