vendredi 17 octobre 2008

Oh! Susan...

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°87]  
The Scream - Siouxsie & The Banshees (1979)

Susan oh... Susan... tu sais, Susan, en dix ans mes goûts ont aussi souvent changé en matière de musique qu'en matière de femmes. Je ne dis pas ça pour que tu te sentes flattée de toujours et encore me faire le même vivifiant effet... je ne sais pas pourquoi je le dis, d'ailleurs. Mais je voulais que tu le saches : tu occuperas toujours la première place, pour moi. N'ai-je pas été le seul blogueur à défendre ton album solo l'an passé ?

J'ose croire que pour cette seule raison j'occupe moi aussi une place à part dans ton cœur.


Notre rencontre fut assez banale pourtant. Quelques lignes dans un magazine, une photo. Rien que très ordinaire. Je remontais depuis quelques années le fil musical invisible, je ricochais d'artiste en artiste, de courant en sous-courant... cette année-là à défaut de vivre l'époque punk j'avais décidé de me faire mon mouvement PUNK personnel, de n'écouter que du punk jusqu'à plus soif. Ainsi me présentai-je un jour devant toi - convaincu par un journaliste que The Scream était un monument du punkrock. J'en fus pour mes frais bien sûr : de punk, oh ma Susan, tu n'avais que l'ascendance. En 1978 déjà tu t'escrimais à tuer le père, ce mouvement que tu avais adoré plus qu'aucun(e) autre et qu'à présent il fallait éliminer pour passer aux choses sérieuses. Avais-tu conscience que tu t'apprêtais à créer un monstre qui rapidement allait te dépasser ? Ce post-punk, qui trente ans et deux revivals plus tard veut désormais tout et rien dire ? En tout cas avec leur son clair et leur basse lancinante tes compositions de jeunesse contenaient déjà en germe l'intégralité des discographie de Joy Division et de The Cure... à se demander pourquoi aujourd'hui tes albums ne sont pas aussi légendaires et incontournables que les leurs ! A se demander pourquoi je ne lis jamais une interview de jeune groupe vous citant en référence, toi et tes Banshees. C'est incompréhensible. Ils n'aiment pas les femmes ou quoi ?

Moi en tout cas je les aimais déjà à dix-sept ans. Beaucoup ! Et j'aurais fait n'importe quoi pour te plaire. Comme je les comprends ces gamins de l'époque qui se déguisaient en toi ! J'aurais bien aimé être une femme comme toi, si j'avais pu j'aurais monté mon groupe en hommage à toi. J'aurais pu l'appeler je sais pas moi... The Sioux ? Nicotine Stain ? Avec mes fidèles acolytes (un trio de filles), mes Banshees personnel(le)s (je me rends compte d'ailleurs que je n'ai jamais su ce que c'étaient - des Banshees) nous aurions repris le véhément « Jigsaw Feeling », le martial « Overground », le divin « Mirage »...

Mais ce n'est pas pour ressasser le bon vieux temps ni pour rêver à une autre vie que je t'écris, oh Susan. Non : je voulais te faire part de mon étonnement quant à cet album, The Scream, que je vénère plus qu'aucun autre de la vague post-punk. Je le réécoute cet an-ci et je suis stupéfait par la rage qui s'en dégage. Robert Smith a vraiment l'air d'un moineau dépressif face à la colère sourde de tes corbeaux punkoïdes. Il prenait quoi John McKay lorsqu'il a trouvé le riff de « Metal Postcard » ? Trouve-t-on encore la même drogue sur le marché ? Vraiment : ça m'intéresse.

Car vois-tu aujourd'hui les groupes ont des tenues très normales, n'aiment pas trop le maquillage (sans doute qu'ils trouvent que ça fait tapette) et seraient bien incapables de produire des chocs esthétiques équivalents à celui que l'ado que j'ai été a pu ressentir en découvrant The Scream, ce premier album bestial qui eut presqu'autant d'impact sur ma culture musicale que sur ma sexualité. Comment expliquer, dis-moi, que ta musique ait débouché sur une progéniture si coincée et si austère quand elle transpirait la sensualité et se paraît parfois (A Kiss in the Dreamhouse en tête) d'oripeaux baroques du meilleur effet ? Je t'écris depuis 2008 et je ne sais pas si tu sais ce qui s'y passe, toi qui est restée bloquée en 1986... mais figure-toi que les romantiques d'aujourd'hui nagent dans la sinistrose ! Je sais bien que toi, tu n'étais pas la fille la plus enjouée de l'univers mais tout de même... tu offrais à tes fidèles quelque fête dionysiaque avant de les achever sous le poids de « Switch » ! Avant de rendre son dernier soupir (forcément) torturé au son de « Suburban Relapse » il fallait en passer par la débauche de « Carcass », de « Helter Skelter »... que s'est-il donc passé pour que le post-punk soit devenu en l'espace de quelques années une musique de mormons dépressifs sous perfusion de Théralène ? Est-ce parce que tu étais la seule à entretenir les héritages conjugués de Roxy Music et des Pistols ? Est-ce parce que les drogues d'aujourd'hui se prêtent moins aux orgies groovies que celles de ton époque ? Est-ce que tu songes à nous revenir, un jour ?

Allons donc... je sais bien que tu ne me répondras pas, va. Ne te donne pas cette peine - je n'attends pas vraiment de réponse. Nous n'avons qu'à convenir d'un code : si tu trouves que j'ai raison, publie un nouvel album des Banshees avant 2010. Je comprendrai le message.

Trois autres disques pour découvrir Siouxsie & The Banshees : Kaleïdoscope (1980) A Kiss in the Dreamhouse (1982) Nocturne (live / 1983) ...