mardi 14 septembre 2010

Last of the Space Rituals

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Dans l'absolu, rien n'aurait dû rapprocher ces deux albums. Hormis le buzz, et encore leurs followings respectifs n'ont-ils pas grand-chose à voir en terme de densité. Seulement voilà : est-ce le fait de les avoir découverts quasiment la même semaine ? D'être noyé dans des centaines d'albums insignifiants ? D'avoir régulièrement prophétisé depuis deux ans qu'un revival psyché allait déferler sur notre monde ?... sans doute un peu tout cela à la fois.

En contemplant le dernier Classement du Golb, une évidence m'a frappé : je n'avais chroniqué aucun de ces deux disques, ni le Tame Impala ni le MGMT, tout en perdant paradoxalement mon temps à écrire des odes à une année 2010 avare en ambitions, en choc esthétiques ou tout simplement en albums cohérents réussis de bout en bout. Il y avait là un paradoxe dont il fallait sortir, car si deux albums inversent clairement la tendance annuelle (qui est, on le rappelle, d'écrire ses petites chansons dans son coin sans chercher à offrir une proposition excitante)... ce sont bien Innerspeaker et Congratulations. Deux albums psychédéliques et barrés, par instants presque jumeaux dans leurs ambitions comme dans leurs sons, qui contiennent à eux seuls plus d'idées que quatre-vingt-dix pour-cents de la production des derniers mois. Magmas atmosphériques (il faut écouter le terrible "Desire Be Desire Go" chez Tame Impala), odyssées sous acides, virtuelles et inter-galactiques... on pourrait rivaliser pendant des heures de qualificatifs stériles pour tenter d'enfoncer élégamment cette porte ouverte : voici deux albums se destinant clairement aux mêmes auditeurs, qui, sans jamais s'être auto-influencés, affichent la même volonté de réinventer le rock psychédélique. Et qui, ajouterons-nous avec ce petit goût de la polémique qui caractérise Le Golb, ont pourtant provoqué des réactions radicalement opposées, alors même que leurs points communs bondiraient à n'importe quelle oreille même pas exercée.

La différence de traitement vient sans doute de la différence de statut, de ce que MGMT fut un groupe hype vénéré par les branchés avant de se découvrir une passion pour Hawkwind, Roxy Music, le Primal de Screamadelica et les Flaming Lips du méconnu Oh! My Gawd. On pourrait faire court : si vous adorez le premier album de MGMT, vous allez détester le second. Stupéfait à l'écoute de Congratulations, j'ai tenté l'expérience inverse : réécouter le précédent à la lumière de sa "suite" (guillemets obligatoires), convaincu d'y avoir manqué quelque chose. A la réflexion, ce titre, Oracular Spectacular, aurait pu me mettre la puce à l'oreille. Mais musicalement, rien à faire, la moitié du disque est inaudible, et une moitié de la moitié restante est d'une laideur quasi insoutenable. Deux hypothèses s'offrent alors : soit ce groupe a vraiment été siphonné par son producteur, son label, son manager et tout son entourage, pour se réveiller en 2010 avec une énorme gueule de bois et se dire "bon, maintenant, on pourrait peut-être faire de la musique." Il ne serait pas le premier. Soit Ben Goldwasser et Andrew VanWyngarden ont juste découvert le space-rock il y a six mois, ont adoré et trouvé leur voie sans s'en rendre compte. Après tout pourquoi pas : les exemples de gens se piquant d'un métier dont ils ignoraient l'existence au début de leur stage sont légion. Cela expliquerait le pourquoi du comment de la pochette, qui n'a pu être réalisée que par un stagiaire.

Bon d'accord, la vanne est facile et personne ne s'est privé d'en faire sur ce sujet. Aussi osons écrire quelque chose que vous ne lirez nulle part ailleurs que sur Le Golb : finalement, elle n'est pas si mal, cette pochette où le petit surfeur sur la vague essaie d'échapper à un monstre mainstream a priori gourmand. Si on a une conception de la chose comme d'une transposition visuelle du contenu, celle de Congratulations est même parfaitement choisie tant elle reflète à merveille l'excentricité, le baroque et la démesure habitant cet album mégalomane, parfois de très mauvais goût, mais dont les mélodies sont d'une puissance incroyable (ah ! "It's Working" ! ah !! "Brian Eno" !!), le son brillant et les audaces renversantes. S'il fallait ne retenir qu'un morceau, ce serait évidemment "Siberian Breaks" et ses douze minutes en apesanteur... probablement d'ailleurs le meilleur morceau de douze minutes qu'on ait entendu depuis des années.

Le cas de Tame Impala est évidemment différent, puisque le groupe n'en est qu'à son premier album et ne risquera pas de déboussoler les fans qu'il n'a pas encore. De New York au trou-du-cul de l'Australie il n'y a semble-t-il qu'un pas, mais quel pas. Là aussi on pourrait fairecourt : Innerspeaker, c'est un peu Congratulations, la rigueur pop en plus. Hormis l'incroyable "The Bold Arrown of Time", l'album est moins barré que celui de MGMT, plus pensé, plus planant, parfois très Floyd '67, quand l'autre évolue dans un registre rêves chatoyants & montagnes russes. Fondamentalement, Tame Impala tient cependant la même ligne : celle d'un rock psychédélique intelligent et racé, avec tout ce que cela induit d'errances, de sophistication et de refrains assassins. On le place une fois sur la platine, et on a du mal à décrocher. Typiquement le genre d'album qui peut passer trois, quatre, cinq fois d'affilée sans que l'on éprouve la moindre lassitude, le moindre commencement de début d'ennui. Coup d'essai et coup de maître, le cousin de Congratulations le complète à merveille : plus respectueux des codes du genre, plus posé, mais pas moins ambitieux lorsqu'il se prend d'une crise de funambulisme fort justement nommée "Jeremy's Storm". Point commun subsidiaire : l'un et l'autre ne paient pas de mine à brûle pourpoint, et se révèlent d'une efficacité meurtrière passées les premières écoutes.



Congratulations, de MGMT (2010)
 


Innerspeaker, de Tame Impala (2010)

14 commentaires:

  1. Deux des meilleurs albums de l'année pour moi. Et toc.

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  2. Bon, t'es déjà au courant que je suis vachement d'accord avec toi ;D

    Le MGMT, c'est un pote musicien qui m'a incité à l'écouter, sachant très bien que je n'aimais pas du tout "Oracular spectacular" (lui n'y est guère accro non plus, cela dit). Il m'a juste dit : "Ils ont fait ce qu'ils voulaient, sur cet album." Et c'est bel et bien l'impression que j'ai eu, une foutue bonne surprise. Je crois que c'est Guic qui avait parlé de se "dé-hypiser" à leur sujet... Une formule assez drôle, c'est un peu ça : rien qui ressemble à un tube explicite, un gros feu d'artifice mélodique tout du long, des constructions alambiquées ("Flash delirium", en guise de single, c'est un peu osé, non ?^^) qui m'ont évoqué les Sparks (la géniale "Brian Eno" en particulier). Mais ça ne laisse pas de m'étonner de voir ceux qui les ont encensé hier les démonter aujourd'hui, parce que m*rde, il détonne sacrément dans le paysage musical actuel, ce disque !

    Quant au Tame Impala, j'avais coincé à la première écoute, en grande partie parce que je trouvais la prod moins envapée et "évocatrice" que sur le EP sorti l'an passé. Heureusement que les louanges de KMS et Eric m'ont incité à lui redonner sa chance...

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  3. Le MGMT, c'est parce que tu m'as dit que ... ben plein de gens que j'aurais jamais cru voir aimer MGMT avaient aimé ce disque (toi compris) que je l'ai écouté....

    Putain cette surprise. Un super bon album.

    Et Dahu, t'as raison d'évoquer les Sparks (que j'ai découvert il y a quoi... un mois), ça m'y a pas mal fait penser aussi... Avec un peu plus de moyens quoi.

    très très grosse et très très bonne surprise.

    Tame Impala.... Pas écouté.

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  4. Ouiiiiiii, le Tame Impala. Du tres bon, et encore meilleur en live. Des qu'ils vont sortir du trou du cul de l'Australie ca va faire mal.

    Ils ont mis une belle raclee a Wolmother qui leur a succede sur scene, c'en etait jouissif.

    MGMT, il va falloir que je me fasse violence pour ecouter l'album, vu ce que tu en dis.

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  5. S'il est savoureux de voir un groupe comme MGMT prendre la tangente et produire un album riche et ambitieux, cela ne fait pas du disque un chef d'oeuvre pouvant prétendre à diriger le revival psyché. Pour moi, il manque justement de mélodies mémorables."les mélodies sont d'une puissance incroyable" ; je les trouve surtout créées artificiellement (sauf effectivement sur le succulent "It's Working" et son côté Broadcast). C'est vraiment un album où j'ai l'impression qu'il ne resterait pas grand chose des titres si on les dégraissait. C'est un album qui promet beaucoup pour l'avenir (MGMT y apparait plusieurs fois comme un groupe capable du meilleur) mais qui a cherché à prouver trop de choses. Et puis j'ai toujours été réfractaire aux claviers de fêtes foraines.

    Le Tame Inpala, c'est un peu l'inverse, ils n'ont pas assez essayé d'en foutre plein la gueule. Il y a effectivement une rigueur pop chez eux qui m'intrigue et pour le coup un paquet de titres géniaux. Malgré tout, j'ai beau y revenir souvent, quelque-chose me chagrine toujours, je crois que c'est lié à la voix, pas suffisamment différenciante.

    Dans l'idée je verrai bien un mix entre les deux : les chansons de Tame Impala avec la voix de MGMT :)

    Après oui ils "ont provoqué des réactions radicalement opposées, alors même que leurs points communs bondiraient à n'importe quelle oreille même pas exercée." mais bon ce n'est pas parce que deux groupes évoluent dans la même mouvance voir avec la même vision, qu'ils génèrent des émotions similaires. Après oui je ne doute pas que certains n'aiment pas MGMT pour de mauvaises raisons (la hype, la thune, blabla...)^^

    En tout cas, confronter les deux dans une même chronique était fort pertinent.

    ++

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  6. je suis assez d'accord avec benjamin,
    mais je dois reconnaître que c'est aussi un peu la jurisprudence oasis/libertines dans mon cas,
    à force de trop se la péter, on réussit à faire prendre en grippe sa musique par des gens à qui elle devrait normalement plaire.

    juste pour dire que le tame impala donne plus qu'il ne promet (et il arrive même à charmer, par moment), et le mgmt c'est l'inverse, même si après pas mal de réécoutes l'album tient le coup, un disque moyen parmi d'autres, pas désagréable mais pas mémorable.

    en fait je sais pas vraiment si ces mecs ont du gout, mgmt, on dirait qu'ils mettent tout au même niveau et tout dans le mixer.
    Et le problème des éponges, c'est que si ça pompe la vodka, ça retient aussi la merde.

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  7. En termes de mélodie, Brian Eno, c'est quand même imparable. Même someone's Missing et j'en passe, je ne comprends pas trop cet argument... Dire que c'est créé artificiellement juste parce qu'ils superposent différentes mélodies (plutôt différentes "boucles", dirais-je) dans une même morceau, c'est tout de même très réducteur. Par ailleurs, l'album se bonifie vraiment au fil des écoutes. On n'aurait pas idée de dire ça de A Day In The Life des Beatles, par exemple.

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  8. J'en déduis donc que le MGMT plaît aux filles, aux animaux mythiques, et à Guic'. En revanche, il ne plaît pas aux garçons blogueurs de la première moitié de l'alphabet. Je ne sais pas quoi faire de ces informations, mails il fallait que je les partage avec vous.

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  9. Fais-en des statistiques.

    Quand t'as des faits dont tu sais pas quoi faire, fais- en des statistiques.

    Surtout que sous cette forme là, ça voudrait dire que Guic' n'est pas un garçon blogueur de la première moitié de l'alphabet, alors...

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  10. ah merde, il t'a classé à "Old", ça craint ^^

    pour mgmt je suis pas anti, mais je les trouve surévalués.
    Comparons avec JP Nataf, dont le 2e album a eu un bel accueil critique, mais pas de hype (et pourtant, avec les Innocents il a vendu des millions de disques), les uns s'éparpillent dans une demi-douzaine de styles et d'influences, l'autre affirme une personnalité propre et offre des chansons dont les mélodies n'ont rien à envier aux minots new yorkais.

    sans chercher à les classer, chacun a ses préférences et j'ai pris un exemple on aurait pu en choisir d'autres, je trouve juste excessif l'emballement sur mgmt.
    J'ai un peu l'impression de voir l'emballement autour des Last shadow puppets, un album sympa bien ficelé, mais accueilli comme un Beatles inédit c'était un peu trop ^^

    quand je dis un peu trop, je parle de l'ensemble de la machine médiatique, les blogs c'est autre chose, chacun affiche et assume ses coups de coeur, c'est une logique plus personnelle, que ce soit sur mgmt, julie doiron ou the tallest man on earth, n'est pas la question.

    c'est aussi de la flemme évidemment, de la part des médias, qui préfère suivre ce que leur proposent les annonceurs de pubs, plut^to que fouiller dans la multitude de bons artistes repérés par la critique spécialisée. Trop nombreux, trop de boulot, laissons faire les régies publicitaires elles font ça tellement mieux que les assistants de production de drucker ^^

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  11. Brmpf... Benjamin, ça m'intrigue au plus haut point ce que tu dis : s'il y a bien un disque qui sonne toc, artificiel, chiqué, à mes oreilles c'est "Oracular spectacular". Dans ses meilleurs passages, a posteriori ça sonne comme un plaisant brouillon de "Contragulations", et la prod de Fridmann est un vrai massacre (même si ça n'excuse pas tout... et même si je trouve que ça fonctionne quand même pour "Electric feel") (je sais, j'ai des goûts su-per cohérents^^).

    Et je préférerai toujours infiniment plus les mélodies de cirque aux gros nappages du premier album (encore une victoire de ce gougnaffier de Fridmann ;D) !

    Je parle bien au plan musical : sur le premier, ils cherchaient à en jeter plein la vue, ça a marché du tonnerre... et je crois que ça a fini par les gaver, tout le tintamarre. Du coup, ils se sont concentrés sur la musique, tiens tiens : les compos à tiroir, les mélodies qui se poussent les unes les autres, et puis m*rde, ce coup-ci on entend "dignement" les instrumentations, tout n'est pas noyé dans une bouillie sur-compressée ^^

    Tout ça pour retomber là-dessus : je ne comprends pas, au niveau MUSICAL, ce qui a pu susciter un tel foin au moment du premier album... Celui-ci, je n'en ai entendu que des réactions mitigées (au mieux) autour de sa sortie, alors que c'est tellement plus délectable O_x

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  12. Fais gaffe quand même Dahu, tu es en train de passer du côté obscur de la force. Avec Guic' et Ciss' on est habitués à être d'accord, ils sont dans notre bande avec aussi Klak, Laiezza, Eric souvent... les graisseux, qu'on les appelle, parce que même qu'ils aiment le rock'n'roll avec du groove à l'intérieur (et des filles à poil sur les pochettes)(je suis sûr qu'on adore tous Whirlwind Heat d'ailleurs)......... enfin bref fait gaffe, bientôt tu vas te mettre à défendre les Liberties ;-)

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  13. (ah ah ah, Whirlwind Heat j'ai encore jamais écouté, mais rien que la pochette de "Types of woods"...^^) (mais la fifille est vêtue, c'est la batte de base-ball qui est dans le plus simple appareil)

    N'empêche, vous me faites bien marrer avec votre histoire de "bandes"... Si on faisait une sorte de carte de ce qu'on aime et de ce qui nous divise, je suis certain qu'on aurait des surprises (en se fondant sur nos "parcours musicaux", sur les notes qu'on peut coller dans le CDB) et que ça vous ferait oublier ce truc de cours de récré. Je crois que c'est bien plus subtil et coquin que ça, en vérité ;D

    Mais si ça te chante, on peut se prendre la gueule au sujet d'Oasis, de Kula Shaker, des Libertines, de Rancid (liste pas du tout exhaustive^^)

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  14. Pas possible chouchou, je tiens trop à toi :-)

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