mercredi 22 mai 2013

Ma chanson à moi, et rien qu'à Elle

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°104]
Stanley Brinks & The Waves Pictures (2008)

Quelque part, je continue de chercher Jane. Il arrive que je la trouve, mais ça ne manque jamais : elle finit toujours pas m'échapper. C'est même à cela que je finis par la reconnaître : elle peut prendre différents visages, changer d'apparence comme de voix au gré des rencontres. Mais demeure cette capacité innée à me glisser entre les doigts, chaque fois que je crois enfin la tenir. Bien sûr, je me mets aussitôt à lui courir après. Il m'est arrivé de friser l'arrêt cardiaque, à vouloir ainsi la poursuivre. J'ai toujours fini par capituler. Par la laisser filer en me disant qu'un jour ou l'autre, peut-être au moment où je m'y attendrais le moins, je finirais par la croiser à nouveau sur mon chemin.


Jane est la Femme. La Muse. L'Amour. La Bohème. L'Absolu. Tout cela à la fois - ou peut-être rien de tout cela. Peut-être n'existe-t-elle que dans ma tête, et peut-être que je devrais vraiment, un de ces quatre, cesser de croire que les chansons ressemblent à la vie (ou l'inverse - je finis par ne plus m'y retrouver).

Non. Ce n'est pas vrai. Jane existe, je l'ai rencontrée plein de fois. On en a bu des verres, elle et moi. On s'est même embrassé, une fois ou deux. C'était agréable. Toujours inattendu. Elle n'était juste pas comme dans la chanson. Elle n'emmenait la peine de personne au loin - elle se contentait juste de traîner la sienne à chaque pas. De toute façon personne ne lui en demandait tant. Elle était là et c'était bien assez, Jane. Égale à elle-même, donc un peu absente. Évanescente. Tendrement à l'écoute et bizarrement égoïste, avec cette manie de disparaître au moment où je m'apprête à lui dire combien je l'aime. Le temps que je trouve le mot juste, le seul que j'ai toujours le sentiment de ne jamais trouver, elle s'est déjà fait la malle. Je ne lui reproche rien : si elle restait, elle ne serait pas Jane. Je sais au fond de moi qu'elle me suivra où que j'aille, même si souvent de loin, même si elle préférerait mourir plutôt que de venir lorsque je l'appelle. Et puis je suis plutôt un sédentaire. Il y a assez peu de chances pour qu'on me retrouve à Prague en train de traîner avec Tsimermann ou un autre, d'ailleurs je n'ai pas le moindre commencement d'idée de qui peut bien être ce Tsimermann (du moment que ce n'est pas l'amant de Jane, de toute façon, il me dérange pas). J'imagine que pour elle, je suis moins marrant que d'autres à traquer. Vu comme mon univers est parfois étriqué, on a vite fait le tour des endroits où apparaître en étant sûr que je ne m'y attende pas. J'imagine que c'est pourquoi je ne la croise pas souvent, à mon grand regret. Juste en quelques occasions fugaces. Parfois, je ne suis pas non plus certain que ce soit bien elle. Je dois m'approcher un peu, lui parler... la toucher... afin d'en être convaincu. Je ne m'appelle pas Thomas pour rien. Ou plutôt si : je crois en Jane même - surtout - lorsque je ne la vois pas. Seul, je peux me surprendre à fredonner "Kiss Me Too" à son oreille. Je lui promets que nous irons nous baigner dans une mer très très salée. Tout un tas de choses que nous ne sommes pas, que nous ne ferons pas, que nous ne verrons jamais - puisqu'elle ne m'est jamais aussi proche que lorsqu'elle a déjà décampé. Oh et, d'accord : je veux bien reconnaître que quelque part, il m'arrive de lui en vouloir un petit peu. Mais pas plus. Ce n'est après tout pas sa faute si sa fuite m'emplit à ce point d'allégresse que l'idée de lui mettre le grappin dessus me semble une injure à la Beauté elle-même. Le jour où elle cessera son numéro de la grande évasion, je sais bien que ce ne sera plus pareil. Ce ne sera plus Jane. Ce sera juste une fille.

Sinon, Stanley Brinks & The Wave Pictures est un des meilleurs disques de ces dernières années. L'un des seuls dont je savais, le jour où j'ai décidé que cette rubrique dépasserait les 100 disques initialement prévus, qu'il serait retenu quoiqu'il arrive. Mais reconnaissez qu'à côté de considérations aussi élevées que l'Amour personnifiée, c'est presque un détail. D'autant que je dis cela de celui-ci mais que je pourrais aussi bien dire de même de la plupart des albums de Stanley Brinks (non, je ne les ai pas tous... mais je m'en approche un peu plus chaque mois : de puis le jour où j'ai entendu "Hi! Jane", chaque fois que j'ai un peu d'argent de côté, j'en achète un ou deux, sans même prendre le temps de les écouter avant). Cela peut paraître étonnant venant d'un artiste qui apporte un tel soin à l'unité de chacun de ses disques. Celui-ci renfermant trois des mes chansons préférées de tous les temps (les deux autres sont "Things Ain't What They Use to Be" et l'hilarante "Why the Martians Are Gone"), pour des raisons différentes mais qui toutes ont fini par m'habiter à leur manière, il devait échouer ici. Il n'empêche que cette rubrique aura rarement aussi mal porté son nom tant chez Brinks, ce sont les chansons qui m'aspirent, plus que la couleur musicale particulière de tel ou tel opus.

Hi, Jane by Stanley Brinks And The Wave Pictures on Grooveshark    

Trois autres disques pour découvrir Stanley Brinks (mes pauvres, vous n'avez pas fini...) 

Cook (2007)
Claps (2009)
Alligator Twilight (avec les Kaniks, 2012)

15 commentaires:

  1. Chanson choupi, article choupi, what a choupi world ;)

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    1. Ouais, choupi... vraiment ? Tu trouves ?

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    2. Oui!

      Oh mais tu aurais dû pousser jusqu'au bout et aller jusqu'à recommander d'autres chansons (et pas disques) ;)

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    3. Don't Leave Me
      Things Ain't What They Use to Be
      Brinkstown
      Birthday Song
      Yellow and Blue
      New York Song
      We Dress up Like Snowmen (bon ok, c'est une reprise des Wave Pictures)
      Stanley Brinks
      Good Old Me

      ... la liste est longue...

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    4. Et "Now You are pregnant", aussi!

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    5. Qui est - aussi - une reprise des Waves Pictures. Mais tu as raison, tous les albums de Brinks de/avec les Wave Pictures sont... poignants... ils se sont magnifiquement trouvés.

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    6. Je n'avais pas fait gaffe :)

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    7. J'ai rien à ajouter, mais tu connais la politique de la maison : pas d'articles à 13 commentaires. :-)

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  2. Vraiment touchant, ce texte. J'aime bien quand tu t'éloignes de la critique "tradi", et que tu laisses un peu parler ton talent d'écrivain. C'est rare, sur le Golb, alors que tu as quand même, excuse-moi, "une putain de plume".

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  3. connais pas du tout mais la vache, super ce morceau

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  4. Très bel article. Qui donne envie de se jeter sur le disque, alors qu'il n'en dit (presque) rien.

    BBB.

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