lundi 15 mai 2017

Hallelujah, I Wanna Be Elected!


L'affaire semblait close, pourtant. La séquence – comme ils disent – était déjà terminée depuis vingt-quatre heures. Mais ce n'est pas grave : l'article donne tout. Il conclut et ouvre pour la suite. On en a lu plein des comme ça, depuis une semaine, et en même temps pas vraiment. Pas de si virtuoses. "De manière immodeste, je pense qu'on a besoin de moi." Les propos sont de Valls, Manuel, ancien Premier Ministre, ancien candidat à la candidature, ancien beaucoup de choses – mais pas depuis très longtemps. Pas assez en tout cas pour que les Français n'étant ni journalistes ni sociaux-démocrates aient envie de passer l'éponge sur sa politique ou son attitude. Surtout son attitude, à vrai dire, car si je ne partage personnellement pas toutes les opinions de Valls, Manuel, je ne suis pas assez stupide pour croire qu'il a payé autre chose que le prix de son arrogance, de sa rectitude surjouée et de son obsession identitaire auprès d'un électorat ne détestant rien plus que l'obsession identitaire. Sa politique, elle vient de remporter les Présidentielles. C'est tout son drame, du moins à en croire les nombreux articles tirent-larmes qui lui sont consacrés depuis une semaine. Il souffre parce qu'il a gagné tout en perdant. Il devrait être content, pourtant : l'intérêt supérieur du pays devrait être, si l'on se place dans sa perspective à lui, que ses idées l'emportent, coûte que coûte, puisqu'elles sont celles qui vont aider la France. Peu importe l'étiquette ou l'emballage. Peu importe le casting.

L'illustration est assez fascinante de ce que j'écrivais il y a quelques temps. Dans un autre pays, Valls, Manuel, passerait juste pour ce qu'il est : quelqu'un qui a beaucoup trop d'égo, qui a visiblement du mal à se remettre en question et qui dans tous les cas n'a clairement pas eu le bon sens ni l'humilité d'attendre plus de vingt-quatre heures après l’Élection pour donner le coup d'envoi d'un psychodrame d'une loooongue semaine. Cela ferait un entrefilet ou deux. Ici ou là. On aimerait ajouter que c'est d'ailleurs exactement l'image qu'on a de lui, actuellement, à l'étranger. Mais la presse internationale en parle encore moins que cela – elle semble considérer que l'actualité principale de la semaine française était l'élection d'Emmanuel Macron. Quelle drôle d'idée, tout de même.

"Ça m'a carrément miné, tout dégoûté !"

Ici, les choses sont forcément différentes. Nous sommes un peuple différent et nous ne manquons jamais de le rappeler, même et peut-être surtout lorsque ce n'est pas pour de bonnes raisons. Ici, face aux simagrées de Valls, Manuel, il se trouvera toujours une petite poignée d'accros aux hommes providentiels pour en voir partout et faire monter la sauce. Pour défendre ce genre ce comportement, voire pour lire dans cette obstination une Foi, un Destin, Quelque Chose de plus Grand que le simple caca nerveux d'un type dont l'humilité n'a jamais été la principale qualité. Double pas de bol : cette petite proportion de Français contient elle-même une proportion assez importante d'éditorialistes, des gens qu'on assimile souvent à des journalistes mais qui dans la réalité, outre qu'ils n'en ont pas toujours la compétence, en sont l'inverse absolu – pour eux, en qui sommeille souvent un écrivain refoulé et qui d'ailleurs nous abreuvent régulièrement de livres que personne n'achète, le récit et les personnages sont bien plus important que la contextualisation et les faits. Les éditorialistes font beaucoup de mal aux vrais journalistes, depuis longtemps et plus que jamais dernièrement.

Et c'est ainsi qu'un pays pétri de crampes qui vient d'élire un nouveau Président dans un contexte anxiogène au possible se retrouve suspendu à une actualité – l'avenir politique de Manuel Valls – dont 99,9 % de la population n'a strictement rien à secouer. Ce genre de truc fonctionne tout seul, d'autant qu'aux articles de complaisance et autres narrations sensationnalistes s'ajoute très naturellement le talent bien connu de l'intéressé pour l'hyperbole : "Après les trois jours que j'ai connus, d'autres auraient envie de jeter l'éponge", ose-t-il, laissant ses thuriféraires employer le mot "humiliation" à longueur de journées – la vérité est que ces gens ne savent même pas, même plus ce qu'est l'humiliation, la vraie. Ni d'ailleurs le ridicule. On en a pourtant eu quelques exemples récents, et pas nécessairement des exemples lointains auxquels un ancien Premier Ministre aurait du mal à s'identifier, genre avec des ouvriers ou des personnes lambda. François Fillon, tenez, un autre ancien Premier Ministre, vient de traverser six mois de quotidienne humiliation (méritée ou non, c'est un autre débat). La nuance entre "mauvais moment à passer" et "humiliation" devrait de fait, pour ces politiques émérites, couler de source. Eh bien non – mais ce serait mentir de dire qu'on en est surpris. Ne serait-ce si révoltant, on en serait vraiment embarrassé pour eux.

On notera que je ne parle même pas du fond, encore qu'il faudrait tout de même m'expliquer en quoi un homme rejeté par les urnes, qui s'est parjuré de manière totalement décomplexée, ne pourrait assumer les conséquences de ses prises de positions le temps d'une mandature ou deux. Cela ne donnerait d'ailleurs que plus de corps à la prise de position initiale : Oui, appelez ça une trahison si vous voulez, mais c'était pour la bonne cause et j'ai serré les dents durant des années par la suite, mais voilà, il fallait le faire, l'intérêt supérieur du pays passait avant mon petit cas personnel. Le discours de comeback était tout prêt et 2022, ce n'est pas si loin. Que voulez-vous ? Le Grand Roman de L'Homme Providentiel a beau être le livre de chevet de tous les hommes et femmes politiques de ce pays, ils s'accordent à peu près tous pour dire que le chapitre sur la traversée du désert est vraiment trop long et franchement soporifique par endroits.

Bah oui : pourquoi ?

Ce qui est fou dans cette histoire, c'est la franchise désarmante de Valls, Manuel. Il le dit. Il n'a aucun problème à le dire : « Au moment où survient la recomposition que j'ai toujours souhaitée, je vais être spectateur ? Non ! Je veux être dans cette séquence. » Posez-lui la question : il sera sincèrement surpris d'entendre que ce ton impératif, ce point d'exclamation, ce Je veux comme si c'était lui qui décidait s'il devait être élu ou non... sont exactement ce pourquoi les électeurs l'on rejeté il y a seulement quelques mois. Il ne peut pas l'entendre, il ne peut pas le comprendre – même pas la peine dès lors de lui répondre sur le fond, de lui rétorquer que si la « recomposition » était si importante à ses yeux, il pouvait aussi avoir les cojones de faire ce qu'Emmanuel Macron, dont on ne pourra guère m'accuser d'être supporter, a eu le courage de faire au bout de seulement deux années de politique. Valls a toujours craché dans la soupe du P.S (parfois à raison). Il a voulu en changer le nom, en changer la ligne, les mentalités, les gens, en changer tout... alors même qu'il y a toujours été minoritaire, comme en témoignent ses deux revers successifs aux primaires. Pourtant, Valls n'a jamais quitté le PS, contrairement à d'autres (Jean-Luc Qui ?). Le pourquoi du comment éclate au grand jour aujourd'hui, mais dans le fond qui en doutait ? La possibilité de se présenter sans étiquette, après tout, n'a rien d’infamant. De nombreux "sortants" bien moins médiatiques le font à chaque élection pour des raisons d'ordre divers, certains avec succès. Quand on est un député apprécié de ses administrés, à ce point sûr de son fait, ce devrait n'être qu'une formalité. Mais non : il fallait encore qu'il n'y ait aucune adversité. La simple contestation de son évidence ne lui était pas supportable : le simple fait de dire que sa présence à l'assemblée n'allait pas de soi était déjà une odieuse humiliation.

« Il n'imagine pas ne pas être élu », écrit la journaliste, dans une poétique double négation qui résume magnifiquement tant la situation de Valls, Manuel, que le problème fondamental de la vie politique française depuis des décennies. Malheureusement, c'est au simple détour d'une simple phrase. Ce n'était pas le sujet de son article. Ce n'est même pas un problème à ses yeux.

23 commentaires:

  1. Excellent article !

    Heureusement que tu n'as pas le pouvoir de faire et défaire les carrières ;)

    J'aime bien "Valls, Manuel", en plus. Mais là si tu me passes l'expression "il chie dans la colle".

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    1. Comment ça je n'ai pas le pouvoir de faire et défaire les carrières ???

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  2. C'est moche de frapper un homme à terre ;)

    Oui je sais qu'il n'est pas du tout à terre mais lui, c'est comme s'il se vit ! Ridicule, le mot est lâché et il est faible.

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    1. Attends, c'est dur quand même, on ne va pas souhaiter le chômage aux gens tout de même ;-)

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  3. Vraiment, merci. Cette polémique m'a épuisé.
    J'avais juste envie "qu'il la ferme". Ce n'est pas mon genre de penser cela. Mais un peu d'humilité, parfois, cela a du bon.

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    1. Tu m'étonnes. J'ai failli péter en câble quand j'ai vu sa sœur traiter les gens de "minables" sur Twitter, le tout rapporté par... Closer. Mais où on est là, bordel ?

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  4. Il n'imagine pas. C'est sa faiblesse, et c'est aussi sa force. Car le milieu dans lequel il vit ne laisse de place ni à l'imagination, ni au renoncement. En ce sens il est à la fois totalement déconnecté de la réalité à laquelle il prétend présider et totalement en phase avec l'attitude qu'il faut avoir pour y parvenir. Cf. Ségolène Royal. Le moule n'est pas cassé.

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    1. Il est un peu tôt pour dire si le virage "dégagiste" des Français (l'expression est assez condescendante, d'ailleurs) n'est qu'un feu de paille (voire une mode), ou s'il y a une vraie soif de renouvellement des personnels et des pratiques. Mais il vaudrait mieux pour Valls que ce ne soit qu'un feu de paille, car les derniers mois n'ont franchement pas été tendre avec ce qui ressemblait de près ou de loin à un "cadre"...

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  5. Pour moi le pire, c'est le timing. C'était vraiment impossible qu'il attende une semaine, dix jours ? Là, c'était complètement hors de propos...

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    1. Oui, voilà. Dans l'absolu je m'en fous un peu que Valls rejoigne la nouvelle majorité. Cela ne me dérange et dans le fond, ça coule de source. Mais la manière et le moment, franchement... ça ne fait franchement pas sérieux, surtout venant d'un mec qui a passé les cinq dernières années à qualifier la moitié de la planète d'irresponsable (même Merkel !)

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  6. Tu pouvais écrire la même sur Bayrou, même si ce fut plus court...

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    1. Mais surtout, Bayrou avait conclu une véritable alliance. Valls, non. Il était tellement sûr de lui que ça allait de soi, pas besoin d'accord.

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  7. Excellent billet.

    Le "je pense qu'on a besoin de moi", j'ai entendu un certain Vaillant, Daniel, dire quelque chose d'équivalent pour expliquer pourquoi il briguait l'investiture REM... Ils sont incorrigibles...

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    1. C'est mon ancien maire et je suis à peu près sûr de ne jamais avoir eu besoin de lui ^^

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    2. Nous on avait besoin de lui quand il y avait des petits fours au collège... A moins que ça ne soit l'inverse. :-)

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    3. Il a l'air en effet d'aimer les petits fours ^^

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  8. Très bon papier, mais on sait désormais que ces propos émanent d'un Copéiste notoire :D

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  9. Une volonté pour la France !!

    Ah, ce n'était pas celui-là ? ;)

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  10. Au-delà de Valls il a pas fallu trois jours pour retrouver les vieilles habitudes. C'est écœurant.

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    1. C'était prévisible, en même temps... les mecs ne comprennent rien, ne se remettent en question, l'incarnation-même de l'expression être inconséquent.

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  11. Bien sûr, c'est un peu ridicule, ça humanise aussi d'être ridicule, impulsif...Moi j'ai quand même de la sympathie pour Valls, il y a quelque chose que je trouve "vrai" en lui.

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