mardi 25 mai 2010

Les Ciseaux vont par paires

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Augusten Burroughs, on imagine très bien ses copains lui dire : "Waouh la vache ! Ta vie c'est un roman ! Un super film hollywoodien !". Pour lui, ce sera d'ailleurs les deux, mais il est vrai que cela s'y prêtait : jeune garçon flanqué d'un père absent et d'une mère mi-dépressive mi-chtarbée le voici, à peine pubère, confié aux bons soins du psy cette dernière - individu totalement illuminé lisant les commandements divins dans son caca et prêchant la liberté totale pour ses enfants. Lesquels sont, je vous le donne en mile : totalement allumés et dysfonctionnels. Faut dire que se nourrir de croquettes pour animaux n'aide pas trop à l'épanouissement du cerveau.

Burroughs nous raconte, dans un style assez académique mais plutôt enlevé, cette histoire larger than life, aussi hilarante qu'affreuse lorsque l'on y pense. Il ne faisait nul doute qu'un tel récit intéresserait Hollywood, qui s'en est effectivement emparé par la main de l'inénarrable Ryan Murphy, connu pour être le créateur totalement déjanté de Nip/Tuck (et plus récemment de la friandise nommée Glee, dont nous reparlerons sous peu). On n'en est pas vraiment surpris tant les points communs entre Burroughs et Murphy sont innombrables : tous deux sont des homosexuels militants, l'un et l'autre ont une approche très désinvolte de leur art, chacun est passé maître dans l'art de naviguer dans des eaux sordides le sourire aux lèvres. Il est tellement évident que Murphy s'est totalement projeté dans la vie d'Augusten Burroughs qu'on n'est absolument pas étonné de découvrir un film touchant, très malin en plus d'être sévèrement allumé.

Là où le bât blesse, c'est que le film manque parfois un peu de finesse. Normal me direz-vous : c'est Ryan Murphy. Certes. Mais ici plus qu'ailleurs, sa désinvolture dessert le propos. Burroughs, lui, ne manquait rien de la complexité de ses personnages, les rendait bizarrement attachants, croquait avec humour les ambiguïtés de son propre rapport à ceux qui furent, bon an mal an, sa famille. L'image est moins forte que la plume pour ce genre de chose - c'est d'autant plus vrai lorsque le cinéaste en question n'est pas spécialement connu pour sa délicatesse. Passe encore que certains personnages disparaissent ou que d'autres voient leur rôle réduit à la portion congrue - c'est le jeu de l'adaptation cinématographique. Il est plutôt ennuyeux que sous l'œil pourtant plein de bonne volonté de Murphy, les Finch ne soient plus que des freaks dont le spectateur ne saisit rien de la profonde humanité qui traverse le roman. Idem pour l'aspect satirique, très marqué chez Burroughs : au-delà du récit d'une adolescence hallucinante, Running with Scissors, le livre, est aussi la critique féroce de l'éducation post-hippie, soi-disant libératrice et qui détruisit tant de gamins dont les parents étaient bercés de grandes théories pseudo-libertaires. En cela il rejoint des thèmes chers à toute une génération d'auteurs nés durant la seconde moitié des sixties, de Dennis Lehane à James Flint en passant par Toby Litt. Une génération dont fait partie Ryan Murphy, qui a d'ailleurs largement évoqué cette thématique dans Nip/Tuck (notamment via le personnage de Vanessa Redgrave, psy allumée et allumeuse sinon clairement inspirée du Dr Finch de Burroughs - ce genre de personnage pullulait dans les milieux américains arty de l'époque - du moins se situant dans la même lignée). Or de cela, il n'est guère question dans le film. Les sentiments ambivalents d'Augusten face à son effrayante liberté, la joie de vivre... tout le positif a été balayé du film pour ne garder que la noirceur et la bizarrerie.

Cela n'en reste pas moins un métrage tout à fait regardable et recommandable ; on ne saura trop cependant conseiller de jeter un œil au roman de Burroughs en premier lieu. Si le premier est une curiosité d'ailleurs directement sortie en vidéo par chez nous (ce qui est assez aberrant compte-tenu de son casting), le second est un ouvrage touchant, singulier, dont l'histoire, une fois n'est pas coutume, transcende largement les quelques faiblesses stylistiques. Mais quelle histoire, aussi...


Running with Scissors [Courir avec des ciseaux], roman d'Augusten Burroughs (2002)


Running with Scissors, film de Ryan Murphy, avec Joseph Cross, Anette Bening, Brian Cox, Evan Rachel Wood, Gwyneth Paltrow, Joseph Fiennes & Alec Baldwin (2006)



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8 commentaires:

  1. Je ne connais absolument pas, mais c'est plutôt tentant...

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  2. Au moins cela vous tente un peu...

    Non parce que bon... un commentaire, quoi. Après on va me dire "oui alors quand même, y a moins d'articles littéraires qu'avant, sur Le Golb". Tu m'étonnes, John :-(

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  3. Je te remercie d'évoquer cet auteur qui mériterait vraiment d'être plus connu en France. Et encore, ce n'est que son premier ouvrage, mais la suite est encore meilleure.

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  4. Et merci de prendre la peine de témoigner un vague intérêt à cet article :-)

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  5. Ok, allons-y pour les commentaires.

    Alors je n'ai pas lu le livre (mais il est sur ma Lal) et je n'ai pas vu le film (je ne savais même pas qu'il existait).

    Ne me remercie pas;-)

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  6. Je confirme que c'est un très beau roman. Film beaucoup moins bon. La suite est beaucoup mieux !

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  7. J'avais envie de te complimenter sur le billet et de dire que ça faisait un moment que je voulais découvrir ce livre, mais comme ça n'apportait rien, je me suis dispensée... jusqu'à ce que je vois ta déception. J'apprécie beaucoup tes articles littéraires (je les lis systématiquement, et attentivement), mais j'imagine que s'ils génèrent moins de commentaires, c'est peut-être parce que soit on n'a pas lu le livre en question et donc à part te dire que tu nous as convaincus de l'acheter on n'a pas forcément grand-chose à ajouter, soit on l'a lu et on n'a pas toujours le courage de faire un commentaire un peu élaboré.
    Oui bon, je sens bien que je ne t'ai pas réconforté, là. Désolée, je suis HS.

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  8. Non, tu ne me réconfortes pas vraiment... mais c'est gentil d'avoir essayé ^^

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