vendredi 7 janvier 2011

Un village français - La Meilleure série de l'année ?

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[Taux de spoil : 5 %] Il fallait bien que cela arrive un jour. On le sentait venir, depuis quelques années. On ne l'attendait simplement pas aussi tôt, et certainement pas de cette manière, et certainement pas de cette série.

Et pourtant c'est un fait : Un village français, courageuse série française qui partait qui plus est d'assez loin, vient de réussir le pari de surclasser de bout en bout la plupart des super-productions américaines de la fin 2010. Oui : une série française. Et même pas sur Canal ! Sur France 3, une chaîne dont on savait à peine qu'elle existait.

La nouvelle a de quoi déboussoler. On a tellement de mal à y croire que durant un court laps de temps, on se creuse la tête pour essayer de trouver la petite bête, la scène sans intérêt ou le comédien qui ne serait pas assez juste. Disons que Marie Kremer, qui incarne Lucienne, la jeune institutrice, a sans doute encore quelques progrès à faire. Mais ce n'est pas suffisant pour éclipser la qualité tout bonnement exceptionnelle de cette troisième saison. Après tout, même dans Mad Men il y a parfois des jeunes comédiens un peu limites. Laquelle Mad Men fait d'ailleurs presque pâle figure à côté de ce formidable chapitre d'Un village français (il est vrai que les aventures de Don Draper ont été un  peu en-deçà de leur niveau habituel cette année).

Alors en désespoir de cause, on accepte de reconnaître l'évidence : oui, la troisième saison d'Un village français aura été brillante et quasiment irréprochable de bout en bout, à l'exception peut-être d'un final un poil expéditif. Les errements de la première saison semblent remonter à la préhistoire télévisuelle (on notera d’ailleurs que ces errements relevaient en effet d’erreurs de débutants qu’on croisait à la préhistoire télévisuelle) ; chaque épisode est d’une tension incroyable, les personnages prennent de plus en plus d’ampleur. L'arrivée des cliffhangers, à peu près simultanée aux premières actions de résistance, crée une addiction inattendue et particulièrement jouissive. Véritable nouveauté dans une série parfois un peu trop plan-plan jusqu'alors, le rythme est désormais incroyablement soutenu, fait de réactions en chaîne et de vieux (mais diablement efficaces) ressort tragiques, sans temps mort et délivrant même - on désespérait de voir cela un jour dans une série hexagonale - d'authentiques scènes d'anthologie, de celles qui restent en mémoire et refusent de vous quitter malgré le temps qui passe. L'épisode du concours de gâteaux, notamment, parvient à atteindre un niveau allégorique tout à fait inattendu (et donc d'autant plus bluffant), une capacité à mettre en perspective des choses extrêmement complexes à partir d'un détail en apparence totalement anodin. Ce n'est pas "juste" un concours de gâteaux dans un petit patelin paumé, mais une manière de d'explorer les ressorts de la haine, de la rancœur et de la rumeur, à travers le biais d'un détail quotidien (le seul biais qui soit vraiment accessible quand l'intrigue se déroule dans un petit village). L'allusion directe à Madame Bovary et à la célèbre scène des comices agricoles est à peine voilée, même si le dynamitage en règle du personnage de Jeannine Schwartz évoquera plus volontiers Mirbeau, très friand lui aussi de ces petits pétages de plombs tout à la fois dérisoires et métaphysiques.

Les personnages, venons-y : ils le méritent, et leurs interprètes également. On avait déjà dit l'an passé tout le bien qu'on pensait d'Emmanuelle Bach, dont on n'avait jamais remarqué dans P.J. qu'elle était aussi talentueuse ; Jeannine Schwartz, cependant, est probablement le caractère le moins surprenant de cette troisième saison. Son évolution semblait écrite dès les premiers épisodes, ce qui n'était assurément pas le cas de celles des autres. C'est l'une des plus grandes qualité de la série (et de la chaîne, qui accorda une confiance rare à ses auteurs) que d'avoir su permettre à chacun de se révéler au fil du temps, le plus souvent de manière complètement inattendue. Ainsi Jules Bériot, que l'on imaginait volontiers dans le rôle du petit fonctionnaire étriqué et potentiellement collabo, se découvre-t-il héros discret et brave type loyal, tandis que Raymond Schwartz s'enfonce de plus en plus dans l'ambigüité (et que Thierry Godard est de plus en plus excellent). Les communistes dévoilent leur côté bassement sectaire tandis que le gentil Marcel, bien moins lisse et idéaliste que par le passé, se montre bien trop têtu et égoïste pour qu'il ne lui arrive pas des bricoles. Dans le rôle de son frère et maire, Robin Renucci, remarquable, continue de se racheter une conduite après des années à cachetonner dans des téléfilms de seconde zone. Audrey Fleurot est égale à elle-même, c'est-à-dire complexe et troublante. On pourrait continuer longtemps et exhiber ainsi tout le casting, brillantissime, d'une saison qui a en outre le courage de faire passer certains héros au second plan, parce que l'intrigue le nécessite et que caresser le public dans le sens du poil n'est assurément pas le but de l'entreprise. A part peut-être - dans un registre totalement différent - dans Kaamelott, on a rarement vu, en France, une distribution chorale aussi impeccable, peuplée d'acteurs au diapason et de personnages non seulement intéressants, mais aussi terriblement charismatiques et marquants.

Progrès véritable ou évolution savamment calculée, le bond qualitatif d'Un village français laisse en tout cas pantois. Il y a sans doute un peu des deux, la fin de l'année 1941 et le moment pour chacun d'assumer ses choix (le plus souvent ses non-choix, en fait) étant évidemment plus propice à ce type d'écriture et de rythme (il est à noter que la série est passée de six à douze épisodes de manière presque indolore, les auteurs d'Engrenages devraient en prendre de la graine). Dans tous les cas, on tient l'une des grandes séries de la saison, et c'est dit avec d'autant plus de plaisir que dans ces pages-mêmes, Un village français a rarement été ménagée.


Un village français (saison 3), créée par Emmanuel Daucé & Frédéric Krivine (France 3, 2010-11)

24 commentaires:

  1. Cette saison était vraiment époustouflante et c'est en tout cas la série qui cette année m'a le plus tenue en haleine chaque semaine. Ils ont fait très fort !

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  2. Tout à fait d'accord. Cette saison était d'une qualité exceptionnelle. Les premières étaient bonnes, mais là, il y a un net changement de catégorie.

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  3. Rien à redire. C'était très très bien.

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  4. La valse des pantins http://www.edilivre.com/doc/4783
    Présentation de l'éditeur
    En 1990, Houcine épouse Mardia au Maroc. Quelques temps plus tard, celle-ci le rejoint en France, dans son appartement de Garges-lès-Gonesse. C'est alors le début de la lune de fiel... Avant que d'être une charge contre les dysfonctionnements des Justices française et marocaine, avant que de dénoncer les manipulations d'une femme intéressée, La Valse des pantins est un drame familial authentique. Celui vécu par un père et son fils dont l'existence commune est remise en cause par la folie des uns et des autres. Longtemps harcelé, emprisonné même, Houcine Ouachani se pare ici d'une robe de procureur et dresse un réquisitoire accablant contre l'imbroglio international dans lequel son ex-compagne l'a fait plonger. C'est donc le témoignage d'un homme injustement et doublement condamné. C'est surtout le cri d'un père aux droits bafoués. Un plaidoyer sans concession dont on ressort atterré et bouleversé.
    Biographie de l'auteur
    Né en France en 1963, Houcine Ouachani fait ses études en France. A l'âge de vingt-huit ans, il rentre dans son pays d'origine, le Maroc. Il y crée un journal hebdomadaire francophone qu'il intitule « la Passerelle » et le dirige pendant plusieurs années. Cette publication unanimement saluée est interrompue par le calvaire judiciaire causé par son ex- épouse. Humilié, incarcéré à plusieurs reprises dans une prison marocaine, il en ressort profondément blessé. Il rédige alors de sa plume trempée dans le vitriol La valse des pantins pour témoigner de l'histoire bouleversante de cette séparation d'avec sa première femme.

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  5. Tout de suite, le rapport saute aux yeux :)

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  6. Excellente saison (je ne vais pas contredire tout le monde). J'ai rarement été aussi scotchée devant une série française (en fait jamais). Merci Thomas :D

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  7. Ça donne terriblement envie !
    Je me suis décidée à enfin me mettre aux séries françaises. Je viens de me faire les 3 premières saisons d'Engrenages. Une excellente série, mais la deuxième moitié de la saison 3 m'a vraiment déçue.
    J'ai regardé le premier épisode d'Un Village Français hier, et je n'ai pas trop accroché. Je vais donc persévérer et tenter d'arriver vite à cette saison 3 ! En espérant ne pas être déçue !

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  8. J'ai bien lu en cherchant l'ironie quelque part, mais rien! Bon, il n'y a plus qu'à essayer...

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  9. Marion >>> mais pourquoi ?

    Typh >>> je n'ai pas trop accroché au premier épisode non plus à l'époque (je suis d'ailleurs assez sévère avec la série dans la chronique de la saison 1). Mais il faut reconnaître qu'il y a une progression constante qui s'amorce à partir, disons, des deux derniers épisodes de la saison 1... la seconde est bien meilleure, et la troisième est vraiment (quasi) irréprochable.

    Et je suis bien d'accord concernant la dernière saison d'Engrenages...

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  10. Voyelle & Consonne >>> Excellent :-))

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  11. 6 diodes, comme tu y vas ! D'autant que tu en mets très peu, des 6, la dernière fois pour une série, c'était quand ? Breaking Bad S03, il y a six mois ? J'ai du mal à mettre Un village français au même niveau.

    Maintenant, c'est vrai que cette saison, contrairement aux précédentes, était vraiment très bien.

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  12. En fait la dernière fois ce devait être pour Kaamelott. Mais effectivement, Breaking Bad est la dernière série "en cours" que j'ai couronné de six diodes.

    Les deux ne sont pas comparables... et alors ?

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  13. Pourquoi "pourquoi" ?

    Parce que sans toi je n'aurais jamais regardé, vu que le sujet m'intéresse pas du tout...

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  14. Maintenant, j'ai mauvaise conscience de ne jamais y avoir jeté un oeil !

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  15. Bien sûr tout ça c'est juste pour te faire culpabiliser :-)

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  16. Une excellente saison, en effet. Et je n'ajouterai à ton excellent billet que les enfants, qui sont je trouve très justes, en particulier le petit Gustave. J'attends la suite impatiemment ;-)

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  17. Je suis quand même un peu réservé sur Hélène ; mais les deux garçons jouent très bien, c'est vrai (les enfants de Marie - j'ai oublié leurs prénoms - également). Le lapin aussi d'ailleurs, même s'il est un peu passé au second plan dans cette saison :-)

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  18. Capitaine Carotte, une des vedettes de la série (j'espère que la saison 4 le verra revenir au premier plan ;-)

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  19. La rumeur prétend qu'il va prendre les armes en tant que résistant dans la saison 4...

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  20. Eh bien voilà j'ai regardé ces trois saisons. J'ai eu un peu de mal avec la première, j'ai trouvé la saison 2 bonne, mais la trois est tout simplement exceptionnelle ! Il n'y a rien à redire.
    Vivement la saison 4 !

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  21. Sur le papier c'était pas du tout mon truc, mais finalement très bonne surprise !

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