mardi 12 mars 2013

Winterheim - Du visuel sans les images

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Certaines préfaces valent mieux qu'un long discours. Celle que Fabrice Colin a rédigée à l'occasion de la réédition de son cycle Winterheim a le mérite d'annoncer la couleur. Limite, à l'en croire, ceci ne serait qu'un exercice de style, un pari avec lui-même, de surcroît doublé d'une œuvre de jeunesse. Au milieu de ce qui ressemble fort à une justification ne disant pas son nom, il n'en énonce pas moins au passage quelques vérités sur le genre auquel il entend s'attaquer, en même temps qu'il livre (peut-être) un avertissement au lecteur égaré - ou plutôt justement à l'autre, celui qui croit savoir où il met les pieds. "La fantasy, ai-je senti très tôt, est avant tout affaire d'honnêteté et de candeur. Ces qualités sont absolument nécessaires lorsqu'il s'agit de présenter un monde au lecteur, comme un enfant tend un dessin à ses parents." Il y a sans doute une forme de vérité dans cette remarque ; à voir cependant si elle ne s'applique pas moins bien au genre qu'elle ne résume Winterheim lui-même, trilogie qui semble souvent considérer que les clichés de la fantasy sont avant toute autre chose des figures imposées dont il serait capital de s'acquitter.

De fait, durant une longue partie du Fils des ténèbres (faut-il préciser que le titre lui-même est assez cliché ?), on ne retrouvera pas grand-chose du Colin de La Mémoire du Vautour, Or Not to Be et au autres récits ambigus et fascinants dont l'auteur à le secret. Linéaire, parcouru d'ellipses grosses comme des champignons atomiques (une année peut passer en un paragraphe), le premier volet de Winterheim ressemble par moment un peu à un synopsis (une partie du casting est d'ailleurs dévoilée dès la première page ; même le schéma inaugural censé présenter la carte du monde a des airs de miniature de ce que l'on trouve habituellement dans les grandes fresques fantasy). Un (très court) roman se lisant plaisamment mais sans trop se laisser emporter, si ce n'est par une plume alerte que l'on ne reconnaît d'ailleurs que par éclats. Ce n'est qu'à la toute fin que l'on se rappelle qu'on est en train de lire un livre de Fabrice Colin, le temps d'un dialogue splitté (enfin : de deux monologues intérieurs) magnifiant une rencontre amoureuse, presque directement enchaîné avec un vrai, beau morceau de bravoure dans un labyrinthe. Soudain angoisse, souffle épique, suspens... toutes ces choses qui semblaient désespérément absentes du roman font surface au cœur d'un récit jusque là assez peu aventureux (à un ou deux viols près), qui paraissait avoir confondu un peu trop franchement le sans prétention et l'absence d'ambition.

A partir de là, c'est un tout autre livre qui commence. Façon de parler bien sûr, puisqu'en réalité la première partie s'achève moins de quinze pages plus loin, ce qui justifie en soit l'édition intégrale - pas sûr qu'on aurait sinon fait l'effort d'acheter le deuxième tome. Une Saison des conquêtes qui se veut donc d'emblée plus ambitieuse même si, publiée rapidement après, elle reste dans la droite ligne du Fils des ténèbres. Soit donc une intrigue vive dont les péripéties s'enchaînent quasiment sans respirer et où les mythologies nordiques, qui servaient jusqu'ici d'intéressante toile de fond, prennent une place un peu plus importante. Las, l'auteur continue de se traîner le même boulet au pied, victime sans doute de l'aspect relativement superficiel de son premier volet : ses personnages ont le charisme de flaques et l'on ne ressent globalement qu'une bienveillante indifférence à l'égard de Janes Oelsen, Livia et les autres. Arrivé au milieu, on commence à se demander pourquoi on continue alors qu'il reste encore un tome et demi. Excellente question, à laquelle il sera bien difficile de répondre. En fait, les deux premiers tomes de Winterheim obéissent à une mécanique parfaitement huilée, sans folie la plupart du temps, mais particulièrement efficace pour donner envie au lecteur de continuer jusqu'à la page suivante, puis celle d'après, puis celle encore après. C'est bien écrit, c'est bien rythmé. Les personnages sont transparents, mais l'univers dans lequel ils évoluent est séduisant et parfois d'une grande force visuelle. Une qualité que l'on entrevoyait par éclats dans Le Fils des ténèbres et qui, à partir du dernier tiers de la Saison des conquêtes jusqu'à l'épilogue de la série, s'impose de plus en plus comme le principal argument de la trilogie. Si les caractères ont parfois du mal à exister, les décors sont superbes, les effets spéciaux impressionnants et la mise en scène, si elle se satisfait d'une efficace sobriété la majeure partie du temps, n'est pas sans receler certains trouvailles (voir la fameuse Fonte des rêves, passage étonnant, fort et fort étonnant, qui donne légitimement son titre au dernier tome). Je parlais plus haut de synopsis ? En fait, plus qu'un film, Winterheim pourrait faire office de très bon dessin animé, joliment stylisé et adulte juste ce qu'il faut pour éviter que sa naïveté passe pour de la niaiserie. Bizarrement, je l'écris comme un compliment, même s'il est certain ce n'est probablement ni le premier livre de Fabrice Colin ni la première série fantasy que j'aurais l'idée de conseiller à quelqu'un souhaitant s'essayer à l'un ou l'autre.


Winterheim 
Fabrice Colin | Mnémos, 1999-2003 (J'ai lu, 2012 pour cette édition intégrale)

17 commentaires:

  1. C'est sûr que ce n'est pas le meilleur Colin. Je ne m'en souviens pas très bien, en réalité (j'avais lu les tomes un par un à l'époque). Enfin, je suis toujours content quand tu écris sur cet auteur que j'apprécie particulièrement.

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    1. Tant mieux. Et si tu veux me faire une liste des Colin à déguster en priorité... car sa biblio est si variée et foisonnante que je ne sais jamais trop lequel acheter lorsque l'envie me prend...

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    2. D'un autre côté, je t'avais conseillé Dreamericana, et tu n'avais pas aimé.

      Sinon, La Malédiction d'Old Haven, Confessions d'un automate mangeur d'opium, Le syndrome Godzilla... il y a le choix. Difficile de n'en garder qu'un, ils sont tous très différents.

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    3. Je viens de finir La Malédiction, figure-toi (comme tu le vois j'ai toujours plusieurs mois d'avance sur les articles que je publie ;-)). Je note. Godzilla traîne dans un coin de mon armoire à livre non-lus, je crois (si je ne l'ai pas perdu dans mes multiples déménagements).

      Mais où as-tu vu que je n'avais pas aimé Dreamericana ?...

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  2. A part cela : que se passe-t-il avec le module des derniers articles ? Il est tout déformé ?

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    1. C'est parce qu'il ne marche plus. J'ignore si c'est temporaire ou définitif. Du coup j'ai juste bricolé un truc en attendant (enfin j'espère que ce sera "juste en attendant").

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    2. Mince. J'espère que ça s'arrangera, car ce n'est pas très pratique.

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    3. Je checke tous les jours, on verra. Mais si ça ne s'arrange pas ça va vraiment bouleverser la navigation sur Le Golb (parce que je suis d'accord le bricolage que j'ai fait est tout pourri).

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  3. Je l'ai acheté mais pour l'instant, je n'ai pas dépassé le début du deuxième livre. Je suis assez d'accord avec tes remarques, la fin du livre 1 est super, mais alors que je pensais que ça allait vraiment démarrer le début du livre 2 est assez lent et ennuyeux (plus que tout le livre 1). Du coup, j'ai fait pause. On a l'impression que l'auteur n'arrive pas à entrer dans le vif du sujet.

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    1. Je vois ce que tu veux dire. Mais n'oublie pas de reprendre, car le meilleur reste à venir.

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  4. Et sinon comme must tu proposes quoi?
    (parce que je ne connais pas cet auteur, et justement j'ai fini mon livre...)

    :-)

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    1. Comme must ? De Fabrice Colin ?

      C'est difficile, un coup d’œil rapide à l'étendue de son œuvre devrait rapidement te faire comprendre pourquoi. J'ai tendance à conseiller Or Not to Be, un chef-d’œuvre ou pas loin. Mais les gens à qui je le conseille ont aussi tendance à me dire que ça les a fait chier, que c'est trop compliqué, qu'ils s'y sont perdus. Sinon (on en parlait plus haut avec BLOOM), il y a La Malédiction d'Old Haven, qui n'a franchement rien à avoir mais est également un roman particulièrement réussi et addictif.

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    2. Blue Jay Way est très bien également. C'est différent (un polar), mais toujours personnel et très bien écrit.

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    3. Je n'en doute pas, il me tentait bien, d'ailleurs.

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  5. Message à caractère privé:
    "le numéro 9 est sorti, je répète, le numéro 9 est sorti"

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  6. Très Cher ,
    Tu viens d'être nominé à 'La Question', un grand concours où il n'y a rien à gagner, même au tirage.
    http://www.libellus-libellus.fr/article-la-question-chaine-bloguesque-116171742.html
    Il en va de ton honneur, simplement.
    Tu liras attentivement le règlement et les 11 questions sournoises auxquelles tu dois répondre.
    On peut répondre en dessin.

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    1. Rien de personnel, mais je ne fais plus ce genre de trucs du tout. J'ai déjà à peine le temps d'écrire des articles, alors tu penses bien que des chaînes bloguesques.....

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