samedi 17 novembre 2007

Sarah Waters, évidemment...

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La structure de base est tellement cliché qu’on se demande ce qu’on fout là : A rencontre B qui connaît C qui sort avec D… rien que de très banal. En l’occurrence on suit les pas de Kay, qui est complètement paumée et connaît vaguement (mais on ignore un peu d’où) une certaine Viv, passablement paumée elle aussi, qui bosse dans une agence de rencontres avec Helen, absolument déphasée et visiblement intriguée par l’existence du frère de Viv, Duncan, paumé au point de s’enfermer dans un monde enfantin et pour tout dire plutôt malsain… qu’est-ce que c’est que cette histoire à dormir debout ? Pourquoi ça tourne en rond comme ça ? Quel est le lien entre tous ces personnages et qu’ont-ils tous de si terrible à cacher pour qu’ils donnent à ce point l’impression de marcher à côté de leurs pompes ?...
 
Avouons d'abord que signé par un autre auteur le bouquin ne donnerait pas franchement envie. Seulement voilà : The Night Watch est un livre de Sarah Waters. Cela signifie en substance que quoiqu’il advienne, le postulat de base va au pire être renversé, au mieux : voler en éclat avant la moitié. Bingo ! Après deux cents pages ronronnantes un rebondissement tonitruant vient rappeler le lecteur égaré à l’ordre et donner le coup de grâce aux autres. On s’y attendait un peu (pas au rebondissement en lui-même - au fait qu’il y en ait un), n’empêche qu’on se fait avoir quand même. Bluffante étant définitivement le seul mot susceptible de qualifier l'écriture cette auteure-ci.
 
Car en plus d’être douée, Sarah Waters est intelligente. Dans ce nouveau roman, le quatrième, voilà qu’elle a eu toute seule l’excellente idée de déserter l’Angleterre Victorienne – son terrain de jeu depuis le remarquable Tipping the Velvet. Une initiative d’autant plus louable que personne ne lui en aurait voulu de décliner la formule neo-victorienne (TM Gaëlle) qui fit ses premiers succès – à plus forte raison maintenant que c’est carrément devenu tip top mode. Mais non, Sarah Waters ne se repose pas sur ses lauriers. Et c’est tant mieux : transposant sans difficulté ses obsessions dans l’Angleterre de l’immédiat après-guerre, elle applique à cette « nouvelle » ère le même traitement qu’à son ancienne marotte, proposant bien plus qu’une simple relecture de la littérature de cette époque. Moderne dans le meilleur sens du terme, elle impose des personnages et des intrigues d’une rare complexité sans jamais perdre de vue une denrée devenue bien rare de nos jours : le plaisir de lecture. Quel bonheur c’est, chaque fois, de retrouver l’écriture limpide de Sarah Waters ! Voici ce que moi j’appelle de la grande littérature populaire ; du roman qui peut plaire à tous sans verser dans la guimauve ni le putassier.
 
Que dire de plus ? Comme tous les livres de Waters, The Night Watch est émouvant comme un grand roman d’amour, rythmé comme un thriller et racé comme du Sue. Ce n’est sans doute pas son meilleur, mais honnêtement, un seul Waters… ça vaut combien de Nothomb ?


👍👍 The Night Watch [Ronde de nuit] 
Sarah Waters | Virago, 2006