lundi 10 décembre 2012

Rammstein - The Golden Age of Unsanitary

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Voilà qui ne nous rajeunit pas. Eux non plus, du reste, mais nous encore un peu moins. Rammstein qui sort un best of… mais ils sont déjà si vieux ? Eh oui. Nous aussi, du reste.

C’est avec un petit pincement au cœur que l’on se plonge dans Made in Germany, le genre de compile qui, plus que de proposer le meilleur de, permet de mesurer le chemin parcouru. Rammstein fait partie de ces groupes dont la reconnaissance fut aussi surprenante que tardive, et on ne laisse d’être surpris aujourd’hui de constater que les shock-rockers teutons ont fini par être parfaitement acceptés – on n’a pas dit digérés – par le mainstream. On se souvient avec émotion de la découverte en import allemand du fabuleux Herzeleid, traumatisme comme on en vivrait peu durant la décennie suivante. Des premières sorties françaises chez XIII Bis. Des interminables polémiques sur le supposé fascisme du groupe, qui n’aimait rien tant que jouer sur cette ambiguïté tout en revêtant son costume de vierge effarouchée en interview. Du concert de 1998, aussi, spectaculaire, intense et d’une puissance sonique extraordinaire. On se souvient de ce groupe qui sortait de nulle part (l’ex-RDA) et dont la musique morbide, martiale et parfois volontairement repoussante hérissait tous les parents du monde. C’était la seconde moitié des nineties, le grunge était mort et Rammstein, avec quelques autres, réinventait le glam-rock après des années d’austérité esthétique. À quel moment le groupe est-il devenu acceptable ? Sans doute vers cette époque, lorsque Korn l’embarqua sur son Family Values Tour et que le public américain tomba immédiatement sous le charme de ce sextette dont il ne comprenait pas un traitre mot mais que, paradoxalement, il entendait bien mieux que les Européens. Parce que le shock-rock et l’entertainment font partie de la culture américaine (le pays de Kiss, tout de même, mais encore d’Alice Cooper, de Marilyn Manson et de tant d’autres) de manière bien plus profonde que chez nous. Ce fut le début d’une autre période pour le groupe, même si on ne s’en aperçut pas immédiatement. Le malsain et les ambiguïtés allaient céder la place à quelque chose de tout aussi brutal musicalement, mais en plus lumineux, en moins poisseux et désolé.


En attendant, il restait les albums, et la première moitié de la carrière de Rammstein relève du quasi sans faute. Avec sa formule musicale imparable, en parfaite adéquation avec l’esthétique SM, le chant guttural en allemand… Rammstein était génial, idéal pour les kids. Le groupe proposait un compromis tout à fait convaincant entre Faith No More et Depeche Mode, chipait volontier chez Ministry ou Laibach, mais foncièrement il ne ressemblait à personne.

Vous voyez le MAIS poindre à l’horizon. Le problème fondamental de Rammstein, c’est précisément qu’il était absolument parfait dès les premières notes de "Wollt ihr das Bett in Flammen sehen?", en 1995. Dans cette formule-là, fascinante autant que particulièrement limitée, il ne pouvait pas aller plus loin. Herzeleid devait être son chef-d'œuvre indiscutable, à la fois cheap et extrême, d’une noirceur, d’une radicalité et d’une violence indépassables. Le groupe s’était pris lui-même à son propre piège et, dès la sortie de Sehnsucht deux ans plus tard, excellent disque au demeurant, il fut clair qu’il n’y aurait jamais meilleur album de Rammstein que le premier. Et chacun des suivants conforta ce sentiment. Au point que depuis des années maintenant, chaque nouvelle sortie du groupe voie revenir la même question : comment faire autre chose en restant soi-même ?, comment rester Rammstein sans donner l’impression de ne faire que du Rammstein ?. Reise, Reise, Rosenrot et Liebe ist für alle da, sans être de mauvais disques, sont autant d’œuvres écartelées entre ces deux impératifs.


Au-delà de son aspect superfétatoire (Herzeleid est déjà un best of de Rammstein), Made in Germany repose indirectement cette question en ce qu’il ne conserve que peu de traces des innombrables tentatives du groupe d’élargir son horizon. C’est une critique sans en être tout à fait une : Rammstein n’est jamais aussi convaincant que lorsqu’il se laisse aller à la facilité de chansons indus plombées par les guitares de Richard Kruspe et Paul Landers. Malgré un côté parfois plus pop, "Pussy" ou "Amerika" ne dépareillent pas au côté des "Du Hast" et autres "Du riechst so gut" d’antan. Présenté dans un joyeux désordre, l’ensemble opère la remise à niveau escomptée. Il est vrai que si la notion de best of est assez abstraite concernant les trois premiers opus, elle prend tout son sens en ce qui concerne les trois suivants, bien plus inégaux.

Si déception il y a, elle concerne plutôt le second CD, uniquement composé de remixes qui, pour excellents qu’ils soient parfois ("Du riechst so gut’98" par Faith No More ; "Rammlied" par Devin Townsend), sont pour la plupart connus des fans de longue date. On aurait aimé des choses un peu plus neuves, un peu moins évidentes, on aurait espéré en somme être un tant soit peu surpris. Tout cela aurait sans doute pu être avantageusement remplacé par du live ou même, pourquoi pas rêver, par quelques inédits (il n’y en a qu’un seul, l’amusant "Mein Land"). S’il ne contient rien d’odieux ni de vraiment mauvais, on ne peut s’empêcher de se dire que ce Made in Germany ne rend pas forcément hommage au talent du groupe qu’il compile. À plus forte raison parce que, crime de lèse-Rammstein gravissime, la partie best of ne contient qu’un seul titre de Herzeleid. Notez que du coup, les jeunes qui découvriront le groupe avec ce best of auront tout loisir de se procurer son chef-d’œuvre plus tard. Certes.


👍 Made in Germany 
Rammstein | Mercury, 2012