mardi 8 octobre 2013

Verone - Crève-cœur

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Nos empreintes sur la pierre / Ont fini par sécher / Mais certains matins d'hiver / On nous entend rôder

Il y a eu un décès. Puis un autre. En quelques jours, comme ça. Comme dans un film super pathos, du genre qui se ferait démonter plan par plan sur ce site ou d'autres. Entre les deux, il y a eu l'album de Verone dans ma boite aux lettres. Un disque tout en atmosphères, qui m'a immédiatement pris à la gorge, sans trop que je sache si c'était lui ou bien si c'était moi. Si c'était le disque, ou si c'était juste le moment. Avec quelques semaines de recul, c'était bien le disque. Je n'avais rien fait de particulier, ni moi ni ceux qui venaient de s'éteindre (les pauvres). C'était bien La Percée qui convoquait les ténèbres lorsque je le glissais sur la platine, et non mon humeur maussade qui en faisait un ouvrage plus mélancolique et plus beau qu'il ne l'était réellement. Des fois, j'aimerais m'arracher le cœur pour pouvoir apprécier certaines œuvres à leur juste valeur. Mais je suppose que si je m'arrachais le cœur, je n'apprécierais plus grand-chose1.

Il y a beaucoup de choses dans La Percée. Des qualités, principalement. Des surprises, lorsque l'on ne connaît pas ou peu le duo (ce qui était - est toujours, à la minute où j'écris ces lignes - mon cas). Des textes qui composent leur propre musique à l'intérieur des chansons ("Fish Pédicure", "Vieille peau"). Un son ample, chaleureux même lorsque les atmosphères sont des plus arides ("La Vallée", "La Percée"). Des guitares superbement captées (à peu près partout). Une cohérence rare (de production, de ton ou de climats), en France, pays où l'on aime bien dire "je fais de la chanson" pour oublier qu'on ne sait pas forcément toujours faire de la musique. Mais il y a surtout une magie, un truc qui fait que l'on ne puisse s'empêcher d'y revenir sans cesse, même si ses atmosphères parfois pesantes ne donnent pas forcément envie de se l'envoyer tous les matins au petit déj. Un truc qui fait que l'on sait instinctivement que l'on tient là plus - mieux - qu'un simple "très bon album".


Il est dur à définir, ce truc, et les écoutes répétées n'y changent pas grand-chose. On constate simplement qu'elles n'usent pas vraiment les chansons (hormis "Quand même", unique fausse note  dont on a déjà sa claque au bout de trois jours, sans doute un peu injustement et parce que, coincée entre les deux plus morceaux du disque, elle en démolit pour bonne part la dynamique). Que l'on se laisse happer facilement, et à chaque fois, par le climat général autant que par les titres en eux-mêmes. Ce côté folk-mais-pas-trop - et, promis : jamais comme on l'attend. Cette richesse intérieure, qui ne confond jamais l'épure avec le cheap. Ce sens de l'emphase, qui surgit toujours au bon moment, presque sans fioritures (ce qui n'est généralement pas la principale qualité des choses emphatiques). On pense un peu à Tue-Loup (cette manière tricoter des tenues luxuriantes à ce bon vieux bon folk-rock), beaucoup à Marcel Kanche (ces atmosphères, cette présence, ce sentiment d'entrer dans un univers poétique régit par d'autres codes que ceux qui s'appliquent à la plupart des disques). Des artistes aimés, chéris et parfois adulés dans ces pages, auprès desquels Verone trouve sa place très naturellement, qui lui non plus ne pratique pas un lyrisme dégoulinant ni une mélancolie tire-larmes et factice. Il suffit d'écouter "Mamie" pour s'en convaincre : chez la plupart des autres, un tel morceau serait sirupeux et dégueulasse, quand il coule de source sur La Percée, album où l'émotion est d'autant plus palpable qu'elle est souvent étranglée et ne se fait jamais putassière. C'est sur ce point aussi, hélas, que la comparaison avec les artistes susnommés pourrait être filée à l'infini : comme chez Kanche, comme chez Tue-Loup, des gens qui végètent dans l'underground de la chanson française depuis vingt ou trente ans, on voit mal qui pourrait bien faire un triomphe à une musique aussi exigeante, profonde et peu encline aux œillades vulgaires qui font le succès des autres - ceux qui passent sur cette radio ou sont encensés par ce magazine2. Nous vivons dans un monde paradoxal où l’on nous sert du C'est bien parce que c'est émouvant à toutes les sauces, mais où signer un album bouleversant à vous en couper le souffle est rarement le meilleur moyen d'empiler les disques d'or et d'enquiller les passages en radio. On ne peut que souhaiter à Verone de voir quelqu'un (n'importe qui ayant un peu plus de rayonnement que Le Golb) s'emparer de La Percée et tanner tout le monde avec. Nous parlons là d'un des plus beaux albums francophones qu'on ait entendus depuis longtemps, pour tout un mélange de raisons subjectives comme objectives que l'on ne prendra pas la peine d'énumérer. Probablement depuis un Tue-Loup ou un Kanche, ce qui constitue déjà en soi un indicateur du niveau de qualité de l'ensemble. Je vous laisse le soin de choisir lequel, en quelle année, et le moment forcément douloureux qu'il vous rappelle.

Verone sera en concert demain soir à Paris (Trois Baudets).      


👍👍👍 La Percée 
Verone | Martingale, 2013
 

1. Certains ajouteraient sans doute que ce serait la mort assurée. Je préfère ne pas entrer dans ce genre de houleux débat, n'ayant de toute façon pas pour projet de m'arracher le coeur dans les mois à venir. Je laisse ça aux poètes, aux suicidaires et aux serial killer (non, ce ne sont pas les mêmes. Pas toujours).
2. Inutile de les nommer, vous les avez reconnus de vous-mêmes.

12 commentaires:

  1. Entendu l'autre soir chez un ami, c'est clair, ça ne donne pas envie de faire tourner les serviettes, et c'est TANT MIEUX :)

    Si même Le Golb s'y met, je sais ce qu'il me reste à faire ;)

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  2. Vu sur scène il y a des années... et absolument pas convaincu...

    Eh bah franchement pas convaincu par ce Izenah... :-)

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    1. En même temps vu le genre de musique, c'est presque encourageant que tu n'aimes pas :-)

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  3. Vrai que c'est un très bel album!

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  4. J'ai essayé au petit déjeuner, juste pour te faire mentir, bon, ça ne marche pas trop :-)

    Par contre je pense que le soir, à la nuit tombée, ce doit être un petit délice.

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  5. "...pas pour projet de m'arracher le coeur dans les mois à venir. Je laisse ça aux poètes..."
    ça, c'est un pur lieu commun: la souffrance dans l'imaginaire public d'une pseudo intelligentsia serait le prix à payer pour l'accès à la créativité.....personne n'est obligé de souscrire à ce genre de bullshit ras-des-chrysanthèmes, l'avis des morts sur les vivants ne présentant pas grand-intérêt

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    1. Je crois que la remarque se voulait ironique...

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    2. pourquoi? tu as l'impression que la mienne se prend au sérieux? si c'est le cas, tu n'as pas fini de t'inquiéter alors..;-)

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    3. Oui, effectivement. D'autant que je suis totalement de l'avis de GMC.

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  6. Du coup j'ai écouté l'album entier et c'est vrai que c'est pas mal du tout (même si en fait c'est pas trop mon truc, mais je reconnais que dans le genre j'ai pas souvent entendu mieux, Suspends tes chaussures ou Fish pédicure c'est vraiment de beaux morceaux)

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