dimanche 24 juillet 2011

Tim Buckley - Un héros. Un vrai.

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Il était temps. Dans une époque où la folk psychédélique n'en finit plus d'accoucher d'un nouveau héraut chaque semaine, il était plus que temps de rendre enfin un hommage digne de ce nom à celui que l'on peut légitimement considérer comme l'inventeur du genre. Tim Buckley, à peine dix-neuf ans au moment de son premier album, une gueule d'ange, une voix à descendre la voie lactée comme un toboggan, et une personnalité pour le moins torturée qui fit beaucoup pour sa légende. A cela, ajoutons un talent de songwriter à faire rougir les plus grands (futurs) classiques de son époque, et un goût pour l'expérimentation largement occulté par la mémoire collective, bien qu'il prenne clairement le dessus sur le volet folk-rock dès le troisième album.

Tim Buckley, artiste folk, voilà bien l'une des plus belles blagues dont ait jamais accouché l'histoire du rock. Spécialisé dans le lyrisme précieux, obsédé par le jazz, la soul et les harmonies les plus subtiles, Buckley passera l'essentiel de sa carrière à fuir le succès et à faire table-rase de son passé (au propre comme au figuré - le garçon est un mythomane fantaisiste réinventant sa biographie au gré des rencontres). Marginal au point de passer sa vie (et une grosse partie de sa mort) dans les bacs à soldes, bien plus proche de Beefheart ou de Zappa que de Donovan, refusant de se plier aux règles du business de l'époque en publiant un album tous les six/neufs mois, paranoïaque au plus haut plus point dont la descente dans l'enfer de l'alcool ne fera que s'accentuer disque après disque... Tim Buckley est un sacré personnage dont la vie autant que l’œuvre mériterait d'être redécouverte. Non qu'il s'agisse d'afficher un mépris particulier vis-à-vis des chansons les plus simples du barde frisé, pour privilégier ses compos expérimentales (parfois loin d'être des réussites). Simplement, il y a quelque chose de particulièrement crispant à voir qu'en 2011, Buckley Sr est toujours présenté comme un folkeux, quand sa musique, lancée dans une quête du morceau onirique ultime, souvent luxuriante, aspire à d'autres galaxies*. La preuve par douze titres sensuels et baroques sur ce premier album enfin décemment réédité (c'est-à-dire sans être sauvagement accouplé à son successeur, Goodbye & Hello, comme le voulaient la plupart des dernières éditions), et dominé par les guitares filandreuses de Lee Underwood, camarade et alter-ego de toujours sans qui Tim Buckley ne serait sans doute jamais tout à fait devenu Tim Buckley. Voir 'I Can't See You', ouverture épique, ou encore 'Wings', chef-d’œuvre à la beauté astrale qui imposait le songwriter comme l'un des tous meilleurs de sa génération, dès la seconde piste du LP.

Cordes arrangées avec délicatesses ('Songs of the Magician'), variations rythmiques improbables ('Strange Street Affair Under Blue', 'Aren't You the Girl', leurs percus, leurs accélérations), pop en apesanteur ('It Happens Every Time'), mélodies cristallines (à peu près toutes)... chez Buckley, la folk-psyché est indéniablement plus hallucinogène que roots, et quarante-cinq ans plus tard on ne laisse de siffler d'admiration face à un album à ce point en avance sur son temps.

Niveau réédition, et comme de plus en plus souvent avec ce genre d'album réédité deux/trois/dix fois, on alterne le sublime et le parfaitement vain, comme cette reprise de l'intégralité du disque en mono, d'autant moins intéressante que la musique de Buckley étant précisément bien plus riche que de la simple folk, elle s'accommode parfaitement du pressage en stereo. Rarissimes, les démos réunies sur le second CD sont autrement plus intéressantes, même si elles n'apprennent pas grand-chose et s’avèrent... intéressantes, justement, plutôt que passionnantes. On notera toutefois la présence d'un 'Let Me Love You', d'un 'I've Played that Game Before' et surtout d'un 'Won't You Please Be My Woman' franchement garage, et franchement pas piqués des vers. C'est sans doute ici, par éclats, que l'on mesure s'il en était besoin l'influence déterminante qu'aura eu Buckley père sur toute une génération de musiciens US, qui s'ébrouent aujourd'hui en pillant son répertoire impunément.


👑 Tim Buckley 
Tim Buckley | Elektra, 1966 [Rhino, 2011 pour la présente édition]


(*) Cette étrangeté vient sans doute de ce qu'à l'époque, Buckley, pour des raisons principalement logistiques, tournait souvent seul avec sa guitare.

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