dimanche 12 décembre 2010

The Walking Dead - Série B. du dimanche soir

...
L'évènement télévisuel de l'automne devait donc s'intituler The Walking Dead. Ce n'était pas vraiment une surprise : le buzz enflait depuis des mois, savamment orchestré par AMC, et le projet (adapté des comics de Robert Kirkman et Charles Adlard1 et piloté par Frank Darabont) était suffisamment solide pour devenir l'un des plus attendus de l'année. La communication a fait le reste, puisqu'ainsi vont les séries de nos jours. Il y a plus de dix ans, en découvrant Les Soprano ou Six Feet Under, on prenait la proverbiale gifle. Aujourd'hui, on est sommé de s'incliner devant le chef-d'œuvre, qu'il se nomme The Walking Dead ou Boardwalk Empire, avant même d'en avoir vu la moindre scène. Il n'est pas interdit de supposer que les réaction extrêmement mitigées suscitées par la série en certains endroits découlent au moins autant de cette promotion au napalm que des imperfections du feuilleton.

Il faut cependant reconnaître que The Walking Dead, là où d'autres s'avèrent largement sur-vendues, tient pas mal de ses promesses, au minimum durant les premiers épisodes, notamment le formidable pilote. Le pitch est basique mais d'une efficacité rare : plongé dans le coma après avoir été blessé dans une fusillade, le shérif adjoint Rick Grimes se réveille un beau matin (ou peut-être est-ce un après-midi, comment savoir ?) dans une ville déserte, jonchée de cadavres, où plus rien ne semble vivre ni fonctionner. Rien, c'est vite dit : les morts marchent, et ils se portent plutôt pas mal, pour un peu qu'on leur donne un truc à bèqueter.

La suite est une plongée vertigineuses dans un monde réduit à l'essentiel, comme dans les tréfonds d'une âme humaine dont il n'est plus à prouver que son animalité n'a rien à envier à celle des zombies. Ce pilote, réalisé par Darabont en personne, est absolument fascinant, l'un des trucs les plus anxiogènes que l'on n'ait jamais vus à la télévision. C'est que le réalisateur de The Mist connaît ses classiques, autant que les limites d'un genre zombie qui, régulièrement captivant sur une heure et demi, peut difficilement échapper à la répétition lorsqu'il s'étire sur six épisodes. De fait dans The Walking  Dead, l'angoisse provient moins des zombies eux-mêmes que des conditions apocalyptiques qui entourent le phénomène. Les notions de temps et d'espace sont réduites au minimum, la destruction des moyens de communication et des médias de masse crée une sensation de solitude étouffante, la bande-son ultra minimaliste rend le moindre bruit (bruissement de feuilles, alarme de voiture, coup de feu) terriblement stressant.


Et puis bien sûr, il y a le no reason, si joliment défini (et illustré) par Dupieux dans le récent Rubber. L'oppression est également provoquée par l'absence quasi totale d'explication, aucun des personnages ne sachant exactement ce qui s'est passé dans la région d'Atlanta (ni même si d'autres régions ont été touchées). S'il est question d'épidémie, nul ne semble savoir d'où elle provient ni pourquoi les morts se sont mis subitement à marcher (la série, du reste, est trop pressée par le temps pour s'appesantir sur le sujet, sinon le temps d'une scène du dernier épisode de la saison... totalement grotesque). Darabont n'est pas l'adaptateur préféré de Stephen King pour rien, et sa virtuosité dans la démolition expresse de la civilisation à partir d'un détail qui se dérègle, fait immanquablement écho à celle dont témoigne l'écrivain dans The Stand, souvent considéré comme son chef-d'œuvre.

The Walking Dead, il faut le reconnaître, n'a pas non plus été saquée pour rien. Elle est loin d'être parfaite. Elle subit, il faut le préciser, un changement de ton assez brutal passé le pilote. Il lui faut rien moins que trois épisodes (soit une demi saison) pour trouver le temps de s'arrêter un peu sur les personnages, l'action (ou son absence) occupant le plus gros des deux premiers. Solidement adaptée et fidèle au genre comics, plus qu'à la BD de Kirkman elle-même, elle n'évite aucune ellipse,  ne manque pas de raccourcis et pourrait, effectivement, faire tenir chacun de ses dialogues dans des bulles. Il y a beaucoup d'errements, de mauvaises idées, de facilités. Mais son rythme, tout en cassures, accélérations subites, coup de freins brutaux, s'avère sur la longueur particulièrement séduisant. Tendue à l'extrême, elle réussit même à incorporer des éléments burlesques au milieu de l'horreur, joue avec les nerfs du spectateur et s'amuse régulièrement à désamorcer son angoisse... pour mieux l'exacerber l'instant d'après. Dans ses meilleurs moments, elle rappelle à s'y méprendre les débuts de Lost, lorsque les héros en quête de survie l'emportaient sur les mystères, et que le suspens était injecté par petits rappels successifs plutôt qu'à la louche. Il y a pire référence. On pourra certes déplorer la faible durée de l'ensemble (une heure six de pilote plus cinq fois quarante-quatre minutes... c'est un peu court, jeunes zombies), qui n'est sans doute pas pour rien dans le susmentionné recours, parfois un peu trop systématique, aux ellipses. Toutefois, face à l'inanité de la concurrence en cette sombre fin 2010, cette série-ci, originale et souvent percutante, s'impose sans forcer parmi les rendez-vous qu'on attend chaque semaine avec impatience, pour s'adonner à un plaisir de spectateur certes un peu vain, certes un peu régressif, certes un peu gratuit. Mais ce sont parfois les meilleurs.


👍👍 The Walking Dead (saison 1)
créée par Frank Darabont, d'après l’œuvre de Robert Kirman & Charles Adlard
AMC, 2010


1. La série est en fait créée par Kirkman et le dessinateur Tony Moore, Adlard n'arrivant qu'à partir de l'épisode sept... sur soixante-dix huit.
2. On lui doit, outre le susmentionné The Mist, les adaptations de Rita Hayworth and Shawshank Redemption et de The Green Mile, rares à avoir reçu l'absolution du King himself.

39 commentaires:

  1. Ah ouais, carrément tu montes à 5 toi? J'ai bien aimé malgré les défauts mais je serais peut-être pas allé jusque là quand même...

    RépondreSupprimer
  2. Je ne vois pas pourquoi je mettrai moins alors que j'ai sauté de joie à l'idée de retrouver cette série chaque semaine.

    Après le dernier épisode était assez mauvais, mais les autres je ne les ai pas trouvés si consternants que ce que tout le monde a dit...

    RépondreSupprimer
  3. Moi, j'ai vraiment trouvé ça mauvais. Je ne vois pas quoi ajouter d'autre. Une catastrophe.

    RépondreSupprimer
  4. Pour moi le gros problème de la série c'est qu'elle manque de second degré. Tu parles du burlesque, et je suppose que tu penses à la scène où les mecs se déguisent en zombie, mais en réalité de l'humour il n'y en a pas tellement. Avec plus de dérision ça passerait beaucoup mieux pour moi. Là sinon, c'est juste de la série B banale. Et le comics il faut le préciser n'est pas du tout banal.

    RépondreSupprimer
  5. J'ai trouvé "pas mal". Je pense que ça aurait pu être mieux, surtout vu la matière qu'il y avait (la BD est GENIALE), mais ça se laisse regarder en l'état, et je ne comprends pas les critiques souvent très dures que j'ai pu lire.

    RépondreSupprimer
  6. Lil' >>> je suis assez d'accord ; je faisais la réflexion l'autre jour qu'il manquait un personnage à la Hurley/Sawyer pour envoyer une vanne et dédramatiser, prendre de la distance, montrer que tout ça n'est pas si sérieux.

    J-C >>> je les comprends partiellement. Cela dit, je n'ai lu des trucs assassins comme ça que sur les sites français. Aux USA les critiques sont dithyrambiques (limite trop).

    RépondreSupprimer
  7. Zavez po la culture comics ^^

    RépondreSupprimer
  8. Ça n'a rien à voir. C'est juste mauvais, on n'y peut rien ! La BD est extraordinaire, à la limite de la métaphysique, et ils en ont fait une série Z à deux balles, aux dialogues affligeants, et en prenant des libertés choquantes avec l'œuvre d'origine. C'est aussi pour ça que les gens sont déçus, en plus c'était sur AMC, qui semblait la chaîne parfaite pour ce projet...

    Allez, bon dimanche quand même.

    RépondreSupprimer
  9. Étant moi même fana du comics depuis un petit bout de temps, j'ai forcément été déçue. Parce que j'en attendais trop, alors qu'une série de zombies du même niveau mais qui ne serait pas affiliée au bouquin, je pense que je m'en serait largement contentée/aurait suivi avec plaisir. Mais c'est ça, les fans sont toujours de mauvaise foi (ça me fait la même chose avec le Solaris de Soderbergh, c'te blague).

    RépondreSupprimer
  10. Serious >>> ça c'est certain...

    Bloom >>> je n'ai vraiment pas trouvé les dialogues si affligeants que ça. Ni le jeu des acteurs, qui en prennent plein la tronche depuis des semaines alors qu'à part Sarah Wayne Callis, ils sont plutôt honnêtes.

    Coline >>> oui mais Solaris c'est pas pareil, Soderbergh contre Tarkovsky... c'était déjà compromis à la base ;-)

    RépondreSupprimer
  11. Les comédiens ne me dérangent pas, ceux qui ont un rôle important à jouer tiennent la route. Je suis surtout frappé par le manque d'ambiance, l'absence de tension, les dialogues, les intrigues lourdingues, qui n'ont rien à voir avec la BD. Si c'était pour rajouter des âneries, à quoi bon en rajouter ? Je ne comprends pas que Kirkman cautionne un tel gâchis de son travail. Il doit avoir besoin d'argent...

    RépondreSupprimer
  12. Tout à fait d'accord avec Bloom. Non seulement ce n'est pas une bonne adaptation mais en plus, c'est juste pas une bonne série. Il n'y a aucune ambiance, des incohérences d'un épisode à l'autre, c'est mal joué...

    RépondreSupprimer
  13. Vous êtes vraiment impitoyables, les mecs !

    RépondreSupprimer
  14. Je ne vais pas être impitoyable... j'ai adoré les premiers épisodes et détesté le dernier. Toute l'histoire dans l'espèce de bunker centre de recherche n'a aucun intérêt à ce niveau-ci de l'histoire. J'aurais préféré que la série s'attarde sur la psychologie des personnages, sur comment un nouvel ordre se met en place.
    Malgré tout, jamais je n'aurai vu autant de sang qui gicle et de violence dans une série, et rien que ça c'est intéressant de se dire qu'ils ont osé le faire.

    Je dirais donc rdv l'année prochaine pour savoir si la série redevient bien ou si elle s'enfonce encore plus. Au moins, j'aurai lu une très belle BD.

    RépondreSupprimer
  15. Je suis assez d'accord sur le dernier épisode, pas très oppressant ni palpitant pour un huis-clos. Disons que toutes les séries contiennent des moments faibles, mais que ça se voit d'autant plus qu'il n'y avait que six épisodes... et que ce devait être le grand final. Un beau raté, là-dessus j'en conviens tout à fait.

    RépondreSupprimer
  16. et donc bientôt un article sur Boardwalk Empire ? Je viens de commencer et je suis déjà amoureuse des costumes et d'Atlantic City !

    RépondreSupprimer
  17. J'ai pas encore commencé, je préférais attendre que la série soit finie. Mais ça ne saurait tarder, donc attends l'article pour début janvier, à peu près ^^

    RépondreSupprimer
  18. super ! je devrais avoir fini à ce moment-là...

    RépondreSupprimer
  19. Tu as vu l'effort que je fais pour me caler sur toi ^^

    RépondreSupprimer
  20. c'est magnifique !

    RépondreSupprimer
  21. tu vas juste te caler sur personne et te calmer chenapans ! prochain post rubicon/walking dead en prevision sur popup

    RépondreSupprimer
  22. Je reconnais que le propos était maladroit ^^

    RépondreSupprimer
  23. J'adore la BD moi aussi, mais n'ai pas encore vu l'adaptation.
    Ce qui me frappe, toutefois, en lisant le comics, c'est à quel point il épouse justement une logique de série télé dans ses développements narratifs, dans sa manière de fouiller les personnages plutôt que de réellement développer l'intrigue à coups de révélations ou de rebondissements...
    Du coup, je trouve a priori presque superfétatoire de faire de ce prodigieux comics une série télé...
    Mais évidemment, cela devait être tentant puisque du point de vie de la narration tout a déjà été fait... Je ne sais donc pas encore si l'adaptation est une fausse bonne idée, mais je suis assez impatient de voir ce que ça donne...

    Quant au second degré, non merci, je ne pense pas qu'il y en ait besoin... Pourquoi faudrait-il édulcorer un récit qui ne gagnera rien à l'être ? Les référents, c'est Romero (enfin, pas tous, les bons...), pas Shaun of the Dead ni Zombieland... Le second degré et l'humour, c'est ce qui, depuis quinze ans (disons Scream et Tarantino, souvent mal digérés), a fait le plus de mal au cinéma de genre...

    RépondreSupprimer
  24. Je suis assez d'accord dans l'absolu, mais là tu te bases sur la BD, alors que la série n'a pas grand-chose à voir...

    RépondreSupprimer
  25. Ska > mais la série n'a hélas pas beaucoup à voir avec la BD. Et certains trucs rajoutés sont tellement risibles que je pense que oui justement, le second degré ferait du bien.

    RépondreSupprimer
  26. Ça m'inquiète de lire que la série n'a pas grand chose à voir avec la BD. Si c'est juste une histoire de zombies de plus, je ne vois effectivement pas l'intérêt... Déjà qu'on n'arrive pas à faire comprendre à Romero que s'il s'acharne comme il le fait depuis deux films pitoyables il va vraiment enterrer le (sous-)genre...

    RépondreSupprimer
  27. Disons que les deux premiers épisodes sont (relativement) fidèles, du moins, à l'esprit. Cela se gâte énormément dans la seconde moitié, avec trop de péripéties inventées, et pas des bonnes. Putain de triangle amoureux, comme si l'affligeante "quadrangle" de "Lost" nous avait manqué !

    RépondreSupprimer
  28. Le magnifique pilote, réalisé par Darabont, en personne, étant à mon avis ce qui approche le plus l'esprit de l'œuvre papier. D'ailleurs, dans ce pilote, les ajouts sont, comme par hasard, d'excellentes idées.

    RépondreSupprimer
  29. @Ska
    En fait on ne voit pas tellement de zombies par la suite, mais effectivement, ça n'a pas grand chose à voir avec la BD... Franchement, faut que tu vois pour te rendre compte par toi-même... Moi, malgré cela, je suis comme Sunalee et Thomas, j'ai aimé la saison et, oui le final, ils auraient pu faire un effort quand même...

    @Bloom
    lol@Putain de triangle amoureux, comme si l'affligeante "quadrangle" de "Lost" nous avait manqué

    RépondreSupprimer
  30. Non, mais, je ne suis pas fou, vous aussi vous y avez pensé, non ? :-)

    RépondreSupprimer
  31. bon à voir alors, car j'ai lu le premier tome de la BD et c'est quand même sacrément laid et enfile tout du long des clichés, même si ça reste efficace je ne peux pas lui enlever ça. J'ai du mal à comprendre sa cote, vraiment très surpris, même en lisant les commentaires. Aux fans du comics: Ca devient plus original passé le tome 1?

    RépondreSupprimer
  32. Je ne me souviens plus très bien (lu il y a longtemps), mais la suite est vraiment exceptionnelle, je t'assure. Arrive un moment, on ne peut plus décrocher.

    RépondreSupprimer
  33. Personnellement, j'ai aimé le pilote, sans plus mais il m'avait fait l'effet "wow, je veux absolument voir la suite". Les épisodes 2 et 3 m'ont ennuyé mais je trouve que les trois suivants sont exceptionnels, en particulier leurs fins. Je ne suis pas fan de films de Zombie, je trouve que c'est souvent médiocre, voir grotesque et le mort vivant est un "monstre" qui ne m'effraie pas car il est dépourvu de l'intelligence et de la perfidie des grands. Je comprends d'ailleurs que les amateurs de Zombie puissent ne pas trouver leur compte dans cette série. Il y a beaucoup d'émotions dans The Walking Dead et il s'en dégage une ambiance d'une noirceur intense, un désespoir fascinant et je trouve qu'elle rachète le genre, en utilise les codes sans tomber dans le facile et le grandiloquent. Tu la compares à Lost mais pour l'instant elle me semble bien supérieure et l'arbre des possibles : immense. Je suis d'accord avec le commentaire de Bloom, j'ai enchaîné les trois derniers épisodes et j'en crève de voir la suite, je me retrouve comme un con sans ma came.

    RépondreSupprimer
  34. Pardon, je retire mes derniers mots concernant le dernier commentaire de Bloom. J'avais mal lu, moi je parle de la série, pas de la BD.

    RépondreSupprimer
  35. Bon, après une nuit de sommeil et un peu de recul, je ne sais pas si la série est objectivement aussi formidable que je la décrivais ... mais j'ai vraiment passé de bons moments et il y a longtemps qu'une série ne m'a pas donné envie à ce point là de connaître son développement ;)

    RépondreSupprimer
  36. Non mais je comprends très bien ce que tu veux dire. Je n'ai pas pu lâcher la série moi-même, tout en étant bien conscient qu'objectivement, ce n'était pas aussi extraordinaire que ça.

    RépondreSupprimer

Si vous n'avez pas de compte blogger, choisir l'option NOM/URL et remplir les champs adéquats (ce n'est pas très clair, il faut le reconnaître).