jeudi 11 avril 2013

06h41 - Alone, Together

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Il y a d'abord et avant tout cette idée simplissime, donc excellente, de placer les deux personnages dans l'atmosphère très particulière d'un trajet en train au petit matin. Le détail a son importance : le train de six heures quarante-et-une, ce n'est pas celui de huit heures trente. C'est une autre ambiance. Plus silencieuse. Plus recueillie. Le train de six heures quarante-et-une, n'importe quel train avant sept heures, c'est celui où l'on colle sa joue contre la vitre en se disant que l'on va dormir un peu - sauf que bien sûr on ne dort jamais. On ferme les yeux. On se laisse un peu bercer. Les pensées dérivent. Le dernier roman de Jean-Philippe Blondel, en quelque sorte, se propose d'illustrer ce genre d'instant tellement... blondellien, quand on y pense, que l'auteur joue quasiment sur du velours. De fait, rarement on l'aura senti si maître de son sujet. Si l'on osait la formule ronflante (allez, osons) l'écriture de Blondel est celle du mouvement introspectif - à lire au sens littéral du terme. Il n'est jamais plus convaincant que lorsque ses personnages ne se déplacent pas ou peu dans l'espace. Il est un maître ès pensée vagabonde, un champion toutes catégories des souvenirs que l'on ramasse par bribes. D'une certaine manière, il ne pouvait pas gâcher un tel postulat. A la seconde où l'on comprend de quoi il va être question, on sait déjà que le roman va être réussi. Une femme et un homme se retrouvent à l'aube dans la promiscuité de ce train. Ils se sont connus, il y a longtemps. Aimés, peut-être - ou du moins ont été aussi proches qu'on peut l'être de l'amour lorsque l'on a vingt ans. Leur relation s'est mal terminée parce que ce genre de relation ne se termine jamais bien - parce que de toute façon ça ne veut rien dire : une relation qui se termine bien. Pour quiconque connaît l'auteur, il n'y a pas grand suspens (vous avez le droit de sauter au paragraphe suivant dans le cas contraire). Pas de vont-ils se parler ? ni de quelque chose naîtra-t-elle de cette rencontre ? C'est peut-être le seul véritable défaut du livre... du moins le serait-ce si un tel livre se reposait sur le suspens, mais on se doute bien, connaissant Blondel, qu'il n'échangeront au final que dix phrases à tout casser, et encore pas avant la moitié du roman. Il y a aura 90 % de banalités qu'ils se maudiront aussitôt d'avoir énoncées. Sans doute une petite lueur d'espoir à la fin, mais vraiment pas grand-chose parce que l'espoir, entre nous...

L'espoir ? Clairement, il ne prend pas le train de six heures quarante-et-une. Si ce roman est sans doute, du point de vue formel, le plus abouti de son auteur, c'est peut-être bien aussi son plus sombre. Ce qui n'est pas rien quand on sait que Blondel n'a jamais brillé par la gaieté de ses écrits. Des textes toujours enveloppés d'un halo de mélancolie, dont même les (rares) scènes de joie intense semblent avoir quelque chose de fragile, de douloureux. Il n'y en aucune ici, d'ailleurs. De scène de joie intense. 06h41, formidable roman à deux voix, n'est qu'amertume et résignation, aigreur et angoisse du temps qui passe (et du temps qui est passé et du temps qui passera bientôt, parce qu'il ne sait faire que cela et qu'aucun de nous n'y peux grand-chose). Il offre même un contre-pied étonnant à son prédécesseur, Et rester vivant, qui tout en traitant du deuil avançait d'un pas ferme en direction de la vie. 06h41 n'avance vers rien. Il passe même beaucoup de temps à reculer, faire des arrêts sur images jaunies, tourner et retourner le vertigineux concept du Et si c'était à refaire ? Sans bien sûr lui donner de réponse. Pour les (anti)héros de 06h41, ce qu'il y avait à voir est passé depuis un bail et ne reste qu'un panorama assez complet de tout ce qui fait la misère (et occasionnellement la beauté - mais surtout la misère) de n'importe quelle vie de n'importe quel individu une fois qu'il s'est (moue de dégoût) installé. Ça sent le roman de la crise de la quarantaine finissante. Ça tombe bien, c'en est un. Qui séduit d'autant plus que de mémoire, c'est la première fois que des héros de Blondel sont aussi vieux, désabusés, sans cette espèce d'énergie qui parvenait autrefois à secouer ses personnages les plus dépressifs. Bien sûr - on ne se refait pas - l'adolescence, la jeunesse... sont encore là, avec tout ce qu'elles traînent de sensations fugaces, de fous rires intérieurs et de parfums que l'on préfère oublier. Mais elle n'a jamais parue si loin, si inaccessible que dans ce double monologue dont les protagonistes vivent et ressentent des émotions parallèles, parfois symétriques, sans jamais réussir à briser le silence pour les partager. Ils sont emmurés en eux-même, ni réfugiés ni prisonniers : juste là, à se demander non pas comment sortir, mais simplement s'ils le veulent. Ou le doivent.


👍👍👍 06h41 
Jean-Philippe Blondel | Buchet/Chastel, 2013

10 commentaires:

  1. C'est vraiment un beau livre. Très triste, mais un beau livre quand même.

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  2. J'attendais un peu votre avis, car j'ai beaucoup entendu parler de ce roman, inhabituellement, pour Blondel. Mais je n'étais pas sûr que cela me donne envie.
    Evidemment, Le Golb change tout.

    ;-)

    BBB.

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    1. Oui, c'est connu. Le Golb détient la Vérité. Enfin pas assez connu visiblement, puisque d'autres sites continuent à publier des articles sur des sujets similaires. Je ne comprends pas :-)

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  3. Je n'ai pas trouvé ce livre si sombre. Triste, oui. Mais j'ai vu plus sombre. Vous êtes sûrs de ne pas y avoir plaqué votre "crise de la quarantaine finissante ?" :o))

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  4. Moi j'ai toujours du mal, avec Blondel. Chaque fois que j'en lis, je vois les qualités, mais il me manque un truc. Je crois que c'est l'univers qui ne me parle pas. Le côté "poésie des petites choses", c'est quelque chose dont je me lasse vite quand c'est fait sans humour, or, il n'est pas très drôle Blondel (pour reprendre ta blague sur Facebook), au contraire. Ca m'énerve un peu parce que son style est très bon, mais il ne s'en sert que pour raconter des histoires banales sur des gens avec des petites vies un peu étriquées, je crois que c'est revendiqué, d'ailleurs, je comprends que ça plaise mais, moi, ça me laisse toujours un peu à côté.

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    1. Je ne crois pas tout de même qu'il revendique d'écrire sur des vites "étriquées", hein ^^

      Après je peux comprends ce qui ne te plais pas.

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    2. Attends, je ne disais pas cela au sens péjoratif. Ce n'est pas un jugement de valeur, c'est un constat, au sens : les personnages sont à l'étroit dans leurs vies.

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    3. Reconnais que la nuance est faible et que "il ne s'en sert que pour parler de petites vies étriquées" n'est tout de même pas hyper flatteur ;-)

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