vendredi 9 février 2018

Brain Lord - La Beauté cachée des Laids

C'est l'histoire d'un jeu dont on dira qu'il est clair sur ses intentions. A part en mettant une grosse photo de cerveau sur sa jaquette, ce qui n'aurait pas été plus moche que le résultat final, on voit mal comment Enix aurait pu être plus explicite. Brain Lord. Un titre programmatique, comme on dit. Trop, peut-être, tant il sonne comme celui d'un jeu de société principalement composé de casses-tête. Il y a de quoi refroidir le joueur égaré. Mais il y a de quoi aussi l'exciter, comme nous l'allons voir.

Brain Lord est le genre de jeu à côté duquel on peut totalement passer, même en y jouant un certain temps. Parce qu'il est difficile, mais surtout parce qu'il ne paie pas de mine et ne fera rien, dix à quinze heures durant, pour se faire aimer de vous. Mélange très classique, presque binaire, d'action-RPG (les combats sont en temps réel) et de dungeon-crawler (le scénario tient sur un confetti plié en quatre et le gameplay se focalise sur l'exploration de donjons mal fréquentés), Brain Lord est un soft qui, objectivement n'a pas grand-chose pour lui. C'est évidemment encore plus vrai en 2017 que ça ne l'était au moment de sortie, puisqu'à une apparente fadeur a succédé un vieillissement précoce (encore que l'animation demeure plutôt dynamique en dépit du poids des ans). Graphismes, bande-son, intrigue... si l'on excepte la jouabilité, assez excellente, tout y est dans la moyenne de l'époque - voire même légèrement en-dessous. Une époque où Zelda constitue l'Alpha et l'Omega du jeu d'aventures mais où le trône commence à être vacant depuis un bon moment (A Link to the Past a déjà plus de trois ans et aucune suite n'est encore programmée sur consoles de salon) et où les prétendant se bousculent pour clamer l'héritage. Sony vient de frapper un grand coup avec Equinox, suite d'un antique jeu N.E.S. (Solstice), genre de Zelda en perspective isométrique et en mode hardcore. Quelques mois plus tard, Sega publiera Crusader of Centy (Soleil, en VF), qui en reprendra l'univers coloré, une partie de la trame et pas mal de gimmicks. Brain Lord, lui, s'inspire surtout de son sens de l'épure1, qui faute de thunes vire à une certaine austérité. Après quoi il attrape ses énigmes et en multiplie la difficulté par 20. C'est d'ici qu'il tire son titre et c'est assurément cela qui fait son charme un tantinet sadique.

Le héros de Brain Lord est fort bizarrement proportionné.

Brain Lord propose un vrai challenge, mais il le fait de manière intelligente et même, cela semblera évidemment bizarre si vous restez bloqués sur son apparence, assez ambitieuse. Il ne s'agit pas de doper artificiellement la difficulté, comme ailleurs, en rendant les ennemis extrêmement résistants ou le héros extrêmement faible, à la manière de The 7th Saga, dont nous avions parlé il y a quelques temps. Son approche est bien plus subtile et son idée est de proposer à chaque donjon (voire, dans certains cas, à chaque salle) un véritable défi - pas de multiplier les situations inextricables et les énigmes insolubles. Celles-ci sont innombrables, parfois sacrément retorses, et surtout : très variées, c'est-à-dire imprévisibles. Tout le contraire de ce que l'on trouve habituellement chez Zelda, dont les casses-tête se répondent de part et d'autre du jeu, lorsque ce n'est pas d'un jeu à l'autre, tant et si bien qu'une fois que l'on connaît les bases de la série, même les pics de difficulté demeurent assez balisés. Chez Brain Lord, on ne sait jamais rien et ce qui nous attend surpasse toujours, en terme d'inventivité, ce que l'on pouvait craindre. En somme si Zelda, on l'a dit ailleurs, fonctionne comme un Rubik's Cube, on pourrait dire que Brain Lord est un genre de Mastermind avec beaucoup, beaucoup de couleurs différentes (façon de parler, n'est-ce pas, vu le côté fort terne de ses graphismes). D'autant que les donjons en eux-mêmes ne sont pas des cadeaux : ils bénéficient d'une architecture tortueuse à souhaits, paraissent souvent immenses et mettent sacrément au défi votre sens de l'orientation.

Tout cela ne suffit sans doute pas à en faire un jeu incontournable, soit. D'autant que Brain Lord souffre d'un défaut assez marqué au niveau visuel, non pas tant du point de vue esthétique (enfin si, aussi) que du point de vue pratique : on s'y perd trop souvent parce que si les donjons sont assez variés les uns par rapport aux autres, à l'intérieur, tout se ressemble plus ou moins. C'est le principe du labyrinthe, j'en conviens, mais cela peut générer une certaine frustration. Il n'est pas interdit de supposer que cela occasionnera même une relative lassitude chez certains joueurs, a fortiori s'ils sont habitués à l'hyper-assistanat des jeux contemporains (non qu'aucune assistance ne soit fournie au joueur, mais celle-ci est raisonnablement - normalement ! - dosée, rien à voir avec ce que l'on peut trouver dans un Legend of Skyfish - au hasard). On ne leur donnera pas forcément tort : c'est juste que Brain Lord n'est probablement pas un jeu pour eux. Fidèle à son titre, il est de ces jeux s'articulant entièrement autour de leur concept de base, avec très peu d’enluminures inutiles : tout y est tourné soit vers l'action, soit vers la réflexion, dans un équilibre qui semble avant tout parfait parce que l'on ne fait quasiment plus de jeux comme ça de nos jours - mais dans le fond, Brain Lord était déjà un peu un OVNI à son époque : un RPG des années 80 lancé au moment et sur la console où les RPG deviennent de plus en plus charpentés et glamour. C'est sans doute ce qui explique qu'il soit passé plus ou moins inaperçu à sa sortie : par séquences, il passe déjà presque inaperçu lorsque l'on est en train d'y jouer. Pourtant, il fait partie de ces jeux dont les qualités paraissent évidentes avec le recul, et que l'on se refait avec encore plus de plaisir et presque autant de difficulté que la première fois.


👍 Brain Lord
Action RPG, Super Nintendo | Produce/Enix, 1994


1. Il est évidemment difficile de ne pas rire en écrivant cette phrase en 2018. Je parle évidemment de sa prise en main et de ses principes de jeux. A Link to the Past est à la fois très simple et très riche, c'est toute sa force.

8 commentaires:

  1. Jamais entendu parler de ce jeu. Ca a l'air bien tel que tu le présentes! Il y a eu des portages depuis?

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    1. AH AH AH, des portages, malheureuse ! :-)

      Il n'y a eu aucun portage de rien du tout, il s'agit d'un jeu totalement oublié et quasiment introuvable aujourd'hui à moins de 100€ (hors émulation).

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  2. Ah ça tombe bien, je suis pile dans ma période retro-gamming/super nes, je cherchais des idées de jeux un peu moins rebattus. Merci pour le tuyau!

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    1. De rien... et si tu as besoin d'autres tuyaux n'hésite pas, je connais quasiment tous les jeux parus sur Super Nintendo (sans rire ni exagérer).

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    2. Eh ben si ça t'ennuie pas je vais utiliser le mail "contact" pour qu'on en discute :)

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  3. C'est officiel: tu as testé tous les remix possibles de la chanson de Gainsbourg :D

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    1. :-)

      Je crois n'avoir testé que :
      - le titre original
      - son jumeau inversé (La Laideur cachée des Beaux)
      - sa variante la plus évidente (La Beauté cachée des Cons)

      ... je suis sûr qu'il y a d'autres combinaisons ^^

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