mercredi 16 novembre 2011

Borgia - Je suis Nous

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Ils ont l'air fin, à Canal +. Six ans au bas mot qu'ils nous vendent tous les six mois la série-évènement-qui-va-révolutionner-la-fiction-française-de-l'année, et du coup lorsqu'ils en tiennent une de vraie, de série évènement, on a l'impression qu'ils ne savent pas comme marquer sa différence. Il faut dire qu'ils ne sont pas servis sur le papier : comme showrunner et principal scénariste, ils ont embauché Tom Fontana, autant dire personne pour le commun des spectateurs, d'autant que la chaîne n'a jamais diffusé aucune de ses séries. Comme tête d'affiche, ils ont débauché John Doman, ce gros connard de Rawls dans The Wire... série que Canal n'a évidemment jamais diffusée non plus. Du coup, pour Jean-Pierre Lemoine, qui se passionne vraiment pour les séries depuis l'électro-choc Braquo, Borgia est une série comme les autres, en plus chiante puisqu'elle est historique.

Mais ne soyons pas salauds : cette énième adaptation de la vie de la famille la plus décadente de la Renaissance est une exceptionnelle réussite, sans doute d'ailleurs en grande partie parce qu'elle s'éloigne de la ligne choc et toc qui prédominait dans les "créations originales" depuis quelques années (de toute façon si Fontana a commis quelques cochonneries, on pourrait difficilement lui reprocher d'être un auteur superficiel). Il est vrai que le matériau est idéal, puisque les Borgia sont déjà, à la base des personnages de fiction, tellement improbables, tellement larger than life qu'il n'y a pas grand-chose à faire pour que leurs péripéties se suivent comme un bon thriller. Ce qui n'empêche pas  la version commandée par Showtime à Neil Jordan, très inférieure, d'avoir démontré qu'un sujet fascinant ne suffisait pas à faire une excellente série.

On ne s'amusera pas à lister les différences, si considérables qu'on y passerait des heures. Disons qu'il y a peu près autant de points commun entre Borgia et The Borgias qu'il y en a entre Oz et Prison Break - c'est-à-dire que le cadre mis à part l'une et l'autre n'ont rien à voir. On peut d'ailleurs apprécier les deux pour des raisons différentes, la version de Showtime pouvant se consommer comme un divertissement agréable. Le projet de Canal n'en est pas moins, du point de vue narratif, autrement plus ambitieux ; il suffit pour s'en convaincre de comparer le traitement du conclave qui aboutira à l'élection d'Alexandre VI, un demi-épisode expédié comme une formalité chez Jordan, quand Fontana y passe presque deux épisodes captivants plongeant littéralement le spectateur dans cette atmosphère oppressante, et dans la psyché machiavélique du futur pape. Et s'il ne s'en arrange pas moins souvent avec la réalité historique, il le fait de la seule bonne manière qui soit : en s'échinant avant tout à écrire une fiction cohérente plutôt qu'à vouloir absolument coller à des faits pour certains très obscurs.

Première saison oblige, c'est sur Alexandre, personnage trouble et mégalomane, luttant contre la corruption autant que corrupteur, que Fontana concentre pour l'instant ses efforts, suggérant notamment que Rodrigo Borgia (de son véritable nom) n'est qu'un pur produit de cette époque chaotique : l'univers dans lequel il évolue est tout aussi corrompu que lui, son prédécesseur avait officiellement reconnu son bâtard, et les cardinaux sont tous plus magouilleurs les uns que les autres. Fidèle à ses thèmes de prédilection, Fontana démonte habilement les mécanismes qui, en voulant éviter le pire (une guerre entre Milan et Naples, les deux surpuissances italiennes de l'époque), amènent à porter un véritable tyran au pouvoir. Car le Pape, en cette époque où l'Italie est éclatée en une douzaine de royaumes, est un souverain autant et peut-être plus encore qu'un homme de Dieu. Le choix de casting est astucieux, car en effet, du haut de son mètre quatre-vingt-dix, John Doman domine dans tous les sens du terme le reste de la distribution, donnant souvent le sentiment que les interlocuteurs du Pape sont minuscules face à cet être surhumain. L'ironie de la chose étant qu'évidemment, si le personnage fascine ici plus encore que dans d'autres adaptations, c'est bien parce qu'il a ce côté humain, trop humain. On pourrait même considérer que Rodrigo Borgia concentre en un seul caractère tout ce que l'humanité compte de défauts et tout ce que la religion catholique, dont il est le chef suprême, condamne : orgueilleux, violent, ombrageux, arrogant, mégalomane, manipulateur, cupide, népotique... le Borgia façon Doman/Fontana est un formidable monstre de télévision, qui détruit tout ce qu'il touche (ses enfants, pions quasiment interchangeables sur l’échiquier de ses ambitions, composent une jolie brochette de psychopathes, et la série raconte presque par le menu comment l'indifférence et les exigences paternelles conduiront progressivement Lucrezia et Cesare vers la folie qui fit d'eux des légendes) et vendrait jusqu'à son âme pour détenir le pouvoir absolu. Ce n'est certes pas une nouveauté, les livres sur le sujet ne manquant pas. Mais Borgia le met en scène avec une véritable virtuosité, et l'application avec laquelle elle souligne que ce sont en grande partie des réformateurs qui l'ont placé sur le Trône de Saint-Pierre en dit long, très long sur l'aveuglement de ses contemporains, qui mettront du temps à mesurer l'étendue de sa folie. Et sur ses talents en matière de manipulation.


👍👍 Borgia (saison 1)
créée par Tom Fontana
Canal +, 2011

15 commentaires:

  1. J'avais déjà envie de regarder, mais là maintenant je sens qu'il faut que je m'y mette de toute urgence... Merci!

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  2. Je suis sans doute la seule, mais j'ai préféré la version Showtime (dont je ne suis cependant pas franchement fan) à celle de Canal.
    Celle là m'a profondément ennuyée, je trouve que tout allait bien trop vite, le casting ne m'a pas convaincue, la réalisation est par moment assez moche et les décors font super tocs (comme la version Showtime d'ailleurs)...
    Dans l'ensemble je trouve que Showtime et Canal + ont plutôt raté leurs affaires alors qu'il y avait vraiment moyen de faire quelque chose de génial.

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  3. Il y a pas possibilité de le voir en anglais? Paske là, en français façon doublage... beurk!

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  4. Je trouve au contraire qu'ils en ont fait des tonnes niveau promo Canal (oui pas forcément plus que Braquo ou autres) et qu'au final on est loin d'une grande série. Les intrigues trahison/vengeance/contre-vengeance etc... sont assez fatigantes, le côté historique m'a assez ennuyé. Côté casting, un très bon point pour John Doman mais pour le reste... les deux fils ont le charisme d'une endive (Isolda Dychauk est bien trop <3 pour que j'en dise du mal ^^).

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  5. Ben alors moi j'ai trouvé ça CA-TA-STRO-PHIQUE.
    En passant du jeu des acteurs ( en plus en VO ils parlent tous anglais comme une vache espagnol, et avec tous un accent different, atroce)et par les décors ( niveau Kaamelott)et surtout pour l'enchainement des actions, qui avec des élipses monstrueuses ou des changement d'attitudes brutaux, qui m'ont complement perdu et du coup, fait décroché.
    Je suis vraiment déçu par Fontana et Canal+.

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  6. Alors moi, j'ose à peine le dire, j'ai trouvé ça très très bien, limite, je ne comprends même pas toutes les critiques de cette discussion !...

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  7. Ah si en fait, je comprends la remarque sur les ellipses, c'est vrai que certaines ne sont pas très heureuses. Ceci dit, la saison 1 recouvre seulement une année, vu la longueur de l'histoire des Borgia je ne vois pas comment on pourrait encore reprocher à Fontana d'aller trop vite en besogne (même si j'avoue avoir eu un doute : Juan Borgia ne meurt pas aussi tôt que ça normalement ? Et pareil, Pedro Luis, le frère aîné, c'est qui ? On en parle mais on ne le voit jamais). Et sinon, des ellipses, il y en a 10 fois plus dans la version Showtime, qui est quasiment un soap historique. Sinon j'ai quand même trouvé ça assez palpitant à regarder.

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  8. @Leïa: Pedro-Luis n'est en fait que le demi-frère, puisqu'il est le batard de Borgia avec une précédente maîtresse (il y a également deux sœurs, dont une morte très jeune et l'autre bizarrement absente de la série). On apprend sa mort dans le pilote de la série même si le vrai Pedro-Luis était mort depuis plusieurs années en 1492.

    Sinon tu as raison pour Juan, il est mort en 1497.

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  9. Comme Leïa j'avoue avoir du mal à comprendre certains reproches. A l'exception de Lucrèce, qui me semble un peu tendre (mais il était intéressant de s'éloigner du mythe), le casting m'a paru excellent, notamment Mark Ryder, qui gagne une sacrée ampleur au fil des épisodes ; les ellipses sont inévitables dans ce genre de récit, la question ne se pose pas vraiment et quand bien même, elles ne m'ont pas spécialement choqué. L'argument du rythme (Typh) me fait même hausser les sourcils, car la version Canal est bien plus lente dans la progression narrative que la version de Showtime, et prend le temps de beaucoup approfondir certains personnages (notamment Juan), personnages qui d'une manière générale me paraissent beaucoup plus complexes chez Fontana (à commencer par Cesare, simplifié jusqu'au massacre par la version de Jordan, alors que l'on parle tout de même d'une des personnalités les plus complexes et fascinantes de son temps). Bon, il reste quoi ? Ah oui, la VO, bof, quand c'est comme ici un casting international, la VF est aussi bien (même si la voix française de Lucrezia est absolument insupportable). Les libertés prises avec l'histoire m'ont plutôt plu (dans le fond, les Borgia sont un mythe, bien plus qu'ils ne sont de véritables figures historiques). Enfin, je n'ai pas compris la remarque de Dany sur les changements d'attitude brutaux.

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  10. J'ai pas du tout trouvé que la version Canal prenait plus son temps que celle de Showtime personnellement. J'étais très souvent perdue du fait de la vitesse à laquelle allaient les choses, ce qui n'a jamais été le cas avec l'autre version je crois. En dehors du double épisode sur l'élection du pape le reste allait tout de même franchement vite.
    Oui ils développent ici plus la majorité des personnages, comme Juan effectivement, mais la version Showtime s'intéresse surtout au personnage de Cesare, quitte à délaisser un peu les autres. Personnage que j'ai trouvé assez ridicule dans la version Canal d'ailleurs.

    Enfin bref, on aura compris que je n'ai pas franchement aimé quoi ^^
    (et c'est à voir absolument en VO à mon avis)

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  11. Je n'ai vu que la moitié, pour l'instant.

    C'est une série plutôt réussie, à la condition de ne pas être trop à cheval sur la réalité historique. Un très bon "thriller politique en costumes", qui montre bien comme les jeux d'alliances sont toujours les mêmes, à travers les siècles. Je ne sais pas s'il fallait une œuvre supplémentaire, pour montrer comme le pouvoir était corrupteur. Cela est flagrant avec le personnage de Farnese, dont on voit bien, à travers lui, comment naît une rancœur, qui deviendra haine, qui deviendra vengeance.

    BBB.

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  12. Je n'aurais pas dit mieux que triple B ^^

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  13. comme Erwan a Dany j'ai trouvé cette série très mauvaise, sans grande originalité, ripolinée, avec des acteurs qui en font des tonnes... J’attends avec impatience la série historique qui s'affranchira des codes et des habituels clichés (trahisons, vengeance, excès en tout genre, etc...) et c'est pas avec l'horrible "Braquo" que je vais me réconcilier avec les séries canal de si tôt ;-)

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  14. Honte à moi, je connaissais le mot Borgia via une chanson d'Hubert Felix Thiefaine, les Dingues et les Paumés...
    Voilà de quoi me cultiver un peu plus =) Je commencerai par la version anglo-saxonne pour confirmer le tout par la version française dans ce cas.

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  15. BBB. >>> c'est assez joli "thriller politique en costumes", et assez vrai. Plus que "série historique" qui ne veut rien tant dire tant il conjugue deux impératifs radicalement opposés, et que l'on confond trop souvent - certains des commentaires dans cette discussion en sont la preuve - avec "documentaire"...

    Benoit >>> je vais être taquin, mais autant je comprends qu'on puisse se dire lassé par les "habituels clichés (trahisons, vengeance, excès en tout genre)", autant je ne vois pas très bien ce qu'on s'attend à voir d'autre lorsque l'on commence à regarder une série sur les Borgia. C'est comme les nombreux reproches sur le cul ou la violence... enfin, merde quoi : ce sont les Borgia ! Leur histoire n'est que sexe, violence, trahison et vengeances. A ce moment-là, c'est le sujet lui-même qui pose problème, peut-être, mais il me semble qu'il peut difficilement en être autrement dans une adaptation des "aventures" d'Alexandre VI, le seul Pape de toute l'histoire du Catholicisme dont personne ne soit jamais parvenu à mettre une seule chose à son crédit (même Pie XII a meilleure presse, c'est dire...). Il suffit de voir ce que des auteurs peu suspects de surfer sur une mode (Dumas, Hugo, Welles... la liste est longue) ont pu en faire...

    Gridou >>> il n'est jamais trop tard ^^

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