samedi 23 janvier 2010

Xavier Plumas (Tue-Loup) - "En France, on n'aime pas trop les groupes mélancoliques"

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Chaque rencontre avec Tue-Loup (celle-ci est la troisième) est à la fois un plaisir et une angoisse. Plaisir parce qu’il est toujours agréable de discuter avec des artistes qu’on aime, à plus forte raison s’ils sont charmants. Angoisse parce qu’à force, inévitablement, se pose la question du matraquage. Ou, si vous préférez : de l’excès. Aurais-je suffisamment de choses à dire ? Aurais-je quelque chose de plus à écrire, par rapport à la fois précédente ? Xavier Plumas résumera bien les choses dans un trait d’humour :  « En fait t’es le seul journaliste qui parle de Tue-Loup sur Paris ? ». Le pire, c’est que c’est bien possible.

Les retrouvailles ont lieu à l’Archipel, début décembre. Dans quelques heures, Tue-Loup va livrer dans le cadre des Rencontres musique & littérature un concert étrange, d’une grande qualité et d’une immense générosité… mais devant une assemblée à peu près aussi clairsemée que les cheveux de votre serviteur. On fume une clope en échangeant quelques banalités avec Eric (basse), Thierry (guitare) et bien sûr Xavier, qui fidèle au poste se dévouera pour notre second entretien en 2009 (le premier est ici). Rétrospectivement, on se dit que peut-être ces échanges informels étaient plus riches, plus révélateurs de l’état d’esprit du groupe qu’une banale interview. Mais ça ne se fait pas, de raconter des échanges off. Du moins je ne crois pas.

Alors on s’installe dans la salle de projection (car l’Archipel est avant tout un cinéma) et on commence à parler du dernier album, ce Goût du bonbon qui aura tourné sur la platine jusqu’à s’y user (au sens propre). De l’énigmatique Rom Liteau, slammer surdoué portant une bonne part du disque sur ses épaules, mais au sujet duquel on aura bien du mal à trouver la moindre information. «  Au départ ça devait vraiment être un projet à part, axé sur Rom on avait composé tous les morceaux pour lui… et puis finalement il s’est retrouvé à n’amener que quatre ou cinq textes, je crois qu’il ne se sentait pas forcément prêt à assumer un album entier. » Et Le Goût du bonbon, le projet, de devenir Le Goût du bonbon, l’album de Tue-Loup featuring Rom Liteau et Thomas Belhom (éminent batteur des non moins éminents Tindersticks). Comme quoi un copain prolifique, ça peut toujours servir. « Après le projet a continué à évoluer : au départ on a enregistré ça juste avec Thierry et Rom, avec l’idée de faire quelque chose de blues, très brut… et puis finalement avec le recul on s’est dit « Merde, ça serait chouette qu’il y ait une batterie, ça s’y prête quand même »…» C’est ce qui s’appelle savoir tirer le meilleur profit d’une situation : Tue-Loup n’ayant pas vraiment de label le poussant aux fesses pour sortir ses albums (Le Lac de Fish, Le Goût du bonbon et le prochain – annoncé pour le printemps – ont été enregistrés il y a plus de deux ans), le groupe a le temps de revenir sur les enregistrements, de les réévaluer et de les remanier si besoin. On comprend mieux le degré de finition étonnant d’un disque comme Le Goût du bonbon – mais beaucoup moins du coup son côté anti-Lac de Fish ; car si le groupe avait souhaité produire l’exact inverse de son opus de 2007, c’eût sans doute donné celui de 2009. « Le Lac de Fish c’est encore autre chose puisque initialement ce devait être mon premier album solo, ce qui explique qu’il soit beaucoup plus axé « chanson » fallait que je puisse m’en sortir tout seul avec ma guitare. » A croire que Tue-Loup est incapable de produire un album autrement que par rencontre, opportunité ou accident !


L’album solo de Xavier, justement, finalement sorti beaucoup plus tard, n’en finit plus pour sa part de se décliner sur les routes. La presse a été excellente (chez nous, bien sûr… mais partout ailleurs également – ce qui est moins habituel !), le disque s’est plutôt pas mal vendu… un hiatus presque inexplicable si on met ce succès en regard de l’indifférence régulièrement suscitée par le projet principal du même Xavier Plumas. « Tu sais… d’abord en France on n’aime pas beaucoup les groupes, sauf s’ils font danser tout le monde… alors un groupe mélancolique… en France quitte à être mélancolique il vaut mieux se présenter sous son nom et jouer de la chanson française. Ici on aime bien identifier les individus, on aime bien reconnaître les « auteurs » » Explication effectivement probable : dans ce pays, il faut avant tout du joli texte bien en avant – pas la peine de s’embêter à produire des albums ou pire : être ambitieux. Comment s’étonner après que la scène francophone populaire manque si cruellement de panache quand un groupe aussi talentueux, inventif et singulier que Tue-Loup se crame et ne récolte qu’une audience minime ? Mieux vaut effectivement faire du sous-Delerm, ou si l’on est une fille tenez : de la mignonne folk pleine de comptines cucul la praline. La culture du son, de l’harmonie, de la musicalité… tout cela n’existe pas pour le grand public français, et la seule chose qui nous remonte le moral c’est qu’on n’est pas certain que cela existe beaucoup plus pour le public anglo-saxon. Le Goût du bonbon ? C’est quoi, ça ? C’est quoi ce slammer ? C’est pas de la musique ma p’tite dame ! Et ces textes ? Ces bites, ces queues, ce Sonnet du trou du cul ? C’est dégoûtant ! Quelle vulgarité !

Tant pis si l’objet du délit, si vulgaire, est en fait un poème de Rimbaud et Verlaine.

On aurait tort cependant de voir de l’aigreur dans ce propos (encore moins dans ceux de Xavier Plumas, qui semble plus s’en amuser qu’autre chose). Ni les artistes ni ceux qui les aiment ne sont du genre à écouter la musique avec une calculette (quoique la maladie soit paraît-il de plus en plus répandue). Reste que le concert passé, on était tout de même un peu peiné pour le groupe. Quelque part, on serait ravi que son planning d’interviews soit trop chargé pour nous recevoir lors de son prochain passage dans la capitale. Être le seul à en parler, c’est somme toute un privilège dont votre serviteur se passerait bien.


Dernier album : Le Goût du bonbon (T-Rec, 2009)