samedi 12 juin 2010

Engrenages - Oui mais...


[ALERTE : le taux de spoil de cet article est d'environ 30 %] Il m'arrive de me dire que je suis monté à l'envers. Ou alors qu'à force d'exercer mon esprit critique, il est devenu si affûté que je ne pardonne plus rien. Ou encore peut-être les deux à la fois.

Toujours est-il que la saison 3 d'Engrenages, que comme beaucoup j'attendais avec une impatience non feinte depuis un an au bas mot, s'est achevée cette semaine en me laissant un goût un peu amer dans la bouche. Alors que la critique, d'un rare enthousiasme, l'a plus que jamais sur-vendue, je n'ai vu qu'une saison efficace, avec de bonnes choses... mais franchement pas à la hauteur de mes attentes.

Aussi mettons en garde tout de suite les fidèles lecteurs du Golb : ne vous attendez pas à ce que la suite de cet article fasse preuve de partialité, ou de générosité par égard pour son statut de (grande) série hexagonale. Pour avoir captivé pendant des heures, pour avoir placé la barre très haut dès sa première saison, Engrenages, qui boucle la troisième (privilège que beaucoup d'excellentes séries anglo-saxonnes... ou françaises n'ont jamais eu), mérite désormais que l'on soit exigeant avec elle, et que l'on fasse fi d'une compréhension qui à ce stade ne confinerait plus qu'à la condescendance. C'est un fan qui vous le dit, un vrai, pas complètement dépité et conscient que cette troisième saison était tout de même plutôt bonne... mais incapable de se positionner autrement que comme l'une des rares voix discordantes à son sujet.

C'est évidemment avec un immense plaisir que l'on retrouve les personnages de la série. On se félicite dans un premier temps que le Juge Roban, très en retrait dans la saison précédente, ait été cette fois-ci placé au centre de l'édifice. On est ravi de constater que le casting est globalement inchangé, que les comédiens sont toujours aussi bons et que le personnage de Gilou, incarné par l'excellent Thierry Godard, a pris une dimension nouvelle et passionnante, avec son faux air de Vic Mackey et son côté blaireau magnifique. Sauf que voilà : parallèlement à ce développement de personnages jusqu'alors secondaires, parallèlement même à une certaine finesse dans l'écriture des caractères (Laure est décidément un personnage haut en couleurs, très au-dessus de ce que l'on peut généralement voir à la télévision française), la trame narrative de cette troisième saison souffre d'énormément de défauts auxquels la série ne nous avait pas forcément habitués.

Contrairement à ce qui a beaucoup été dit, on ne peut pas vraiment considérer qu'Engrenages ait réussi sans coup férir son passage à l'ère industrielle et au rythme de douze épisodes/saison. Cet allongement du temps de travail de l'équipe porte certes ses fruits dans l'enrichissement des protagonistes (quoique tous ne soient pas logés à la même enseigne ; ainsi Pierre Clément n'évolue-t-il plus d'un poil tandis que Joséphine Karlsson est confrontée aux mêmes genre de situations que d'habitude... quant à Tintin, il est toujours aussi fantomatique). Il ouvre hélas aussi la porte à pas mal de digressions, choses que l'on ne voyait pas dans les saisons précédentes et qui, honnêtement, ne nous manquaient pas spécialement. Était-ce par exemple bien la peine de passer autant de temps avec les prostituées russes, aux plastiques et aux psychés interchangeables, dont on voit mal ce qu'elles apportent à l'intrigue ? Fallait-il vraiment sombrer dans l'écueil du proche-d'un-des-héros qui est impliqué dans la machination, alors que c'était déjà le nœud (et la principale faiblesse) de la saison 1 ? A quoi bon avoir plus de temps, donc plus de latitude pour la jouer subtile, si c'était pour se vautrer dans le simplisme avec une intrigue politico-financière à peine digne d'un mauvais Grisham (avec bien sûr l'homme politique de droite dans le rôle du super-méchant totalement dépourvu de nuances), et le didactisme avec un plaidoyer pro-maintien du Juge d'instruction du niveau d'un exposé de TPE ?...


Ce qui nous amène logiquement à l'ultime question : était-il bien nécessaire de nous servir en parallèle une énième histoire de serial-killer, dépourvue comme on pouvait le craindre de la moindre valeur ajoutée et donnant l'impression que les scénaristes ont un cahier des charges à honorer (nombre et rythme des victimes, dont les découvertes sont affreusement prévisibles, fausses pistes évidentes pour le spectateur et visant juste à retarder l'arrestation du coupable... etc.) ? Chaque fois que la narration s'aventure dans ce replis de l'intrigue, on commence à bâiller, surtout dans la première moitié de la saison (la suite heureusement évite de basculer dans un mauvais épisode de La Fureur dans le sang... mais plus grâce à la prestation flippante de Misha Arias de la Cantolla que grâce aux scénaristes eux-mêmes). Transparaît alors un défaut inhérent à la série, mais qu'on avait tendance à ne pas trop voir jusqu'alors : elle a une fâcheuse tendance à bouffer à tous les râteliers, picorant chez The Shield, 24 ou d'autres, certes en développant en parallèle son propre style (notamment visuel), mais sans vraiment révolutionner les genres auxquels elle s'attèle. Canal + aura beau nous vendre du "attention les amis, on est quasiment chez HBO", la supercherie est transparente lorsque dans un accès de transgression qui n'effraiera guère que la ménagère habituée aux Experts, l'équipe de l'attachante Capitaine Bertaud se pique de truquer des preuves et nous joue un mauvais remake de la Strike Team.

Le constat est sévère, mais après tout cette année, tout le monde l'a dit, Engrenages entrait dans la cour des grands. On n'est pas responsable des effets d'annonce ; on est juste là pour compter les points. En plaçant la barre à ce niveau, la chaîne et une partie de la critique nous ont quasiment forcé à juger sur pièce, à l'aune de tous ces modèles crânement revendiqués. Cela passe aussi, et c'est heureux, par quelques formidables moments : depuis son premier épisode, la doyenne des dramas de Canal + est un feuilleton particulière intense, à l'atmosphère poisseuse et au casting impeccable. Elle l'est toujours, pour notre plus grand plaisir. Elle se paie même le luxe de sortir des sentiers battus de la fiction française en s'intéressant à la thématique de la filiation, plutôt chère aux Américains. Le problème étant peut-être justement qu'à force de répéter qu'Engrenages ne ressemblait à rien de ce que l'on avait pu voir en France jusqu'à elle, ses auteurs ont fini par oublier qu'elle avait encore beaucoup à apprendre des ses consœurs britanniques et américaines. Il était sans doute un peu tôt pour se reposer sur ses fragiles lauriers, quand en parallèle la concurrence hexagonale (secondes saisons de Reporters et d'Un village français, débuts tonitruants de Pigalle la nuit) n'en finissait plus de surprendre.


Engrenages (saison 3)
créée par Alexandra Clert et Guy-Patrick Sainderichin
Canal +, 2010

17 commentaires:

  1. Alors en gros les remarques me paraissent justes. Je trouve seulement la note finale un peu sévère. 3/6, c'est dur quand même. Tu as mis 4 à des trucs moins biens...

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  2. Alors, je n'ai pas vu les premières saisons - je n'ai pas vu beaucoup de séries tout court -, mais je ne peux pas dire que j'aie été enthousiasmé par Engrenages, saison 3. Pas mal, mais il y a beaucoup de lourdeurs dans la narration, des choses déconcertantes (le dernier épisode, c'est une invraisemblance/minute). Et, comme vous l'écrivez, le monologue sur la sauvegarde du juge d'instruction, est risible, moins pour ce qu'il dit, que parce qu'il est très mal amené, et ne sert à rien, sinon souligner ce que la série a déjà montré, toute la saison.

    BBB.

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  3. j'explique aussi ta sévérité par le niveau tellement impressionnant de la saison 2,
    je mettrais celle-ci au même niveau que la 1e,

    ce qui se passe autour du procureur pierre clément est excellent, et le personnage de laure berthaud (notamment mais pas seulement ses relations avec gillou) est un des plus denses et intéressants que j'ai vu à la télé.
    l'intrigue et surtout le rythme ont effectivement pâti du passage de 8 à 12 épisodes, qui était un challenge narratif colossal, et il y a un tunnel au 2e tiers de la saison, vers les 6-7-8 ça s'enlise un peu.

    les personnages secondaires sont toujours aussi soignés, et ça c'est aussi une grande force, de toute façon les personnages et leurs interprètes sont l'atout principal de la série, avec l'ambiance de vomi dans lequel on aurait marché.
    Les prostituées, en particulier la chtimi, le procureur général machart, l'ado en perdition, la voisine du cabinet d'avocats, Jesus, tous ces personnages secondaires sont remarquables.
    La multiplication des enjeux et tensions, généralement dans des jeux de miroir, est aussi de très haut niveau, c'est vraiment dans la manière dont l'intrigue est nourrie, de l'action elle-même, que cette saison ne remplit pas toutes ses promesses.

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  4. Je pense qu'avec l'article + les coms d'Arbobo et BBB. je n'ai plus rien à ajouter ;)

    La saison 2 était exceptionnelle avec un deux fois moins de budget et de battage. C'est vrai qu'après on était en droit d'attendre mieux, que la série progresse encore or là, sur certains aspects et notamment la mécanique du récit, c'est exactement le contraire.

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  5. Lil' >>> je n'ai pas le sentiment d'être si sévère que ça. L'ossature d'une bonne série c'est personnages + intrigues + rythme. Là clairement, il y a au moins deux de ces trois aspects essentiels où ça pèche.

    BBB. >>> oui, j'ai souri aussi... et pour les invraisemblances vous avez raison, la fin en est bourrée. Ils filent le mec, pouf ! ils perdent le signal... aux alentours de la Porte de Clignancourt, endroit où il n'y a pas grand-chose (comme chacun sait). Et malgré ça bing ! ils prennent la bonne sortie, la bonne direction et tombent direct sur le bon entrepôt ! Si 12 épisodes ne suffisent pas à éviter ce genre de fin en queue de poisson, à quoi la prolongation servait-elle ?...

    Arbobo >>> d'ailleurs j'ai lu que tout récemment, Canal a décidé de ne commander que 10 épisodes pour la saison 4, au lieu des 12 prévus. Comme quoi on n'est pas les seuls à avoir été dubitatifs par rapport à cette nouvelle construction...

    Serious >>> et tu as raison de parler du battage, il a sans doute joué aussi dans la "sévérité"...

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  6. Mon unique point d'accord est que cela a été survendu. Sinon c'est pas mieux, c'est pas moins bien, c'est toujours classe.

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  7. oh my! hystériquement ravie de voir que nous avions encore une série en commun, j'ai lâché la lecture de ton papier au mot "amer". Je n'ai pas vu la saison 3, je ne veux pas de goût amer, je veux l'aimer... allez, j'y crois!

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  8. je regrette en effet que l'on ne nous montre pas plus la conséquence pour Pierre de son passage "de l'autre côté".
    Pour le reste, même si j'ai noté ces longueurs et ces invraisemblances, la qualité de l'interprétation (Bertaud, Ronaldo, Roban, Gillou) rachète pour moi pas mal de défauts. Certes, il y a certains aspects qui sont caricaturaux, mais je ne me suis pas ennuyée une minute, les personnages sont intéressants (sauf peut-être Joséphine dont décidément les scénaristes n'ont pas envie qu'elle évolue).
    bref, j'ai adoré, une fois de plus.

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  9. Ah au fait, j'aime bien ton nouveau chez toi. Même si le rouge, est un peu trop "intense" je trouve.

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  10. A propos de Pierre, ce que je regrette surtout c'est qu'on lui inflige en fin de saison une intrigue perso totalement plate et convenue...

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  11. Oh et puis, @Juliette dont j'avais manqué le commentaire : on a tout de même FNL en commun... ça crée des liens :D

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  12. Malheureusement, je suis assez d'accord. Cela dit "Engrenages" ne sera jamais pire que d'autres ("Braquo", au hasard).

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  13. Article sanglant à venir, d'ailleurs...

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  14. J'imagine que tout dépend où l'on situe la difficulté...

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  15. pas d'article sur breaking bad ici?
    non mais à chaud du finale c'est terrible d'attendre jusqu'à demain!!!!

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  16. Oh là non... je suis très en retard sur Breaking Bad (et sur d'autres aussi). Mais de toute façon j'imagine que dès demain sur Le Monde des séries il y aura un article, puisque c'est devenu une catégorie à part entière :-)

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