lundi 22 août 2011

Stephen Malkmus & The Jicks - La Tête haute

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Il a mis le temps, le Malkmus. Trois ans et demi. Certes entrecoupés d'une vaine reformation de son groupe mythique. Certes mis à profit pour peaufiner un nouvel opus qui puisse se mesurer au formidable Real Emotional Trash, ce qui n'était pas commode tant ce dernier, bien que royalement ignoré par la critique, se hissait à la hauteur de son glorieux passé à grand renfort de "Baltimore" et autres "Cold Son". Au moins avec Mirror Traffic, les Jicks ne se feront-ils pas snobés cette fois-ci. Entre la reformation de Pavement 1 et une prod signée Beck (qui lui devait bien ça, vu tout ce qu'il lui a pompé dans les années quatre-vingt-dix), Stephen Malkmus ne risque pas de passer inaperçu cette fois-ci. On imagine déjà les critiques redécouvrant subitement son existence et s'exciter sur ce formidable retour en forme (alors qu'ils n'auront bien sûr pas écouté un seul de ses albums depuis dix ans). Saluant une fois de plus la mue de Beck en producteur inspiré (alors que tout ce qu'il a produit ces dernières années, c'est sans doute le disque qui porte le moins sa patte, ce qui ne manquera pas d'étonner tant son univers est proche de celui de Malkmus). Sans doute y-a-t-il une logique dans tout cela : l'héritage de Pavement n'a jamais été aussi pillé qu'aujourd'hui, où les ados qui découvraient Brighten the Corners émerveillés sont aujourd'hui les jeunes adultes qui nous arrosent de rock-garage-lo/fi chanté comme par dès chèvres (voir les excellents Let's Wrestle, quitte à aller chercher parmi le meilleur de cette génération).

Stephen Malkmus, dans tout ça, continue sa route en donnant l'impression de n'en avoir pas grand-chose à foutre - ce qui est à peu près l'impression qu'il donne en toute circonstance. A quarante-cinq ans depuis quelques mois, son univers a aussi peu évolué que son apparence physique n'a changée. Sans doute qu'à soixante-dix ans il sera toujours ce grand ado dégingandé, à la classe exquise et à la voix de chat dont la queue s'est coincée dans une porte. Un J Mascis en sympa (quoique pas beaucoup plus souriant), plus classe et moins slacker, et dont l'inspiration ne faiblit pas beaucoup plus. Si l'on ne rechignait pas à laisser entendre que notre adolescence commence à dater, on serait tenté de ranger Steve dans la catégorie des vieux irradiant cette année 2011 de leur sagesse. On notera toutefois au passage que cette séduction, chez ces deux-là comme chez un Joe Lally ou un Thurston Moore, fonctionne en grande partie parce que la génération suivante, à quelques exceptions près, n'a pas vraiment tenu ses promesses. Ceux qui auraient dû devenir des dinosaures sont demeurés des résistants, c'est frappant dès la première note du premier titre de Mirror Traffic : personne, en 2011, n'est capable de signer une chanson comme ce "Tigers", ce genre de riff nonchalant, ce refrain en lévitation... Et cela marche comme ça pour à peu près chaque titre réussi de l'album, c'est-à-dire la plupart. "Senator" ou "Spazz" font se dire qu'Yuck, malgré un vrai potentiel, peut aller se rhabiller. "Asking Price" retrouve ce côté mutant, moitié Television moitié Daniel Johnston, qui fit tant pour la singularité de Pavement. "Stick Figures in Love" a cette légèreté mélancolique que tant de groupe lo/fi cherchent sans jamais vraiment parvenir à l'atteindre. Sans parler de "Long Hard Book", décharge émotionnelle typique, prévisible sans doute dans son écriture, mais quasiment imparable, malgré tout. Et ainsi de suite.

Tout cela est d'autant plus marqué que, probablement sous l'influence de Beck, les Jicks ont laissé de côté l'aspect parfois franchement heavy qui prédominait sur leurs deux derniers opus (Real Emotional Trash, donc, et le très bon Face the Truth 2). Sur les morceaux les plus enlevés, le résultat est proche du sans faute, retrouvant ici des éclats velvetiens ("Tune Grief"), là un groove inattendu ("Forever 28"). Sans doute s'agit-il de l'album le plus fluide que Malkmus ait publié depuis la fin de Pavement, même s'il serait absurde de laisser entendre qu'il ait fait bouger en quoi que ce soit son univers ou que le niveau soit à ce point supérieur aux autres disques des Jicks qu'il faille en grimper aux rideaux. Ce qui est indiscutable en revanche, c'est que Malkmus publie ici, une fois de plus, un disque de grande qualité, et persiste à vieillir avec dignité et noblesse. Or, s'il est bien une chose dont la musique d'aujourd'hui manque cruellement, c'est assurément de noblesse. Même sur les morceaux ratés (et les deux ou trois derniers sont au moins dispensables), la musique de Stephen Malkmus est suffisamment sincère et racée pour qu'on ne le confonde pas de sitôt avec ses suiveurs.


👍👍 Mirror Traffic 
Stephen Malkmus & The Jicks | Matador, 2011


1. Vous aurez noté qu'on a atteint ces derniers temps une espèce d'apogée dans la dégénérescence du concept de reformation, puisque maintenant les groupes se reforment pour une tournée, ramassent les dollars puis s'en servent pour retourner faire des albums solo le plus souvent tout pourris.
2. Qui n'est pas crédité aux Jicks pour une raison inconnue, mais sur lequel joue bel et bien le groupe.

9 commentaires:

  1. un peu à l'inverse de toi, pour l'instant je suis plus séduit par ce nouvel album que par real emotional trash,
    je me demande tout de même si 15 titres ce n'est pas trop, ça me fera peut-être déchanter, mais c'est un candidat solide aux palmarès de fin d'année :-)

    soit dit en passant, ce qui fait plaisir après 2010 où les cadors ont pondu des trucs entre mou et nul (Bryan Ferry et Neil Young surnageaient), en 2011 malgré un PJ décevant et un Radiohead pas encore revenu à la plénitude de ses moyens, les valeurs sûres assurent. Notamment Thurston Moore et Malkmus, ce qui rassure aussi sur la santé de Matador, déclinante depuis 3-4 ans.

    et si Beck produit tellement qu'il n'a plus le temps de faire des disques, ce sera ça aussi de gagné, en ce qui me concerne.

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  2. Je suis d'accord avec ton toi de dans quelques semaines : l'album est trop long, c'est en grande partie ce qui m'a retenu de mettre 5/6. Je pense que dans quelques temps, je n'écouterai plus que la moitié des morceaux. Mais ceux qui sont réussis le sont plus qu'un peu...

    (mais il était pas bien le Ferry, ça va pas bien la tête !!! ^^)

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  3. Oui, c'est un bon album, mais malgré tout, on est assez loin de Pavement. D'ailleurs, je suis toujours un peu étonnée quand je lis que l'univers de Malkmus n'évolue pas, je ne trouve pas que ce qu'il fasse en solo soit "similaire" à Pavement, pas vraiment.

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  4. Je suis assez d'ac avec Emily, même si pour moi cet album sera dans le Top 10 de l'année.

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  5. Va falloir me lister les différences, alors...

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  6. Rien que la pop. Pavement c'est vraiment très pop, malgré les distorsions. Malkmus & Jicks, je trouve ça plus dur, surtout dans les rythmiques.

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  7. Pavement était un groupe pop brillant, mais il était aussi capable d'être bien plus bruitiste que n'importe quoi sur cet album. Try again ;-)

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  8. Tu es dur en affaires ^^

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  9. C'est plutôt toi qui t'avoue facilement vaincue ;)

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