mardi 8 octobre 2013

Ramona Córdova – Le Temps sans l’argent

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De nos jours, chaque instant compte triple. La série Breaking Bad s’est achevée il y a moins de dix jours qu’elle est déjà considérée comme un classique. Le dernier Nick Cave a paru en février, mais pour beaucoup, c’est quasiment un album de l’année passée. MGMT a publié son premier album en 2007 – c’est un groupe installé. Même les artistes paraissent par moment vieillir plus vite que ceux des générations précédentes. A peine une décennie après ses débuts discographiques, Pete Doherty semble être là depuis toujours. Les Arctic Monkeys n’ont pas trente ans de moyenne d’âge qu’ils publient déjà des albums de rockers quadra. Jack White ? C’est qui, déjà ? Une vieille légende des années 90 ? Confusément, l’auditeur se rappelle avoir vu un album de son (forcément) ancien groupe dans la discothèque de son grand frère. Un mec trop bizarre qui avait des disques. Même qu’il les achetait.

Dans ce monde étrange où à plus de vingt-cinq ans on commence assez régulièrement à se sentir perdu, en mettre sept rien que pour publier son second album est un luxe que seules peuvent encore se permettre les stars du Vieux Monde, celles qui ont connu le succès, les CD Singles, les majors en nombre paire signant de jeunes artistes à tire-larigot. Les stars et, à la rigueur, les fous. Il n’y a qu’un doux dingue pour se permettre de laisser passer plus de deux ans sans surfer sur un succès fût-il d’estime, ou bien alors un type n’ayant aucune vague notion de carrière – dans ce monde étrange, il n’y a de toute façon aucune différence entre l’un et l’autre. Il est très possible que la plupart de nos lecteurs n’aient jamais entendu parler de Ramona Córdova. Il est probable que d’autres en aient entendu parler et l’aient oublié depuis bien longtemps, lui qui publiait pourtant, avec The Boy Who Floated Freely, l’un des plus beaux albums de l’année 2006. Inutile de le préciser, ce site n’existait pas à l’époque (en tout cas pas sous sa forme actuelle). Comme la plupart de ceux que vous lisez quotidiennement. Qui d’ailleurs n’existeront probablement plus lorsque Ramona Córdova publiera son troisième album, en 2020. Celui-ci compris, sans doute.


Le jeune homme, qui a donc pris pas mal de bouteille, se rappelle au souvenir de ceux qui ne l’ont pas oublié ces temps-ci. C’est-à-dire pour quelques semaines, peut-être un mois ou deux si vous consentez à lui laisser une chance. Vous devriez : s’il est bien une chose qui n’a pas changé depuis la décennie précédente, c’est la voix sublime d’un singer-songwriter qui, si on le comparait (à tort) à bien d’autres à l’époque, ne sonne plus comme personne aujourd’hui. Les modes aussi, passent plus vite, et la folk néo-bab semble un bien lointain souvenir aujourd’hui. Inutile de préciser que c’est heureux, et que c’est avec un plaisir non-feint que l’on retrouve en 2013 l’un des seuls qu’on n’avait pas envie de jeter aux oubliettes alors. Un type qui a de folk l’attitude, les vibrations et l’authenticité, sans pour autant s’enfermer dans des formules mal pompées chez des classiques des sixties ne lui ayant rien demandé. C’est d’ailleurs souvent loin des chemins boueux et des dirty roots que s’illustre le mieux Quinn to New Relationships, album de voyages immobiles sans prétention et sans clichés. Louchant vers la pop de chambre sur un bon tiers du disque, Ramona Córdova étonne occasionnellement les dix-huit auditeurs se rappelant de lui, en évoquant par éclats des Tiersen (Afer All) ou des Divine Comedy (Ballroom) revisités par sa voix de petit oiseau timide se prenant petit à petit au jeu de la scène. En plus épuré, cela va sans dire – on ne se refait pas. En plus chaleureux aussi, par conséquent. Si tout n’est pas irréprochable et si l’ouvrage a tendance à légèrement s’étioler dans son dernier quart, on peut compter sur Ramona Córdova pour donner le sentiment qu’il est en train de jouer ici, dans votre appartement ou votre chambre, rien que pour vous – même lorsque les architectures des morceaux sont plus élaborées. Cristalline mais jamais bêtement démonstrative, la voix tout en aigus funambules ne doit d’ailleurs pas masquer les qualités de l’écriture, élégante et pleine de subtilité : c’est joli parce que c’est solide, et inversement. On est conquis quasiment dès la première écoute (il faut dire que la chanson inaugurale, The Coda, fait partie des plus belles choses qu’on ait entendues cette année) et l’on ne cesse d’y revenir, malgré ou peut-être à cause des temps plus faibles, qui ne rendent les temps forts que plus exquis (voir Others ou l’étincelante Wash, typiquement le genre de mélodie gracile que l’on désespère de jamais réentendre sur un album de Radiohead). Pour ne pas dire « long en bouche », puisque comme souvent avec ce type d’artiste, le geste est joint à la parole : Quinn to New Relationships est typiquement le genre d’album qui en garde sous la pédale, et en donne un peu plus à chaque écoute – sans rien perdre de sa spontanéité et pour autant qu’on n’arrête pas de l’écouter au bout de trois semaines, comme c’est devenu la norme dans ce monde étrange dont nous parlions plus haut. De là à tenir sept longues années avant d’entendre son successeur, il y a probablement une marge. Mais un bon moment, sans aucun doute.


👍 Quinn to New Relationships 
Ramona Córdova | Clapping Music/Murailles Music, 2013