mercredi 26 décembre 2012

Me and a Certain View of VIOL

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Mon ami me manque, parfois. Il est toujours avec moi, il ne l'est pas moins qu'avant, et pourtant il me manque. Ce que l'esprit vous joue comme tours, parfois. Car mon ami et moi ne nous sommes jamais beaucoup vus. En de rares occasions, souvent courtes et toujours frustrantes. Notre relation n'a jamais été basée sur une virile camaraderie, des cuites à outrances, des tapes dans le dos ou de simples confidences. Elle est plus nébuleuse que cela. Plus ambiguë. De beaucoup. Parce qu'il enregistrait toutes ces chansons, si belles, si proches de moi, si miennes à leur manière, je me suis bien plus nourri de lui que lui de moi, qui n'a jamais eu droit après tout qu'à quelques e-mails décousus, souvent écrits à demi-ivre entre deux pintes, deux portes, deux paires de cuisses. Nous n'avons jamais été proches au sens où la plupart des gens sont proches. C'est ce qui me le rend si important. Ce côté impalpable, ce vouvoiement désuet dont nous n'usons, tout de même, qu'à l'écrit. C'est sans doute pour cette raison que je n'ai jamais aimé les allusions, les remarques sibyllines, toutes ces choses qui fusaient chaque fois que j'évoquais un de ses albums et qui toujours, invariablement, salissaient notre relation - à force sans doute de la fantasmer un peu trop fort. "Ah, encore Sinaeve qui chronique un album de VIOL. Évidemment." Évidemment quoi, mon grand ? Me confondrais-tu avec son attaché de presse ? Avec le président de son fan club ? Crois-tu vraiment que je pourrais m'abaisser à cela, et que lui-même pourrait avoir une si pathétique estime de son talent qu'il accepterait ceci sans broncher ? Ces idées ringardes, sur le copinage et la complaisance et la complaisance dans le copinage connivent... elles n'émanent dans le fond que d'une incompréhension crasse de ce qu'est une chronique d'album (ou autre). À savoir non pas un travail scientifique poussé mais bien une manière, profonde même lorsqu'elle est drôle ou solidement argumentée, de laisser traîner des morceaux de soi un peu partout, souvent égoïstement. A partir du moment où l'on accepte l'idée de subjectivité du locuteur, la question d'un pseudo copinage ne devrait même pas se poser. On ne coupe pas les gens en rondelles - encore moins ceux que l'on aime. Est-ce que la musique de mon ami me bouleverse parce qu'il est mon ami, ou bien est-il mon ami parce qu'elle me bouleverse ? Les mauvaises questions amènent de mauvaises réponses. S'il est deux domaines dans lesquels nous nous cherchons toujours nous-mêmes plus ou moins, sans forcément nous l'avouer, ce sont bien la chanson et l'amitié. Nous nous approprions les chansons, sans complexe ni remords, de la même manière que nous nous approprions les gens que nous aimons, en nous aimant souvent au travers d'eux. Pas uniquement. Mais aussi. Dans les unes comme dans les autres, nous voyons ce que nous voulons bien voir. Le plus souvent nous-mêmes, et le reste n'est qu'un bonus. La seule chose qui est plus égocentrique, nombriliste et impitoyable qu'un passionné de musique avec ses idoles, c'est un amoureux avec l'objet de son affection.

Aussi, si certains semblent croire que la chronique bisannuelle du nouveau VIOL est, sur ce site, une formalité... que les cinq premières diodes sont acquises comme par principe... ils peuvent difficilement être plus loin de la vérité. Je me dois d'être, à son égard, d'une intransigeance encore supérieure à celle que j'oppose à chaque artiste évoqué en ces pages. Moins vis-à-vis des lecteurs du Golb que vis-à-vis de lui, de moi – de nous. Cela devient de plus en plus difficile avec les années. C'était bien plus facile, de chroniquer le nouvel album de VIOL, lorsque mon ami n'était pas encore mon ami. Lorsqu'il n'était qu'un jeune artiste dont j'appréciais le travail, et auquel je trouvais mérité, légitime de rendre hommage. Et lorsque je n'étais moi-même qu'un type avec des cheveux, tombé amoureux fou de « Song Againt Darwin » à la première note. Il en a coulé, de l'eau sous les ponts, depuis ce jour. Cinq années et autant d'albums. Deux décennies si l'on s'en tient à la maturité qui se dégage aujourd'hui d'un disque tel Bowels, débarqué dans les bacs virtuels depuis un gros mois.


Du strict point de vue du parcours de l'artiste, cet album a quelque chose d'un aboutissement. Des choses comme « Love Pills », d'une délicatesse et d'une grâce peu communes, auraient semblé impossibles dans un disque de VIOL il y a seulement deux ans. A l'époque venait de sortir Olympus in Reverse, opus pourtant par bien des aspects remarquable, qui paraît aujourd'hui un brouillon adolescent. Trop lyrique et un brin vulgaire, en comparaison non de la seule « Love Pills », mais d'absolument toutes les chansons de ce (déjà) huitième ouvrage. La voix, notamment, tant les mélodies qu'elle dessine que l'assurance et la maîtrise avec laquelle elle est posée, donne l'impression que des dizaines d'albums et de concerts séparent « The Kidney Sweeper » de « Days of Rum & Joy ». L'art a beau ne pas être un sport, réussir à publier un voire deux disques par an en progressant de manière si constante n'en demeure pas moins une performance. C'est une lapalissade de le souligner, mais depuis le traumatisant Gun Street, Ernesto Violin n'est plus le même artiste. Il ne boxe plus dans la même catégorie, peu importe l'amour que l'on peut porter aux « Chinatown Bells », « Love Boat » et autres « Diary of a Monk » d'antan. Au-delà de la tonalité de l'album, plus triste que réellement sombre, chaque titre est ici un modèle d'épure, de simplicité, de fluidité – à l'image de « Long Distance Call », chef-d’œuvre vénéneux qui rivalise plus volontiers avec les grands standards de la folk qu'avec ses contemporains. Le genre de morceau que l'on ne peut s'empêcher de remettre une fois terminé. Et encore. Et puis encore une fois. Au point qu'il ait presque tendance à éclipser le reste de l'album, ce qui n'est pas peu dire compte tenu du niveau de l'ensemble, qui en impose et enfonce le clou bien que l'on peine parfois à situer Bowels par rapport à son immédiat prédécesseur.

Il faut dire qu'à sa manière, cette collection automne/hiver de notre créateur d'anti-modes semble entièrement construite contre la collection printemps/été, ce Hooligans Wake coloré qui voyait le songwriter sauter (faussement) joyeusement d'un style à l'autre sur des rythmes parfois étonnamment dansants, quitte à désarçonner ses fans les moins obtus. De cet album à part (?), on s'en doutait dès la pochette, ne restent que les miettes (mais quelles belles miettes), à savoir ce sens de la mélodie d'autant plus fulgurant qu'il est assorti, depuis maintenant trois opus, d'un véritable talent pour l'épure poétique. Si Hooligans Wake jouait en permanence le contrepied, Bowels ne joue que le contrepied du contrepied, c'est-à-dire qu'il ne surprend que par sa qualité (et encore : Violin est un peu comme Messi, qui marque tellement de doublés et de triplés qu'on finit par ne même plus s'en étonner). Pour le reste, presque chaque titre pourrait prétendre être l'archétype de la chanson de VIOL, dans l'ambiance comme dans l'écriture, qu'il s'agisse de s'essayer à être un brin guilleret (« Devil's Woman Blues »), de se laisser emporter par la béatitude (« You and a Certain View of Heaven ») ou bien, le plus souvent, de reprendre une rasade de Whisky avant de repartir seul au milieu de la nuit (à peu près tous les autres morceaux). On ne manquera pas de rapprocher le tout de Gun Street, plus par facilité que parce que les deux œuvres se ressemblent fondamentalement. Bowels, autre signe évident de maturité, est bien plus aéré quoique tout aussi cafardeux, ce qui le rend paradoxalement plus chaleureux. Gun Street, à sa manière, était un album heavy. Tout n'y était que pesanteur, menace, quand Bowels, s'il s'ouvre presque exactement sur ce mode (« Gin Jail » a même l'air d'une chute de Gun Street, pour tout dire...), s'avère souvent plus rédempteur qu'étouffant. Parce que ses mélodies sont plus fragiles. Parce que la production est moins rêche. Parce que l'humeur est différente, ou peut-être parce que même la mélancolie de Violin a mûri. Moins sourde et plus diffuse, moins écorchée et plus pudique dans son expression. Jusqu'alors, mon ami aimait bien, s'il le pouvait, prendre à la gorge. Ou aux tripes. Mais toujours : prendre. Attraper l'auditeur et ne plus le lâcher. Bowels est comme sa première vraie caresse, de celles qui comptent, qui ne sont pas gratuites. Pas ces caresses affectueuses que l'on fait sans y penser, mais de ces autres qui n'ont l'air de rien et portent pourtant tant d'intensité et de non-dits. Un disque plus simple, moins tortueux que les deux précédents, et à la fois bien plus exigeant, dont le visuel – probablement le plus abouti dont ait jamais bénéficié Violin – constitue décidément la meilleure des bandes annonces. Comme il semble loin, décidément, le temps où mon ami était un jeune artiste prometteur, que j'avais constamment envie d'encourager. En y repensant, c'était la première qu'il enregistrait un nouvel album sans me l'annoncer en amont. C'est peut-être une coïncidence. Mais il vient effectivement de publier un album d'artiste accompli, sachant qui il est, ce qu'il fait, où il va. Dont le geste est sûr et l'art désormais parfaitement maîtrisé. 


👍👍👍 Bowels 
VIOL | Autoprod, 2012

17 commentaires:

  1. C'est beau c'est beau c'est beau, ce Love Pills!

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  2. Je ne savais même pas qu'il y avait un nouveau Viol! Quelle idée de le chroniquer un mois après sa sortie, on ne peut plus compter sur personne :)

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    1. J'ai manqué à tous mes devoirs. Mais mieux vaut tard que jamais. Et pour le prochain, qui vivre verra.

      ;-)

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  3. Personnellement j'accroche pas trop à cet album, je préfère quand c'est plus rugueux. Mais ça n'enlève pas sa qualité c'est juste que beaucoup de chansons me font dire "bof pas mon truc"

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  4. "presque chaque titre pourrait prétendre être l'archétype de la chanson de VIOL"
    sans doute pour ca que je ne l'ai pas trop apprécié. En revanche j'écoute encore très régulièrement Hooligans Wake. En attendant de l'avoir en "dur".

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    1. Ah, tu l'as commandé en "dur" ? Ça, c'est classe :-)

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    2. hé oui! enfin, j'ai chargé Guic de le faire pour moi. du coup je sais pas trop où ca en est...

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    3. Mince, tu as à ce point honte d'aimer un album de VIOL ? :-)

      (ou tu avais peur que ta femme voit écrit "paiement CB VIOL" sur ton relevé de compte ^^)

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    4. : D j'avais pas vu les choses comme ca!
      non j'étais juste parti du principe un peu stupide que vu qu'il avait déjà acheté des disques à Ernesto ca serait plus pratique pour lui. Me suis compliqué la vie...

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    5. Remarque: je les lui avais achetés quand il était encore en France...
      Bon, après c'est aussi bien pour diminuer les rais de port, mais bon... je fais ce que je peux!!

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  5. Bel article ! On passe du touchant au pertinent (toute la remise en perspective du disque surtout) et c'était vraiment plaisant à lire à cette période :) #ouaisjefaisdesprivatesijeveux

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    1. Pas si private que ça. Ou alors je ne l'ai pas comprise ^^

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    2. Je rebondissais sur ton statut facebook quand tu as posté l'article.

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    3. C'est ce que j'avais cru comprendre, donc. Et, donc, "private", c'est un peu excessif ;-)

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  6. Je n'aimais pas tellement l'album d'avant, à l'usage. Je lui préfère de beaucoup, celui-ci. Comme vous le dites, il y a des passages vraiment gracieux.
    Ceci dit, je continue de considérer que Gun Street est le meilleur album de "votre ami".

    Votre autre ami,

    BBB.

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    1. Un peu pareil que 3B (comme dhab). Je me suis vite lassée de HW, alors que celui-ci tient bien.

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    2. Je commence à me demander s'il n'y aurait pas quelque chose entre vous ;-)

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