dimanche 14 novembre 2010

Rencontre humide et ventue avec Colin Chloé

...
Qui a dit que le reportage de terrain était mort ? Que les web-journaleux n’avaient pas le cran de leurs aînés, et qu’ils préféraient rester assis sur leurs chaises à roulettes à distribuer des anathèmes, plutôt que de partir au charbon ? Chez Interlignage comme ici sur Le Golb, à l’heure où les ersatz de nos Meeting… se font de plus en plus nombreux, nous sommes une fois de plus à la pointe. Après avoir dragué Elodie Frégé dans un cinéma, fait exprès d’être malade pour vérifier que la musique d’Anthony Joseph était bien fiévreuse… nous n’avons pas hésité à carrément nous déplacer EN BRETAGNE (oui Madame, oui Monsieur) pour rencontrer Colin Chloé, artiste attachant dont on avait dit le plus grand bien il y a quelques mois, mais qui ne semblait pas particulièrement pressé de venir se faire interviewer à Paris (nous ne pouvons garantir la fiabilité de cette information mais il semblerait qu’il y ait une vie au-delà de l’A14…). De se venir faire interviewer tout court, en fait, puisqu’il nous confiera qu’il s’agit de sa première interview (nous ne pouvons garantir la fiabilité de cette information mais il semblerait qu’il n’y ait pas de presse musicale de qualité au-delà de l’A14). On ne sut si l’on devait le féliciter ou transmettre nos condoléances : commencer par un Meeting… dans nos pages, c’est tout de même se garantir quelques centaines d’interviews sans saveur avant, enfin, d’avoir droit à son portrait dans Libé.

Ici la chronique hoquette, puisqu’alors qu’on commence à allumer l’enregistreur, Colin nous coupe la chique : « Ça te dérange, si on va se balader ? J’ai pas d’idées quand je reste assis… » Mais enfin… il… il pleut bruine ! Et il y a du vent ! Et il fait froid ! Et les chemins sont quand même un peu boueux ! Et…
… vous l’aurez compris, rien n’y fit, car ici les artistes sont les rois. Et puis il faut bien dire ce qui est : l’environnement extérieur était parfaitement raccord avec l’hypnotique Appeaux, album humide s’ouvrant sur un port qui dort encore et se refermant sur une « mer en mille écueils ». Cinquante-huit minutes et un pantalon souillé plus tard, le souffle court et le cuir chevelu humide, nous ressortions avec une interview copieuse quoique ventue. Un entretien, il faut le préciser, où l’on parla surtout beaucoup des autres. Tout le monde le sait : en tout bon artiste sommeille un passionné exigeant, voire parfois un critique féroce. Colin Chloé n’est pas un mauvais. Et puis c’était sa première interview, il ignorait donc les deux règles de base : 1) j’aime tout le monde, qui est beau et gentil ; 2) mais je ne parle que de moi, même quand je dis que j’adore tel album, je trouve toujours une pirouette pour revenir à mon disque à moi. On rigole, mais c’est précisément ce qui a rendu ce moment si agréable (malgré les conditions climatiques) : le plaisir d’interviewer un artiste de talent n’ayant pas encore été contaminé par tous les gimmicks de ses collègues, les lieux communs et la mégalomanie. Il sera bien temps de s’inquiéter lorsque que Colin voudra faire des interviews assis dans le salon cosy de son hôtel. Notez que paradoxalement, c’est tout le mal qu’on souhaite à ce Breton bavard et songwriter old-fashionned (à moins que ce ne soit le contraire).

Ce qui frappe immédiatement dans les propos de Colin Chloé, et il est sans doute la dernière personne à pouvoir s’en apercevoir, c’est une forme de désillusion vis-à-vis du système. Il nous parle d’un monde (celui des musiciens vivant à plus d’une heure de la capitale, somme toute) dont avait presque fini, à force de rencontrer à Paris des jeunes artistes hype drivés par des agences de com’, par oublier qu’il pouvait exister. Un monde où enregistrer un album demeure quelque chose de compliqué exigeant des sacrifices, pour que finalement l’album sorte dans une indifférence quasi-générale.

Un monde où trouver des dates de concert est une galère quotidienne, et où rémunérer les musiciens relève du miracle. Un monde dans lequel les gens comme Yannick Henry, l’homme de YY Label, font presque figure de saints, investissant de copieuses sommes sur des projets dont ils savent très bien que sauf miracles (mais un saint est contractuellement tenu d’y croire), ils ne leur apporteront jamais gloire ni fortune. « Je trouve ça incroyable, c’est quasiment du mécenat. Deux groupes [pOOr bOy et les excellents Starboard Silent Side] qui démarrent complètement avec des gens qui sortent de nulle part, si j’ose dire… c’est vraiment rare, aujourd’hui où tous les labels se contentent de signer en licence. Ça coûte pas cher de prendre en licence, tu prends le bébé, tu fais un peu de com’, tu fais marcher ton réseau et puis basta. Yannick je trouve ce qu’il fait très beau, et en même temps je me dis parfois que c’est de la folie, quand tu viens de créer un label, dépenser autant d’argent sur trois albums. » Il est comme ça, Colin Chloé ; d’un côté il fait la promo de son premier véritable album, et de l’autre il parle déjà, du haut de ses quarante-deux ans, comme un vétéran – voire un rescapé. Et lorsqu’on lui fait remarquer que finalement, il s’en pas mal sorti par rapport à d’autres, qu’il aurait pu tout faire dans son garage avec sa femme et ses gosses aux chœurs, il lâche dans un demi-sourire : « Bah tu sais… on n’en est pas loin. »


appeaux

Sauf qu’Appeaux, tout de même, affiche un joli casting, avec même Bruno Green au mastering. Un autre saint croisé, presque par hasard, au long du chemin de croix. « En fait au départ je voulais faire réaliser l’album par un copain de Bruno, Eric Ortuon, qui s’était occupé du premier album de Laëtitia Sheriff. Comme je ne savais pas comment le contacter je suis passé par le Myspace de Santa Cruz, et c’est Bruno lui-même qui m’a répondu très gentiment. Et puis finalement les choses ne se sont pas faites ; je me suis retrouvé tout seul avec mes bandes, comme un con… trois quatre mois plus tard Bruno m’envoie un mail pour savoir ce que je deviens, et c’est là qu’il me dit : Écoute, je vois pas pourquoi tu cherches quelqu’un. C’est ton bébé, tu le connais de A à Z, personne le fera aussi bien que toi… donc fais-le. C’est une éventualité que j’avais jamais vraiment considérée, je pensais pas en être capable. Mais ça m’a donné confiance, alors j’ai fait le premier morceau, je l’ai envoyé à Bruno qui m’a livré ses critiques… et ainsi de suite pour tous les morceaux, tandis que lui, au fur et à mesure il masterisait. Après quoi c’est lui qui m’a conseillé d’aller voir Yannick. » Et Colin de se retrouver ainsi signé… en licence, après une sortie en auto-production en 2008. Qui s’est plutôt bien passée, du reste.

La traditionnelle question des influences est rapidement balayée devant une évidence : elles s’entendent. Non qu’Appeaux ne dévoile pas de personnalité propre (c’est tout l’inverse), mais il s’inscrit dès la première écoute dans une famille musicale aisément identifiable (et très classe). Nul ne sera surpris, après écoute, de découvrir que Colin Chloé est un inconditionnel de Neil Young, de 16 Horsepower (« Un très grand groupe live »), ou encore de Lou Reed. Au registre de choses moins évidentes, on ajoutera tout de même Gilles Servat ( »J’ai ouvert pour lui et j’ai été le voir, un peu intimidé… je lui ai dit : Vous savez, je vous ai entendu durant toute mon enfance et votre voix me faisait peur, quand mon père passait vos disques je partais me cacher sous la table ! »). Et puis bien sûr tous les Français qui ont réellement compté ces dernières années, Tue-Loup (Xavier Plumas étant d’ailleurs son voisin de label), Miossec (« Boire, c’était quand même génial ») et Dominique A, dont il admire écriture. Ce qui dans sa bouche n’est pas un vain mot.

Car " écriture" , voilà un terme qui va revenir souvent durant l’interview la promenade. Si l’on voulait résumer les choses sommairement, on pourrait dire que Colin est obsédé par 1) le son des guitares et 2) les plumes – pas forcément dans cet ordre. Lecteur vorace (son pseudonyme résulte de la fusion entre les prénoms des deux héros de L’Écume des jours), amoureux des mots… il ne tarit pas d’éloge sur ceux qui ont su les faire résonner en musique (« Murat et Xavier, pour moi, c’est vraiment les plus belles plumes de la chanson française. Tue-Loup, je comprends pas que ça fonctionne pas plus que ça. »). La question antédiluvienne du chanter ou non en français, il semble presque surpris que l’on puisse lui demander s’il se l’est déjà posée ; et le fait que de plus en plus de jeunes artistes hexagonaux se soient mis, ces dernières années, à chanter en anglais, lui arrache même un soupir : « Je trouva ça dommage… des mecs comme Miossec, Gainsbourg avant lui, Dominique A… ont vraiment démocratisé le rock et la chanson – et la chanson rock ! – en français… ils ont défriché le terrain, réussi à trouver des écritures qui collaient à la pop… et tout ça pour quoi ? Rien ? »


On n’est donc pas spécialement étonné qu’il ait fini par adapter Baudelaire. Enfin : commencé, plutôt. En l’occurrence. « C’est une vieille chanson, Le Vin de l’assassin, je l’ai joué dans des groupes il y a de cela bien quinze ans. Je ne chantais même pas, à l’époque. » A la question de comment on décide subitement de s’attaquer au grand Charles, la réponse fuse avec le rire : « Parce que j’étais jeune et inconscient !  » L’occasion au jamais de rebondir sur le précédent épisode de cette rubrique, dans lequel précisément Bertrand Pierre nous confiait qu’en terme d’adaptation, Hugo « autorise en fait plus de libertés qu’un Baudelaire ou un Rimbaud, qui sont dans une espèce de perfection esthétique absolue. » Colin opine du chef (enfin, on dirait, nous sommes toujours en train de marcher au milieu de nulle part… de grimper, même, pour être exact) : « Il a tout à fait raison. Rimbaud c’est quasiment impossible à mettre en musique, je pense. Baudelaire t’as quand même l’octosyllabe ou l’alexandrin, malgré tout la musique est déjà là. Ce qui n’a pas empêché des gens de faire de sacrés merdes dessus, tu me diras. Mais c’est vrai que quand je l’ai fait j’avais peur de rien, assez instinctivement et sans trop me poser de questions d’ordre littéraire. Du coup je me suis autorisé à faire un truc très punk, ce qui collait finalement assez bien au texte, très noir, très romantique. La mélodie est venue vraiment très vite, en deux minutes. Après je l’ai jouée pendant des années dans différentes versions… et puis quand j’en suis arrivé à peu de choses près à la version actuelle, j’ai eu l’idée de l’envoyer pour CQFD. Et en fait c’est là que j’ai choisi le nom de Colin Chloé. Je me suis dit bon, tu fais un truc littéraire, trouve un nouveau pseudo. J’ai été dans ma bibliothèque, le premier livre que j’ai vu c’était L’Écume des jours… je l’ai écrit sur le CD que je venais de copier, avec juste mon numéro de téléphone et basta. Après ça a plutôt pas mal marché et j’ai gardé le nom. »

Le bon côté des interviews en marchant, tout de même, c’est qu’elles sont plus faciles à arrêter que d’autres. Officiellement il est (mauvais) temps d’en finir parce que nous sommes allés tellement loin que nous ne savons plus où nous sommes. Mais impossible de ne pas y voir un symbole caché : la marche de Colin Chloé vers le sommet vient (temporairement, on l’espère) de toucher à sa fin et nous avons quitté le nulle part pour échouer près d’une route pleine de voitures. Peut-on réellement considérer comme un hasard le fait que le contemplatif Colin choisisse pile ce moment pour déclarer : « On va peut-être faire demi-tour, hein ?… ». Au lecteur d’en tirer les conclusions qui s’imposent. C’est peut-être bien une coïncidence si c’est en redescendant vers la mer qu’il dit quelques mots de son prochain album, « plus terrien ». Peut-être, peut-être…

A lire sur Le Golb : la chronique d'Appeaux (YY Label, 2010)

Aucun commentaire: