mardi 16 octobre 2007

Siouxsie & The Banshees - 2 lives, 1 seul mythe

Siouxsie & The Banshees sont sans doute l’un des groupes les plus passionnants de toute l’histoire du rock. Leur discographie est d’une richesse et d’une diversité qui n’a de cesse de me surprendre. D’une qualité impressionnante, aussi, en dépit de quelques errances de fin de carrière (l’album Superstition, principalement… car j’avoue en revanche beaucoup apprécier The Rapture – ultime opus considéré par tous les gens sérieux comme un désastre). Le plus surprenant étant sans doute que la plus grande qualité du groupe est également son pire défaut : l’instabilité permanente de son personnel (les Banshees n’ont jamais réussi à tenir plus de trois disques avec le même line-up, et ont épuisé rien moins que sept guitaristes depuis 1978 – huit en comptant Marco Perroni qui ne joue que sur quelques raretés) aura permis aux Banshees de s’enrichir régulièrement d’apports extérieurs brillants… tout en creusant la tombe d’une équipe qui ressemblera de plus en plus à une parodie de groupe au fil des années.
   
Nocturne fut pendant longtemps le seul live officiel des Banshees, et on peut le comprendre tant les fans semblent y être attachés. J'en ai croisé beaucoup dont c'était l'album favori du groupe, ce qui est tout de même plutôt rare pour un enregistrement de ce type. Je dois avouer en revanche que pendant des années j’ai eu du mal à m’expliquer leur engouement pour un disque que je trouvais un poil trop long et qui en plus montrait des Banshees sans John McGeogh – LE guitariste de LA trilogie des débuts 80’s : Kaleidoscope / Juju / A Kiss in the Dreamhouse. J’y trouvais de plus l’apport de Robert Smith un peu terne, le son curieusement clair… enfin, il ne me plaisait pas trop, jusqu’à ce que je me le réécoute il y a un an et demi et que je change violemment mon fusil d’épaule.
 

Le truc, c’est qu’il ne faut pas écouter Nocturne comme un live des Banshees, mais comme un album à part entière. Il est doté de sa propre couleur, de son propre ton et de son propre son. En fait Nocturne est par bien des aspects ce que tous les albums lives devraient être : une performance ponctuelle, s’éloignant des sentiers battus des albums studio et offrant quelque chose de plus. Il fixe le groupe à une date précise (bon, ok : deux – mais c’est tout de même nettement mieux que les best of lives issus de quatre tournées différentes), dans une formation précise, à un chapitre précis de sa carrière. En l’occurrence au terme d’une triplette d’albums INDISPENSABLES au gré desquels la musique de Susan Dallion & Co. a glissé du punk à la cold-wave puis de la cold-wave à quelque chose d'unique, un genre de goth-rock totalement psychédélique et absolument magique. En 1983 les Banshees s’apprêtent à clore le chapitre, à enregistrer leur disque le plus bizarre (Hyaena) et – mais ils ne le savent pas encore – à se séparer de leur principal artificier (McGeogh, initialement remplacé pour cause de dépression nerveuse, mettra sa carrière entre parenthèse jusqu’en 1986 – date à laquelle il intègrera PiL). Et ils publient en guise de transition ce concert impressionnant de rage, de romantisme et de puissance, comme un compromis parfait entre la rugosité de leurs deux premiers disques et l’esthétisme psyché des trois derniers. « Cascade », peut-être leur plus grande chanson, illustre ceci à la perfection : urgence, sensualité, énergie presque primitive… tout simplement incroyable, avec cette voix majestueuse, cette batterie qui explose en guise de final… bougez pas : je reprends mon souffle et je reviens.
 
Ce qui est intéressant dans ce disque, c’est qu’en général même les meilleurs lives s’oublient vite. Leurs répertoires aussi excellents soient-ils ne font pas office de classiques : quand on parle de « Satisfaction », de « I Am the Walrus », de « Starway to Heaven »… bref de n’importe quel standard du rock, on fait allusion à sa version studio. Or sur Nocturne, certains titres sont devenus des classiques au-delà de leur version originale, ce que je trouve assez fascinant. L’entrée en matière « Sacre du Printemps/Israël » a fait date, elle est connue et citée en référence comme s’il s’agissait d’un single. Idem pour la reprise de « Dear Prudence », pourtant sortie un an plus tard en version studio, mais de toute façon immortalisée ici. C’est quelque chose de plutôt étonnant, sans doute dû en grande partie au fait que Nocturne a un avantage majeur sur les albums studio qu’il pille : il n’a quasiment pas vieilli. Juju non plus me direz-vous… mais si, dans le son, un peu quand même. Un tout petit peu. Je veux dire : Juju ne pourrait pas être sorti l’an dernier. Nocturne, si. Il est tellement intemporel qu’il pourrait même être sorti n’importe quand ces trente dernières années. C’est un disque à part, quoi. Une œuvre authentique comme on en entend peu en matière de productions « en public », aussi sauvage (« Spellbound », « Switch ») que désespérément émouvante (« Night Shift », « Sin in My Heart »). Et Robert Smith, finalement, n’est pas si terne : il est juste discret, tout en se permettant quelques impros bienvenues sur « Paradise Place » ou « Voodoo Dolly ».
   
On comprendra dès lors aisément qu’il ait fallu vingt ans pile-poil pour réentendre un live officiel des Banshees. S’il est de bon aloi, lorsqu’on est un grand groupe, d’avoir publié un grand live, en publier un second est presque toujours une idée complètement débile qui anéantit pour l’éternité toute votre crédibilité. A ceci près qu’au terme des années 90, les Banshees n’ont quasiment plus aucune crédibilité – donc plus grand chose à perdre. Sans doute poussés par des intentions peu louables, les voilà qui se réunissent en 2002 pour quelques concerts. Nouveau chapitre ou manière un peu plus correcte de définitivement clore le sujet ? se demande alors la presse. Le recul force à reconnaître qu’alors même que beaucoup priaient pour qu’il s’agisse de la première hypothèse, c’est la seconde qui s’est avérée exacte. Tant mieux : si les Banshees avaient réellement dû rendre armes et rimmel en 1996, après un album massacré par la critique et un communiqué de presse piteux, la légende en eut été salie. Dès lors The Seven Year Itch fait officie de final autrement plus grandiose.


Car oui, on peut aimer autant ce disque que Nocturne. Je connais même un tas de gens qui le préfèrent très franchement. A vrai dire ils se complètent merveilleusement, et pour cause : ils ont les mêmes qualités. C’est à dire que The Seven Year Itch, en plus d’un répertoire fatalement génial et d’une interprétation de haute volée, est également un album à part entière doté d’une couleur propre (je ne vous referai pas le topo dans son intégralité). Même les titres qui font doublon (il n’y en a pas tant que ça, d’ailleurs) sont absolument réjouissants. Ni meilleurs ni moins moins, non : juste différents. « Voodoo Dolly » est même très loin de ce qu’elle fut dans les années 80, ce qui ne surprendra personne : les Banshees, même lorsqu’ils étaient mauvais, ont toujours fait passer l’exigence artistique avant tout. Ils ont parfois commis des disques inégaux ou ratés, mais au moins ne se sont-ils jamais répétés et ont-ils toujours essayé d’aller de l’avant. The Rapture n’était pas le disque pathétique d’un ex-grand groupe incapable de se renouveler, mais un projet ambitieux qui fit flop.
   
C’est toute la différence entre les Banshees et la plupart des groupes reformés : eux ne se sont pas contentés de remettre le couvert pour balancer douze tubes et empocher la monnaie. Ils ont recruté un huitième guitariste tout ce qu’il y a de plus crédible et respectable (Mister Knox Chandler – des Psychedelic Furs – en personne), ont donné à leur matériel une couleur précise (résolument rock, dure, plus abrasive que quasiment tout ce qu’ils ont enregistré depuis leurs débuts)… et surtout se sont éloignés des figures imposées par la popularité de leur discographie. A quoi bon recoller ici « Spellbound » ou « Cascade » alors qu’ils sont déjà immortalisés sur Nocturne et que les fans en ont tous dix exemplaires pirates dans leurs i-pods ? Autant proposer autre chose : après tout les Banshees n’ont pas commencé en 1980 et n’ont pas fini en 1982 – même si beaucoup de grincheux aimeraient sans doute les cantonner à cela. Ce qui dans les faits nous donne trois titres de The Scream en ouverture (dont un « Metal Postcard » tout simplement fabuleux), deux morceaux de Tinderbox deux morceaux de Tinderbox absolument transfigurés…et globalement une prédominance pour les albums non-représentés avec Nocturne. Le tout livré dans des versions électriques et nerveuses, à des années lumières de la pop parfois un peu molle sur laquelle nous avions laissé Siouxsie, Severin et Budgie en 1996.
 
Les grincheux, encore eux, vous diront qu’éviter de mettre les mêmes titres que sur le premier live dans le second n’est que le minimum syndical. Peut-être. Mais c’est un minimum syndical dont quasiment aucun groupe ne s’est jamais encombré. Sans doute parce que même les meilleurs n’arrivent à envisager un disque live comme une œuvre à part entière.
 
Les Banshees, eux, l’ont compris. Ce qui dans leur cas rend un peu caduque le concept de bootleg, car bien sûr il y a des concerts géniaux en pirate mais aucun qui ne soit comme ceux-ci « fait pour sortir en disque ». Beaucoup de prestations, mais pas des performances. Beaucoup de concerts, mais pas ce qu’un live devrait toujours être.


Siouxsie and the Banshees ;
👑 Nocturne | Geffen, 1983
👑 The Seven Year Itch | Sanctuary Records, 2002

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