jeudi 5 mars 2009

Entretien avec Xavier Plumas

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L’un des principaux risques lorsque l’on chronique à chaud des albums à peine sortis des fourneaux, c’est celui de se tromper faute de recul, de sur ou sous évaluer un disque et – pire – de s’en apercevoir six mois ou un an plus tard sans possibilité d’y rien changer. Combien d’artistes se sont ainsi vus surcotés sur la ligne de départ, pour finalement s’avérer cruellement décevants ? Avec Xavier Plumas, tête feulante de Tue-Loup qui entamait en janvier une carrière en solo, aucun problème de ce point de vue : non seulement sa Gueule du Cougouar est un des meilleurs albums du trimestre, mais encore ne fait-il que se révéler un peu plus à chaque écoute, gagnant un à un ses galons de grand album folk de l’année. Qui l’écoutera ? C’est une autre histoire. Dans l’absolu, ce serait aux Inrocks ou n’importe quel organe de presse papier d’accorder une large place à un artiste de ce calibre – français de surcroît. Oui, mais non. C’est Culturofil (pour qui cet entretien a été réalisé à l'origine) qui s’en charge – il faut bien que le Web 2.0 ait quelques avantages. Rencontre, donc, avec un Xavier Plumas particulièrement fier de son disque (on le comprend), enchanté par les échanges qu’il a provoqué pour l’occasion, et toujours aussi sympathique et disponible. « Rencontre » et non « interview », Xavier ayant eu une tendance prononcée à répondre à mes questions avant même que je ne les pose, ce qui ne peut vouloir dire que deux choses : soit c’était une chouette discussion entre deux passionnés de musique, soit lesdites questions étaient d’une banalité consternante. Notez que les deux sont possibles.

Les deux premières questions qui s’imposent lorsqu’on découvre le disque sont assez simple : « Pourquoi ? » et « Comment ? »

Xavier Pumas : Le « pourquoi »… c’est un ami qui m’a proposé de m’aider notamment matériellement à réaliser un album solo – chose à laquelle je n’avais pas spécialement pensé – mais il se trouve que lui, qui est un fan de Tue-Loup, rêvait d’entendre un album de Xavier Plumas depuis des années. Et ayant l’opportunité il a décidé de se l’offrir ! (rires) Il m’a dit voilà, si ça t’intéresse j’ai les labels… ce à quoi j’ai évidemment répondu oui, parce que c’est le genre de proposition qu’il serait stupide de refuser.

Et pourquoi rêvait-il d’un album solo de Xavier Plumas ?… Il avait entendu quelques chansons, des choses que tu n’avais pas publiées ?

X.P. : Pas forcément des choses que je n’avais pas publiées, mais il avait déjà entendu quelques morceaux en guitare/voix, pas encore arrangées par Tue-Loup… et je pense qu’il avait envie de voir ce que pouvaient donner mes chansons sous un habit… « plus léger »…

Elles sont quand même très arrangées, ces chansons, non ?

X.P. : Elles sont très bien arrangées, mais c’est quand même assez subtil – la couleur général du disque reste malgré tout guitare/voix. L’idée c’était ça, d’ailleurs : enregistrer les chansons en guitare/voix, que l’album soit sortable tel quel, et ensuite seulement s’amuser à l’arranger.

Ce qui est marrant dans cette histoire d’ami c’est que c’est peu ou prou l’histoire de l’album Tout nu (1), en fait : c’était déjà un tiers – en l’occurrence ta femme – qui avait donné l’impulsion…

X.P. : C’était pas tout à fait pareil, mais c’était effectivement pour faire plaisir à ma femme, qui trouve que les chansons de Tue-Loup sont bien mieux en guitare/voix. La différence c’est que là, pour La Gueule du Cougouar, on savait dès le départ que ça allait sortir.

Ce qui nous amène au « comment »… comment est-ce qu’on procède dans ces cas-là, lorsqu’on n’y avait jamais pensé jusqu’à ce qu’on nous le suggère ? Par exemple comment choisit-on les chansons ? Est-ce qu’il s’agit de chansons écrites exprès, ou bien que tu avais dans un coin ?…

X.P. : La moitié était déjà écrite et composée, et l’autre moitié je l’ai composée spécialement pour le projet… ce qui ne veut pas dire grand-chose, puisqu’en fait les chansons ne sont jamais « conditionnées » dans leur composition par tel ou tel projet ; j’en écris régulièrement, je stocke des textes, je stocke des musiques, j’essaie de faire coller ça ensemble et puis à un moment donné il y en suffisamment pour envisager de faire un album. La cohérence du disque se fait seulement une fois qu’on a décidé que ces dix ou douze chansons-là vont aboutir à quelque chose, mais rien n’est prévu au départ et c’est seulement au moment des arrangements et de la production qu’on décide de donner une couleur à l‘ensemble. Après tu vois, je ne m’étais pas rendu compte en sélectionnant les morceaux que l’élément liquide était quand même très présent dans ces textes-ci…

Oui c’est vrai… et il n’y a pas tellement d’animaux, dans ce disque-là…

X.P. : Oui. Ils ont tous coulé, reste plus que la flotte.

Du coup tu n’as pas essayé de faire quelque chose qui soit délibérément différent de Tue-Loup.

X.P. : Ah non, pas du tout. Une chanson comme "I Call Your Name" aurait tout à fait pu être proposée à Tue-Loup, simplement elle aurait adopté une autre couleur, pris d’autres habits. Il faut quand même rendre justice aux trois arrangeurs (2) qui ont su révéler des choses qui étaient dans les chansons sans que je m’en rende vraiment compte – choses qui n’auraient pas forcément été révélées si elles étaient devenues des chansons de Tue-Loup. Ils ont su donner de l’altitude aux morceaux.

C’est marrant parce que c’est ton album solo mais quand on t’écoute en parler on a l’impression que tu as beaucoup plus de recul qu’avec les albums de Tue-Loup, comme si tu avais accepté que les chansons t’échappent…

X.P. : Exactement. C’est la première fois que j’arrive à écouter un album presque comme s’il n’était pas de moi. J’arrive à faire abstraction du chanteur (ce qui est toujours très agréable), et je ne suis pas le mieux placé pour en juger mais il me semble que si moi j’arrive à prendre ce recul-là par rapport au disque, c’est qu’il est réussit. Je peux enfin ne pas être concentré sur les défauts, je crois que ça vient de la manière dont ça c’est passé : avec Gilles Martin (3) on a enregistré les versions guitare/voix dans mon salon, et ensuite c’est lui qui a proposé d’inviter des arrangeurs, en leur laissant carte blanche. Liberté totale : chacun a choisi les morceaux qu’il voulait et a fait ce qu’il voulait avec. Pour moi ç’a été très étonnant de voir à quel point ils avaient respecté les chansons, se mettant à leur service sans jamais essayer de se mettre en valeur. Au point que par instant on a l’impression qu’ils illustrent ce que je chante au moment où je le chante.

C’est vrai que dans un tel contexte on a la sensation qu’ils ont réussi, sans te rencontrer, à réaliser un album extrêmement proche de toi… c’est à la fois un disque singulier, et le disque qu’aurait eu envie d’entendre la plupart des fans si on leur avait posé la question. Ni pareil, ni différent, plutôt l’extension d’un univers que tu développes depuis le début – c’était d’ailleurs déjà le cas de Fulbert (4) il y a quelques années.

X.P. : Oui, bien sûr. Avec ce genre d’escapade je peux développer des choses que je ne peux pas nécessairement explorer avec Tue-Loup, non parce que ses membres m’en empêchent, mais parce qu’on a une identité sonore depuis tellement longtemps qu’une partie de ma sensibilité – et de ma culture musicale – ne peut pas réellement s’exprimer dans cette formation dite « rock ». Là, je peux plus aller vers des choses comme les travaux de Mark Hollis, ou David Sylvian, qui sont plus délicates à évoquer avec une entité comme Tue-Loup…

Et Nick Drake, aussi…

X.P. : Et Nick Dake aussi, bien sûr.

On en retrouve un peu le côté évanescent, sur La Gueule du Couagouar.

X.P. : Oui enfin sauf que je ne pense pas que j’ai la voix pour (rires). Lui il a une voix aérienne, même pas besoin de musiciens pour faire décoller les morceaux – elle tombe du ciel. La mienne aurait plutôt tendance à sortir de terre (rires).

C’est sûr que quitte à faire un rapprochement on penserait plutôt à Mark Lanegan…

X.P. : Que j’écoute très peu, d’ailleurs.

Moins que Richard Hawley, dont tu fais une reprise (5) en fin d’album ? Pourquoi lui d’ailleurs ?

X.P. : Parce que je suis fan ! C’est presque devenu un gimmick, j’essaie de placer une reprise sur chaque album, et si possible quelque chose de pas attendu. Une manière de rendre hommage aux gens qui me donnent envie de faire ce que je fais, et en l’occurrence Hawley je trouve que c’est une sorte de petit génie… Quand tu regardes ses disques : c’est lui qui fait tout, joue de tous les instruments, enregistre, produit… Je trouvais, sans aucune prétention, que proposer une version complètement dépouillée d’un morceau au départ très arrangé était une manière de prouver que c’était vraiment une belle chanson, tout simplement.

Et ce faisant tu la tires vers quelque chose de complétement différent, cette chanson extrêmement sombre qui dans ta version devient presque lumineuse.

X.P. : Oui ? Je pense que ce sont les clarinettes de Renaud qui font cet effet, ça donne un côté New Orleans vers la fin.

La voix aussi, joue énormément… ça donne une touche d’espoir à un titre complètement dépressif où on imagine qu’à la fin le gars n’a plus qu’à sauter sur sa moto et se fracasser contre un mur.

X.P. : (rires) Mais ça, ça vient aussi du fait que ce soit une reprise. Malgré soi on interprète pas ses textes de la même manière que ceux des autres, avec lesquels on a forcément une distance et un recul qui font que sans s’en rendre compte on les allège, en quelque sorte.


Rien à voir, mais un truc qui m’a frappé en relisant la plupart des articles consacrés à La Gueule du Cougouar – ou aux albums de Tue-Loup – c'est que presque à chaque fois on y évoque l’importance des racines…

X.P. : Ouais, ça me soule un peu…

Justement, c’était ce que je voulais te demander…

X.P. : Après je reconnais que la nature est très présente dans mes textes, ça vient du fait que je vis à la campagne, forcément j’écris sur ce que je connais… mais je n’ai vraiment pas l’impression de revendiquer quoique soit, et à mon avis je chanterais en anglais, personne se demanderait d’où ça vient.

Oui parce qu’à lire tout ça, ça donne l’impression que la campagne, la Sarthe, ce sont des choses extrêmement importantes pour toi, dans ta musique…

X.P. : Pas du tout ! Et j’espère vraiment que je n’ai pas publié un album régionaliste. D’ailleurs je ne cite jamais aucun lieu, quelque part un Murat est vachement plus régionaliste que moi, il cite les noms des bleds autour de chez lui, utilise régulièrement des références dans ses chansons…

Il porte un nom de bled, même…

X.P. : En plus, déjà (rires). Alors que moi… je pense que c’est parce que l’image de Tue-Loup a été beaucoup développée comme ça par la presse, ça devait faire bander les journalistes qu’un groupe de pouilleux sorte des albums du trou-du-cul de la Sarthe comme pouvaient le faire PJ Harvey de son Dorset ou Will Oldham de son Kentucky. Et depuis c’est resté, et ça ressort à chaque fois.

L’image finit par échapper au contrôle ; les pancartes de hameaux sur les premières pochettes, le clip de "Mon amant de Saint-Jean" (6), et au final on se trouve avec une image assez réductrice, qui suggère une musique très rugueuse alors qu’au contraire ton album est très arrangé, « sophistiqué », même, si j‘ose dire.

X.P. : Pas grâce à moi, mais par le travail qu’ont fait Gilles Martin et les autres, oui, c’est assez sophistiqué. Déjà rien que le fait que Renaud Gabriel Pion, qui a joué avec la terre entière (7), ait apparemment pris beaucoup de plaisir à arranger mes chansons, c’est me semble-t-il la preuve que ça va un peu plus loin que les frontières de la Sarthe. Mais bon… c’est comme ça !

Alors du coup est-ce que c’est vrai ce que j’ai lu ici ou là, comme quoi Tue-Loup aurait joué dans des bals musette ?

X.P. : Non, ce n’est pas vrai : avec Thierry (8) ça nous arrive assez régulièrement de jouer du musette à notre sauce, genre "La Java bleue", "Le Petit Vin Blanc" – qui sont au demeurant de très beaux morceaux qui m’ont fait beaucoup progressé à la guitare, mais ça n’aurait pas de sens d’aller jouer des morceaux de Tue-Loup ou de Xavier Plumas le dimanche soir, alors que les gens ont envie de s’amuser. C’est surtout pour faire plaisir aux gens, tout le monde reprend en chœur et c’est super agréable – voilà tout. Quand bien même je ne vois pas où serait le problème alors qu’en ce moment c’est la grande mode du folk, et que notre folk à nous, c’est le musette. Et musicalement, c’est beaucoup plus riche qu’on ne le croit.

Le genre est malheureusement en voie de disparation…

X.P. : Évidemment s’il faut s’en tenir à Dany Brillant pour entendre parler de musette, c’est vrai que c’est triste. Mais par chez nous il y a quand même quatre, cinq groupes qui sont spécialisés dans l’animation des bals, qui ont vraiment une approche musicale tout aussi pointue que nous dans notre domaine, et qui décortiquent les jeux d’accordéon comme nous on décortiquerait le jeu de Keith Richards (rires).

Ce qui est paradoxal c’est que finalement, ton album ne sonne pas particulièrement français… à la limite tu chanterais en anglais on ne verrait pas trop la différence – tu serais peut-être même plus connu.

X.P. : C’est bien possible ! C’est vrai que les artistes de la mode folk française actuelle chantent tous en anglais. Mais pour moi ça n’aurait pas sens : j’écris tout simplement mieux en français, à quelques exceptions près comme "I Call Your Name", dont je suis très fier et convaincu que je n’aurais pas pu dire aussi bien en français.

Et tu voulais y dire quoi ?

X.P. : En fait c’est inspiré d’un autoportait de Klimt… c’est-à-dire une scène de masturbation, le genre de truc difficile à dire en français sans tomber dans le graveleux.

Xavier, il me reste juste assez de temps pour te demander quels sont tes projets.

X.P. : Dans l’immédiat je voudrais faire pas mal de dates avec cet album, parce qu’il est ouvert à plein de formules possibles : hier soir c’étaient deux guitares plus les bois et les vents de Renaud (9), maintenant on aimerait faire des concerts totalement épurés, juste guitare/contrebasse, mais aussi pourquoi pas avec une batterie… bref, on voudrait conserver l’esprit dans lequel a été enregistré l’album, essayer d’embarquer les chansons dans des directions imprévues… mais pour ça, bien sûr, faut qu’il y ait des dates. Sinon on va sortir un album de Tue-Loup sur le web au printemps, ça va s’appeler Le Goût du bonbon, d’après un projet qu’on avait écrit pour le slammer Rom Lito (10)… Un album un peu bâtard, puisqu’on s’y partage le micro Rom et moi, et qu’il y a deux batteurs : celui de Tue-Loup ainsi que Thomas Belhom, celui des Tindersticks – eh oui personne ne le sait mais le batteur des Tindersticks est sarthois (rires). Et ensuite, un autre album de Tue-Loup version « classique » qui devrait être distribué dans le commerce fin août / début septembre.

J’ai lu aussi dans les Inrocks que tu avais prévu de partir en ballade dans la Sarthe avec Thierry pour sampler des sabots de chevaux ?…

X.P. : Oui, ça ce sera encore pour un autre album…

C’est peut-être le genre de truc qu’il faudrait arrêter de dire pour contourner le côté régionaliste (rires) ?

X.P. : (rires) Ouais mais bon, il y a des chevaux partout.

(1) Album de « versions acoustiques » publié par Tue-Loup en 2004
(2) Renaud Gabriel Pion, qui fera une trop brève apparition durant l’entretien, mais aussi Nicolas Boscovic et Vincent Artaud
(3). Réalisateur de l’album
(4) Autre projet de Xavier Plumas (entre autres), auteur d’un bel album – Les Anges à la sieste – en 2004
(5) "Run For Me", extraite de l’album Lowedges (2002)
(6) 1998, dans un musette
(7) Christophe, Björk, David Sylvain… pas vraiment des bouseux
(8) Guitariste de Tue-Loup
(9) En fait le 19 février, à la Maroquinerie
(10) Invité par le passé sur deux titres du chef-d’oeuvre Penya