dimanche 20 novembre 2016

The 7th Saga - RPG Janséniste

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Que serait le Paradis sans un petit arrière-goût d'Enfer ? Quand on est trop à l'aise, c'est connu, on s'ennuie vite. Il faut bien un peu de soufre ; avoir le sentiment de mériter cette overdose de félicité, sans quoi elle n'aurait aucun sens.

Ok : j'exagère un peu, mais je ne savais pas trop par où commencer. Écrire sur The 7th Saga est un exercice compliqué car pour ce genre d'article consacré à un objet globalement inconnu, on a généralement besoin de savoir si l'on s'apprête à recommander ou au contraire déconseiller ce dont il est question. Or The 7th Saga (qui contrairement à ce que son nom peut laisser supposer n'est la suite de personne, ni le commencement de rien) se trouve quelque part entre les deux tendances. Difficile à résumer, et probable N°1 du Top 1 des jeux qui auraient pu être géniaux, qui avaient toutes les cartes, mais auxquels personne n'aurait jamais l'idée farfelue d'accoler ce mot.

Nous parlons ici d'un RPG de facture en apparence classique, dont on ne comprend pas tout de suite le pourquoi d'une aura relativement culte. The 7th Saga se situe à tout point de vue dans la moyenne de ce que nos amis japonais pouvaient produire sur 16 bits au début des années quatre-vingt-dix, quoique s'adressant sans doute à un public un peu plus adulte (et, nous l'allons voir, expérimenté) que le premier Final Fantasy venu. Assez proche de Dragon Quest dans sa mise en pli, ce qui inclut les fatigants allez-retour du côté du menu, il semblera sans doute un tantinet vieillot et lent aux joueurs habitué à l'Active Time Battle, qui existe alors depuis peu et n'a pas encore été pompé par tous les développeurs concurrents de Squaresoft. Nous parlons donc de tour par tour pur et (très) dur, inévitablement rigide, ce qui ne va pas sans un petit charme désuet durant au moins quatre bonnes minutes de jeu. Il faut dire que déjà, on a repéré d'autres particularités, à commencer par un habillage pour le moins austère (je n'ai pas dit cheap) qui ne présage a priori rien de bon dans les heures à venir.

Pourtant, tout commence bien – c'est la partie paradisiaque, dirons-nous. Un Roi un peu flemmard envoie ses mercenaires globe-trotter pour récupérer des runes magiques, le mode chacun pour sa gueule est de rigueur (chouette, on va échapper à la sempiternelle équipe de bras-cassés), et les premières promenades à travers ce monde sont plutôt sympas une fois digéré le design assez épuré (je n'ai toujours pas dit cheap). L'univers et l'écriture paraissent plutôt solides, ce qui se confirmera tout au long du jeu : on est dans le médiéval classique mais soigné, le scénario ne fait pas d'étincelles mais semble bien charpenté et surtout, excellente surprise (mais par pour longtemps) le joueur est très libre de ses mouvements.

Cheap Dépouillement, quand tu nous tiens...

C'est malheureusement ici que The 7th Saga commence à révéler son côté obscur – et si j'en ai un peu rajouté pour le Paradis, croyez bien que j'ai été plutôt pudique en parlant d'Enfer. Sorti des villes et autres contrées civilisées, les graphismes ne deviennent toujours pas cheap (non non), mais leur austérité monte encore d'un cran, au point que tout semble rapidement gris, terne, malheureux comme pas permis. Un très bon point pour l'ambiance mais un très mauvais pour le gameplay tant la lisibilité manque, en particulier dans des donjons ressemblant tous plus ou moins à de vieilles cavernes poussiéreuses abandonnées de tous (on entend bien que ce sont plutôt les repaires de monstres des jeux habituels qui sont peut-être un peu trop jolis pour être honnêtes, mais tout de même). Surtout, la quête s'avère rapidement d'une difficulté insurmontable... et quand je dis rapidement, ce n'est pas une façon de parler : dès le premier donjon, on comprend que tout cela ne va pas être une partie de plaisir. Austérité ? Jansénisme, même, tant le joueur va passer son temps à se faire défoncer par tout ce que cette planète compte de monstres, orcs, dragons et autres elfes sociopathes. Hors des villes, on n'a tout simplement pas le moindre moment de répit, si ce n'est lorsque l'on arrive miraculeusement à esquiver un des innombrables combats aléatoires à l'aide du bien-utile-mais-pas-assez radar situé à l'écran (on ne dirait pas comme ça, mais le concept en apparence simple d'esquive peut s'avérer particulièrement complexe dès lors que l'on ne peut se déplacer ni en diagonale, ni en marche arrière). Car il y a un radar, oui Monsieur oui Madame, parmi d'autres excellentes idées de gameplay que la difficulté infernale du tout s'en vient joyeusement ruiner.

Lisible ou non, c'est un autre débat...

Dans l'ensemble, c'est bien ce qui rend l'Enfer encore plus... brûlant, The 7th Saga propose même l'un des systèmes de jeux les plus complets et intelligents qu'on ait jamais croisés dans un RPG de cette époque. Chaque détail compte, aucun élément n'est laissé au hasard, y compris ceux qui, dans ce genre de jeu, ne servent généralement à rien (ou pas grand-chose) : parades, esquives, objets permettant de booster les compétences du personnage... tous ces trucs qu'on ignore poliment chez la concurrence trouvent ici non seulement une utilité, mais une véritable raison d'être s'agissant par exemple d'accepter de subir pour pouvoir riposter dix fois plus fort – voire carrément de mourir pour... je vous laisse la surprise. Vous avez bien lu : même les défaites et, par extension, les continues sont intégrés au système de jeu, et s'avèreront avoir une influence déterminante sur la suite de l'aventure. Laquelle offre d'ailleurs quelques très bonnes trouvailles scénaristico-ludiques, telle la possibilité de gruger en attendant qu'un des mercenaires concurrents ait récupéré une rune pour la lui chouraver sans remords, plutôt que d'aller se faire démantibuler dans un énième donjon sombre et mal fréquenté. Notez toutefois que lesdits mercenaires ont tout autant que vous la possibilité d'essayer de vous voler, et qu'outre la difficulté démentielle des duels qui en découlent, toute défaite contre l'un d'entre eux pourra faire prendre à votre partie un tour cauchemardesque. Ici réside tout le génie maléfique d'un jeu où presque tout s'avère possible, mais où rien n'est donné ni gratuit... à commencer par le simple fait de... survivre, ou disons d'essayer. Aspect rédhibitoire s'il en est tant rien n'est plus horripilant qu'un jeu dont le degré d'addiction n'a d'égale que la difficulté.

Pour illustrer cet aspect, il faut savoir que ce n'est même pas la peine d'essayer de pénétrer dans le premier château sans avoir pris au moins deux niveaux – vous ne feriez pas dix pas. Même ainsi, vous risquez de suer à grosse goutte, en particulier face au boss (le seul du jeu qui impressionne réellement puisque par la suite, n'importe quel ennemi de base sera suffisant pour vous faire monter les larmes aux yeux). Celui-ci vaincu (pas si difficilement que cela), vous récupérez tellement de points d'expérience (sans compter ce que vous avez acquis le temps d'arriver jusqu'à lui) que vous vous dites qu'allez, ça devrait aller mieux à présent. Naïveté touchante que cela : dès le second donjon (en fait une caverne – une vraie, mais bref), vous vous faites exploser en deux coups. Même avec l'équipement optimum et alors que vous êtes déjà au niveau 7 ou 8. Et ça ne va pas aller en s'arrangeant, chapitre après chapitre. Si la quête est relativement courte dans l'absolu, des heures et des heures de levelling sont indispensables entre chaque chapitre, en gardant à l'esprit que le levelling lui-même peut s'avérer extrêmement dangereux tant les ennemis sont costauds. Le pire, c'est que paradoxalement, les niveaux montent assez vite. Mais ce ne sera quasiment JAMAIS suffisant. Autant dire qu'il y a de quoi rapidement se décourager, malgré les bonnes idées et un scénario non-linéaire plutôt bien troussé, dont seuls les joueurs acharnés (et par-là j'entends : qui auront pris un mois de vacances pour jouer à The 7th Saga douze heures par jour) connaîtront malheureusement le fin mot. Ce qu'on appelle, en somme, un gros gâchis de sa race – ou tout simplement un jeu inventé pour les émulateurs.


The 7th Saga
J-RPG, Super NES | Enix, 1993

11 commentaires:

  1. Dis donc, tu n'es pas très gentil avec les jansénistes ;)

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  2. Rah mince pour la difficulté, ça avait l'air cool comme vieux jeu...

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    1. Je te promets que cool n'est pas du tout un mot qui vient à l'esprit en y jouant ^^

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  5. Oh là, les commentaires bugouillent aujourd'hui, désolé par avance à ceux qui vont galérer avec...

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  6. Merci pour l'article :-)

    J'aime bien quand tu vas nous chercher des jeux totalement inconnus, c'est très instructif et souvent drôle.

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    1. Merci :-)

      Je me doute bien que ce genre d'article est un peu "gratuit", ça ne poussera personne à essayer le jeu, j'en ai conscience... donc autant que ce soit agréable à lire ;-)

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