jeudi 5 mars 2009

Daniel Pennac - "Ca fait du bruit, une pensée..."

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Sans doute tout a-t-il été dit à propos de Chagrin d'école, dernier ouvrage d'un Daniel Pennac qu'on a connu plus gai et moins sérieux. De son passé de cancre (cette solitude), de la manière dont il s'en est sorti, de la manière dont il pense aujourd'hui que l'on peut en sortir les gosses... oui, tout a été dit ou presque, on en a tellement lu sur le sujet qu'il serait facile de croire de prime abord qu'il n'est plus besoin de lire l'essai de Pennac pour savoir ce qu'il contient - de critiques en analyses et de dossiers en interviews son sujet a été éparpillé à longueur de pages plus savantes les unes que les autres... et qui surement ne rendaient pas toutes hommage à la qualité rigoureusement littéraire d'un livre particulièrement fin et fort, multiple, tout en nuances.

C'est que Daniel Pennac occupe depuis longtemps une place à part au pays des hérauts de l'Ecole de la République, une place enviable et assurément louable ; outre qu'on lui doit d'avoir permis à un nombre considérable de jeunes gens - dont votre serviteur - de sortir de l'ornière des lectures - imposées - qui - font - bailler, ses positions ni vraiment légitimistes ni jamais complètement démagogiques lui valent d'occuper un juste-milieu salubre... quitte à parfois être taxé d'un consensualisme avec lequel il ne se compromet pourtant que rarement. Il n'en fallait pas plus pour faire de lui une star sur la planète souvent acide des enseignants, mais là encore on aurait tort de ne voir dans son Chagrin d'école qu'un livre de prof pour les profs - c'est beaucoup plus fort que cela : un livre d'élève (mauvais de surcroît) devenu prof. Pennac n'a jamais oublié l'élève, le cancre qu'il a été et sur lequel il s'est en grande partie construit... pas plus qu'il ne manque aujourd'hui de le relativiser grâce au recul et au discernement offerts par la suite par sa formation professionnelle. C'est ce qui fait tout le sel de son livre : un côté cul entre deux chaises finalement très représentatif de l'œuvre de Pennac dans son ensemble, qu'il s'agisse de ses romans à succès, de ses livres jeunesse ou de textes plus pointus comme l'essentiel Comme un roman.

Aussi pour Chagrin d'école a-t-il décidé, plutôt que de choisir un parti-pris, de tous les adopter simultanément. Un essai ? Oui, sans doute, en cela qu'il propose nombre de réflexions sérieuses sur des sujets aussi sérieux que l'enseignement (of course), l'intégration ou le malaise social. Mais aussi un roman (car cela s'avale comme tel) truculent et enlevé, souvent à mourir de rire, et trop bien écrit pour n'être qu'un vulgaire document. Et encore une autobiographie, au long de laquelle l'auteur ne cache pas grand-chose de blessures jusqu'ici secrètes, et qui éclaire d'un jour nouveau son travail et son éternel désir de rédiger des ouvrages accessibles sans jamais nuire à l'intelligence du propos. Il y a vraiment tout, dans Chagrin d'école, ce qui l'ouvre de fait à tous les publics ; en voilà une performance que de pouvoir à la fois remporter l'adhésion des profs et celles des élèves les plus traumatisés par l'école. En voilà une manière élégante, sans pathos et sans nostalgie réactionnaire, d'évoquer l'école d'hier pour éclairer celle d'aujourd'hui (et de donner par ailleurs une image autrement plus sympathique et émouvante de cette école d'hier que les clichés rétrogrades véhiculés par les médias et les interviews de Finkielkraut !). Qu'il traite de l'autisme volontaire du cancre en déroute scolaire ou du regard de ses parents, qu'il évoque ses conneries de jeunesse (qui sembleront sans doute un rien aujourd'hui mais qui à l'époque auraient pu faire de lui un quasi-délinquant !) ou ses bravades d'adulte enseignant, l'espoir suscité par la main tendue par un vieux prof... Pennac fait mouche à tous les coups, émeut autant qu'il fait rire, et se livre du reste dans un style plus épuré qu'à l'accoutumée qui ne pourra que convaincre les réfractaires à ses romans.

Je le reconnais sans honte : j'ai souvent ronchonné après lui, conscient de ce que je lui devais mais n'éprouvant plus, à présent adulte, qu'un sentiment de rejet pour des romans pour lesquels je commençais à me trouver trop vieux et trop cultivé. Je reconnais donc avec tout aussi peu de honte qu'ici, au gré de cet ouvrage lumineux, il a quasiment tout bon. Une excellente surprise, qui en effet valait bien un prix, quelques applaudissements et un joli consensus.


👍👍👍 Chagrin d'école 
Daniel Pennac | Gallimard, 2007

4 commentaires:

  1. Certes, tout a été dit, mais rarement si bien...
    Drôle de coïncidence, un ami m'a prêté ce livre hier. Voilà qui me donne envie de le commencer encore plus rapidement !

    Ingannmic

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  2. Ah, tu me donnes envie de le lire, tiens! Je n'ai pas un très bon souvenir de "comme un roman", que j'avais trouvé unpeu facile et démagogique. Mais bon, j'étais jeune et prétentieuse... il faudrait sans doute le relire!

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  3. La démagogie, en même temps, c'est assez relatif. "Comme un roman" c'est un peu "le pouvoir au lecteur"... Rousseau ne disait pas autre chose.

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