mercredi 21 juillet 2010

Gormenghast - Des idées et quelques ratés

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Chose promise chose due, après les livres, petit focus sur Gormenghast, la série. Soit donc un de ces gros machins clinquants dont la BBC a le secret (on parle souvent non sans mépris de qualité France, mais nos sympathiques voisins sont rarement les derniers dans la catégorie téléfims en costumes), dont le simple postulat suffit à faire frémir tant, sur le papier, la trilogie de Mervyn Peake semble inadaptable. Tellement qu'à vrai dire, on n'a même pas vraiment le coeur à lister toutes les modifications, tous les personnages supprimés, tous les épisodes passés à la trappe. Tout cela fait partie du jeu. Une adaptation adapte (sous-entendu : comme elle peut). What a scoop.

Il faut d'ailleurs reconnaître que le travaille de redécoupage narratif effectué par Malcolm McKay est d'une grande qualité. Quatre épisodes d'une heure c'est à la fois énorme et presque rien, en regard des quelques mille-deux-cents pages qui composent le chef-d'oeuvre de Peake. Malgré un nombre proprement sidérant de coupes franches dans le récit, l'ensemble conserve une belle cohérence, et trouve même une dynamique relativement absente des livres, notamment de Titus Groan. Il est vrai que celui-ci est délibérément lent et répétitif, ce qui n'aurait pu que passer très mal visuellement. On peut considérer comme une hérésie de l'avoir à ce point rythmé - la pesanteur et la construction anathématique de Titus Groan sont bien plus qu'un simple gimmick chez Peake. Mais on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'il eut été difficile de faire autrement.

Le revers de la médaille, c'est que dans le dispositif tel qu'imaginé par McKay, Steerpike est clairement le héros et vampirise tous les autres (ce qui ne manque pas d'ironie lorsque l'on connaît la nature de ce fascinant personnage). Bien que magistralement interprété par Ian Richardson, Lord Groan voit son rôle réduit à la portion congrue. Fuchsia est belle (trop ?) et évanescente, probablement plus touchante que dans les livres - certainement pas assez mise en avant. Flay s'en sort mieux, normal : il est incarné par Christopher Lee, et sa voix comme sa scansion hachées collent si parfaitement au personnage qu'on se demande qui aurait pu faire mieux. Sauf que décidément, Steerpike prend toute la place. Jonathan Rhys-Meyers a-t-il jamais été meilleur que dans ce rôle troublant, ambigu, féroce, où il crève l'écran de la première à la dernière minute ? Je m'aperçois je connais assez mal cet acteur. Peu importe : dès qu'il n'est plus à l'écran, la tension faiblie et la série convainc moins. Bien que plus sympathique que sa version littéraire, le Steerpike qu'il compose est un régal, autrement plus convaincant (mais ce n'est pas une surprise) que celui de Sting dans la version théâtrale des années quatre-vingt. Qu'il soit enjôleur ou que son visage soit déformé par la haine, ce Steerpike-ci file le frisson.

Impossible enfin d'évoquer une adaptation de Gormenghast sans parler du château et de l'aspect purement visuel de l'ensemble. C'est sans doute là-dessus que la série pèche le plus, car pour le reste elle se suit avec jubilation. Le Château de Gormenghast, immense, gigantesque, étouffant, est un personnage à part entière de l'œuvre. Rater le château, c'est rater l'adaptation, ni plus ni moins. Le parti-pris adopté McKay et le réalisateur Andy Wilson est particulièrement discutable : les deux artistes sont partis du principe que l'enfance de Peake en Chine aurait influencé l'esthétique de la trilogie. C'est en réalité peu probable, Peake n'ayant vécu là-bas que dans sa prime enfance, et encore de manière très épisodique. Mais au moins cela a-t-il le mérite de proposer une vision de l'œuvre plutôt qu'une banale mise en images. Le problème, c'est que cette vision a tendance à entrer en contradiction avec l'œuvre elle-même : le Château de Gormenghast est un lieu sombre, poussiéreux et à moitié en ruines. Tout n'y est que désolation. On le sait d'autant mieux qu'en plus d'être un formidable écrivain, Peake était un des plus brillants illustrateurs de son temps et a, bien évidemment, réalisé lui-même nombre de dessins relatifs à la pièce maîtresse de son travail - dessins que les auteurs de l'adaptation ont délibérément (et incroyablement) ignoré.

Résultat ? Dans la série le château est plein de nuances et de couleurs pastelles, évoquant plus volontiers Narnia que l'univers de Peake. Ce pourrait n'être qu'un détail - ce le serait dans nombre d'adaptations. Mais pas ici. Pas dans une œuvre accordant tant de place au décor. De fait, visuellement bien plus lumineuse, la série s'avère rapidement assez loin de la noirceur étouffante et de la radicalité voulue par l'auteur. Le résultat n'est pas inintéressant en soi. Il est parfois même assez puissant, quoique la réalisation ne s'épargne pas quelques kitscheries d'autant plus facultatives que si le style de Peake est résolument baroque, l'univers d'origine est pour sa part des plus austères. Mais il demeure difficile d'être réellement enthousiaste tant on s'éloigne de l'idée d'origine. Autant les raccourcis narratifs et l'élagage peuvent (par la force des choses) passer, autant cette révision esthétique laissera perplexe le fan. Mais est-ce bien à lui que l'on s'adresse ? Pas sûr. Une adaptation BBC a le plus souvent pour objectif de vulgariser, ou à tout le moins d'attirer le plus grand nombre. En l'état, on peut difficilement considérer ce Gormenghast comme un ratage. C'est une bonne série, qui rend hommage à Peake, à sa manière. On la recommandera plus comme un complément que comme un substitut, soit. Ceci dit, on n'imaginait pas autre chose.


Gormenghast, créée par Malcolm McKay & Andy Wilson (BBC One, 2000)

2 commentaires:

  1. Je ne l'ai pas vu, et j'aime trop les livres pour le voir. Je laisse seulement un commentaire car, comme je pense que personne n'a vu cette série, j'ai un peu de peine, d'en voir zéro. Inutile de me remercier, c'est pour me faire pardonner mes moqueries, ces derniers jours.

    BBB.

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  2. Rassurez-vous, je ne comptais pas battre des records de commentaires avec cet article :-)

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