lundi 6 décembre 2010

JOY - Old, New, Borrowed & Blew

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Marc Huygens est un curieux personnage. Quand certains artistes vous accompagnent quasiment toute votre vie et finissent par vous paraître de vieux camarades, lui ne fait que sembler plus insaisissable à chaque nouvelle parution. Vous avez beau le suivre depuis le tout premier EP, vous ne savez jamais vraiment à quoi à vous attendre, à quelle sauce il va vous manger ni d'où il va surgir. Le genre de type qui après un album qui illumine toutes les chambres d'étudiants de la fin des années 90 (Welcome to the Modern Dancehall, classique indie de 1999) enchaîne sur un live avec un orchestre philharmonique (The Man Who Was Already Dead, rare disque contrevenant à la règle voulant que toute expérience de rock symphonique soit une abomination). Puis qui disparaît, quelques temps, puis qui revient et décroche un tube quasiment sans le faire exprès (Beautiful Days, sur le sublime Vertigone), reprend U2 de manière si magistrale qu'il vous ferait presque aimer The Edge ("Love Is Blidness") tout en refusant délibérément de devenir Muse, pour mieux ressurgir plus tard avec un chef-d'œuvre de blues post-apocalyptique (The Red Room, l'un des tous meilleurs disques de la seconde moitiés de la décennie 2000). Et puis qui dissout le groupe dans une indifférence presque générale.

Peut-être à cause de ce côté insaisissable, peut-être à cause de sa singularité... ou bien parce qu'ils étaient belges, ou bien alors parce qu'ils changèrement incessamment de label... pour l'une de ces raisons ou bien pour toutes à la fois, on n'a sans doute pas assez dit à quel point Venus était un grand groupe, inclassable et très, très au-dessus de ses contemporains. Il y avait du Bad Seeds, dans cette musique tout à la fois sophistiquée et rugueuse, intellectuelle et viscérale, lyrique mais d'une rare subtilité. Venus, que personne ne sut jamais rattacher à un courant précis, était sans doute l'un des rares groupes, depuis le début des années 70, à avoir réellement mérité le qualificatif un brin désuet d'art-rock. C'est peu dire qu'il aurait mérité un rayonnement bien plus vaste ; c'est peu dire, surtout, que le retour de Marc Huygens était attendu par les quelques uns qui vénéraient ses quatre précédents albums. Ça s'appelle JOY, du nom du parfum créé par Jean Patou. C'est parfois étonnant, mais cela ne déçoit jamais. Évidemment.


Le paradoxe de JOY, l'album, c'est qu'avec un dispositif totalement différent (Huygens est désormais accompagné d'une chanteuse-percussionniste et d'une violoncelliste aussi douées que ravissantes), le résultat s'avère parfois extrêmement proche du Venus de la période The Red Room. Soit donc une musique très blues dans l'esprit, extrêmement raffinée dans le son ; minimaliste sur le papier, luxuriante dans le rendu. La présence de Vertigone, morceau éponyme du second album de Venus délivré dans une version transcendée par le violoncelle d'Anja Naculer, suggère d'ailleurs que l'éloignement n'était pas la mission première que s'était fixé le trio. On émettra plutôt volontiers l'hypothèse d'une réinvention, ce que viennent confirmer les écoutes répétées d'un album dont on n'a pas fini de faire le tour.

C'est en lévitation que l'album s'ouvre et c'est en lévitation qu'il se referme, mais entre temps le voyage aura souvent été plus terrien que ce à quoi l'on aurait pu s'attendre. Huygens s'y entend toujours comme personne pour ce qui est de faire sonner les guitares ou pour prendre l'auditeur à revers, ces deux spécialités maisons constituant en soi les meilleurs moments de JOY. C'est ici un riff éléphantesque comme un Sabbath ("Mirage"), là une reprise renversante d'un des plus grands morceaux d'un des plus grands groupes du monde ("Long Way Around the Sea", de Low). Lequel se retrouve d'ailleurs en filigranes ici ou là, l'intro de "Cold & Storm" ne pouvant que provoquer quelques réminiscences de "Monkey".

C'est cependant dans sa seconde moitié que JOY épate le plus, développant au passage une véritable patte par rapport à son glorieux prédécesseur (façon de parler, bien sûr, concernant un collectif candidat au titre de Plus Grand Groupe Inconnu de Tous les Temps). Habité, tout de tensions, l'ouvrage monte en puissance pour toucher au sublime dans ses derniers instants. "Swords" est d'une noirceur et d'une intensité exceptionnelles, tandis que "N°7" (encore une histoire de parfum hors de prix ?) entre sans grande difficulté dans le Top Ten des plus belles chansons de 2010, tant tout y sonne à la perfection, de la voix aux arrangements en passant par le son ou les mots (" You're my grave and I'm digging/Like a slave who's obeying" - on frisonne). Surtout, dans cette seconde moitié, JOY affiche une réelle cohérence, chaque élément semblant merveilleusement en place. Sur scène, le groupe apparaît aligné, comme sur un pied d'égalité, Marc à gauche de la scène et les filles se taillant la proverbiale part du lion. On commence alors à entrevoir le pourquoi du comment de JOY, crédité à tous les niveaux du disque comme une seule entité. Chez Venus, Marc Huygens était le patron. C'est a priori nettement moins le cas ici, les passages exempts de sa voix ou de sa guitare étant plus nombreux que jamais, sur aucun disque de son anciens groupe. Et si l'on s'autorisera à regretter qu'avec neuf titres dont seulement sept originaux, l'album soit un peu court, difficile de nier que tous sont remarquables, ou d'en ressortir sans se dire que c'est un nouveau (futur) grand groupe qui vient d'écrire le premier chapitre de son œuvre.


👍👍 JOY 
JOY | Le Son du Maquis, 2010

5 commentaires:

  1. Très bel album. Un peu déçue sur le coup et finalement, je le trouve quand même très bon. C'est vrai qu'il y a moins de différences entre Red Room et Joy qu'entre Red Room et les autres disques de Venus.

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  2. Nous finirons par t'attribuer l'Ordre de Léopold 1er!

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