mardi 26 juillet 2011

A Quiet Belief in Angels - Un noir, un vrai.

...
C'est un peu comme si Dennis Lehane s'était piqué de réécrire Steinbeck. Ou comme si Steinbeck avait décidé d'écrire un pur page turner.

Un page turner, ça oui. On ne peut pas lâcher A Quiet Belief in Angels une fois celui-ci ouvert. On éprouve le besoin irrépressible, viscéral de suivre Joseph Vaughan jusqu'au bout de son errance. Même lorsque le récit faiblit un peu (c'est le cas dans le dernier quart), sa rythmique implacable a le dessus sur les critiques que l'on pense un instant émettre. C'est un page turner, mais l'art d'Ellory s’étend bien au-delà d'un simple talent, d'une vulgaire virtuosité pour accrocher le lecteur. Il relève tout autant du tissage méticuleux d'atmosphères, de la reconstitution grandiose autant que minimaliste. A Quiet Belief in Angels est iun roman si noir qu'il en est suffocant ? Oui, mais il est aussi une fresque historique habile, liant pieds et poings intrigue et contexte. Et une galerie de portraits fascinants. Et une exploration brutale de l'inconscient enfantin. Et encore : une réflexion sublime sur le poids du passé, de la naissance. De l'oubli.

L'idée géniale, de ces idées toutes simples et toutes puissantes à la fois, est de confier les rennes du récit à un enfant. Détournant les codes du roman initiatique, Ellory fait grandir son narrateur au fil des pages, mais grandir au milieu d'un monde chaotique qu'il ne comprend quasiment jamais. Dans une petite bourgade du fin fond de la Géorgie, avant puis pendant la Seconde Guerre Mondiale, un homme assassine méthodiquement les petites filles, qu'il viole puis mutile avec une rare sauvagerie. Terrifié autant que fasciné, le petit Joseph voit ses camarades de classe, les sœurs de ses copains... etc. se faire décimer au fil des années, sans que quiconque semble en mesure d'agir pour y remédier. Comme dans tout vrai fait divers sordide, c'est le moment qui rend l'horreur possible. La preuve ADN n'existe évidemment pas, la quasi totalité des ressources du pays est mobilisée par la guerre. Augusta Falls est un quasi no man's land, un monde clos dominé par la peur, où la police comme les gamins du coin sont unis par la même incompréhension et la même impuissance face à un mal qui les dépasse de loin. Plus ils essaient de faire, plus ils constatent qu'ils ne peuvent rien faire. Pour Joseph, qui éprouve immédiatement une attirance morbide pour ces meurtres, l'assassin devient une figure abstraite, l'incarnation du bras armé de la Mort en Personne. Plus impressionnable et plus sensible que les autres, spectateur horrifié qui finira par découvrir lui-même l'une des victimes, il devient peu à peu un adulte hanté par le fantôme de ces filles - quand tous les autres préfèrent vieillir et oublier. Il va, fuit, revient, repart. Perd pieds, et l'on finit par ne plus savoir si le Mal le poursuit ou bien si c'est lui qui le traîne tel le proverbial boulet - littéralement enchaîné à ce passé qui est sa vie sans tout à fait l'être (il n'est après tout qu'un spectateur parmi d'autres).

On en voudrait presque à Ellory d'expédier la conclusion un peu vite, comme si après tout cela il ne savait plus trop comment faire pour mettre le point final. Mais il est vrai que quelque part, quand celui-ci arrive, l'intérêt du roman ne réside plus depuis longtemps dans l'identité ou les motivations du tueur. Le lecteur vient de traverser peu ou prou quarante ans de l'histoire américaine, et il a seulement envie de dire merci. Peut-être même, comme l'auteur, comme le narrateur... d'en finir avec cette réalité odieuse.


👍👍👍 A Quiet Belief in Angels [Seul le silence] 
Roger Jon Ellory | Orion, 2007


On en parle également chez Amanda, Cuné, Gaëlle...

10 commentaires:

  1. C'est effectivement un excellent roman noir. Je souscris à tout cet article. Amitiés. H.

    RépondreSupprimer
  2. J'en avais entendu le plus grand bien, mais là évidemment je ne peux plus reculer !

    RépondreSupprimer
  3. H.V. >>> content que nous soyons d'accord (ça n'arrive pas si souvent...)

    RépondreSupprimer
  4. Comme beaucoup d'autres je pense, je suis tout à fait d'accord avec toi. J'attends maintenant patiemment que tu lises d'autres Ellory, qui pour la plupart n'ont rien à voir avec ce fabuleux roman noir...(et qui m'ont, pour la plupart, autant plu!)

    RépondreSupprimer
  5. J'ai déjà lu A Quiet Vendetta entre temps, et en effet "différent" est le moins qu'on puisse dire !

    Tu me conseilles lesquels, pour après ?

    RépondreSupprimer
  6. hmmm... c'est une bonne question mais question piège je dirai ! :-)
    Pour ma part j'ai beaucoup aimé "The anniversary man", beaucoup plus centré sur un serial killer. Encore une fois, très différent.
    Et il y a celui qui est traduit en français par "les anonymes" (a simple act of violence), qui se rapproche plus de Vendetta et qui est très bon aussi.

    RépondreSupprimer
  7. Merci pour les tuyaux !

    (j'ai un énorme mail pour toi dans mes brouillons, je le finis bientôt... enfin quand je peux ^^)

    RépondreSupprimer
  8. Excellentissime, indeed. Mais "Vendetta" reste mon préféré. (Moins accroché aux "Anonymes" dont parle Emeraude).

    RépondreSupprimer
  9. J'ai quand même été un peu moins emballé par Vendetta, mais on aura l'occasion d'en reparler...

    RépondreSupprimer
  10. Un excellent roman, en effet.

    RépondreSupprimer

Si vous n'avez pas de compte blogger, choisir l'option NOM/URL et remplir les champs adéquats (ce n'est pas très clair, il faut le reconnaître).