mardi 21 mai 2013

Carl & Les Hommes-boîtes – I Am NOT Insane

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"Pas mal de gens parlent de noirceur, on a souvent entendu que c’était glauque [...] ces gens-là n’ont peut-être pas perçu un second-degré, ou alors ils ont vraiment bloqué sur quelques mots qui ne représentent en fait pas grand-chose au sein de l’ensemble. "

Cette remarque que nous confiaient les auteurs de La Paroi de ton ventre il y a de cela (déjà !) deux ans et demi, on l’a souvent eue à l’esprit par la suite. Chaque fois ou presque que l’on a ressorti le premier album de Carl (Roosens) et de ceux qui allaient devenir les Hommes-boites. Cet Où poser des yeux ? fascinant dont on n’aurait effectivement eu aucun mal à dire qu’il était l’un des ouvrages les plus déstabilisants et, oui… glauques qu’on ait entendus ces dernières années, et qui a depuis tourné tant et tant de fois qu’on a fini par en rayer l’exemplaire promo de l’époque. Oui… on y a souvent repensé à ce moment de notre (long) entretien d’alors, parce qu’il modifiait – ou entendait modifier – considérablement notre perception du disque. Tout cela n’était donc pas si sérieux ? "Patiente pour défigurer", "Mes amis", ces morceaux suffocants à se taper la tête contre les murs, n’étaient donc que le fruit d’une erreur d’interprétation, d’un truc qui nous aurait échappé ? Et si non, cela signifiait-il que, lassés d’entendre dire qu’ils jouaient une musique « glauque », les désormais Homme-boites allaient se mettre à faire tout autre chose dans l’avenir ?

La Paroi de ton ventre, deuxième album d’un groupe qui s’assume à présent comme tel, apporte sans doute involontairement les réponses à ces questions. D’une part, il ne témoigne d’aucune rupture avec le précédent, et s’inscrit même dans sa plus parfaite continuité. Pour le reste, on est bien désolé de le faire savoir à ces gens au demeurant fort sympathiques, mais ce nouvel opus est au moins aussi glauque que le premier et réussit même la prouesse de paraître encore plus douloureux et anxiogène. Nous n’avons peut-être tout simplement pas le même sens de l’humour. C’est tout à fait possible, après tout. Et ce n’est sans doute pas grave. Possible aussi que nous ne parlions pas la même la langue, et que les mots de Carl n’aient pas le même sens que les nôtres. C’est après tout la définition-même de la poésie.


Alors chez lui, les corps vont décrépir et les êtres disparaître, de mille et une manières quoique toujours dans l’indifférence générale. Les mots les plus anodins sembleront sales, les idées les plus jolies paraîtront comme en état de putréfaction et le quotidien sera gris, lointain, un peu moche et souvent très ridicule. Si Où poser des yeux ? avait, au-delà de ses deux ou trois chansons les plus marquantes, un aspect farfelu, éclaté, orgiaque… La Paroi de ton ventre s’avère un disque autrement plus dense et pesant, qui multiplie lui aussi les styles mais change en revanche rarement de registre – et seulement ponctuellement de tempo. Heavy à sa manière, plutôt lancinant, il affiche une véritable cohérence et réussit à suinter encore plus le malaise que ne le faisait son prédécesseur – ce qui n’est pas peu dire. Cette impression diffuse et omniprésente qui avait saisi alors n’a pas disparu et est désormais devenue presque permanente : il y a quelque chose de malsain dans cette musique. Quelque chose de détraqué qui culmine dans les descriptions de corps, toujours un peu sordides et rarement bandantes – tout particulièrement lorsqu’elles parlent de cul. Capable de virer tribal ou industriel sans prévenir ("Caméra froide"), l’album enquille les lyrics morts au monde, cyniques et glacials comme du Houellebecq, baignant dans des soubresauts noise impossibles : « Il y a ces choses que vous auriez dû faire il y a des années, Monsieur / Par exemple reprendre vos études / Aujourd’hui il ne vous reste plus qu’à disparaître dans la nature / Prenez la petite porte à gauche [...] Votre peau si translucide me donne l’impression déjà / De m’adresser à la personne suivante ». Si on n’était pas dans un disque et si l’on ne s’efforçait pas de considérer la musique comme… de la musique (une idée qui ne devrait rien avoir d’original, n’est-ce pas ?), on noterait sans doute que c’est beau et froid comme le meilleur Hyvernaud. Ce regard extérieur, clinique, et cette voix blasée qui marmonne et ne se fend que par instants, lorsque l’humanité se rappelle au souvenir du narrateur.

S’il fallait vraiment comparer – on dit si : bien sûr qu’il le faut – La Paroi de ton ventre est sans doute un tout petit (petit petit) peu décevant en regard du fabuleux premier album du crew, en cela qu’il lui manque peut-être un ou deux morceau-phares, de ces choses tellement fortes qu’on ne puisse s’empêcher de se les repasser trois ou quatre fois à tous les coups. De tube, si vous préférez, et en ayant à l’esprit qu’aucune radio mainstream n’aurait l’idée saugrenue de passer le titre le plus fun et pop d’un disque comme celui-ci. A part éventuellement le chef-d’œuvre "Perdue dans mon ventre", ce second album ne contient pas vraiment de grande chanson comparable aux "Mes amis" et autres "Le Chien" d’antan. Ce n’est pas son but et il n’est pas interdit de penser que c’est un fait exprès. La Paroi de ton ventre est un album plus atmosphérique, moins rentre-dedans, qui distille plus qu’il n’assène. N’en écouter qu’un seul titre semble du reste assez impossible : les premières notes de "Perdre la langue" aspirent instantanément l’auditeur, victime consentante d’un rock – car c’en est assurément – morne, complaisant, sarcastique, prêt à le tourner et le retourner jusqu’à épuisement des sens. Bande de pervers.


👍 La Paroi de ton ventre 
Carl & Les Hommes-boites | Humpty Dumpty Records, 2013

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