mardi 11 novembre 2008

Meet Momogégé

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Henri Queffélec, le papa de Yann, ne pouvait le prévoir, mais il fut un précurseur.

Dans les années 90, en effet, s'est produit un phénomène littéraire encore inexpliqué à ce jour : ils s'appelaient Darrieussecq, Houellebecq, Ravalec... ils étaient la caste des écrivains en "EC", les dignes héritiers de Henri, prêts à tout ou presque pour défier le redoutable clan des écrivains en "VY" (on ne citera pas leurs noms, hein, il y en a trop).

Entre nous, il est tout de même étonnant qu'aucun journaliste crétin n'ait fait de ces hasards des parutions littéraires un mouvement. Je dis étonnant - je veux dire : révoltant. Heureusement, pour remédier à cette absence de bêtise, je suis là !

Donc au sein de ce mouvement des auteurs en "EC" on trouvait le petit Dantec, qui avait un prénom étrange : Mauricegé. Assez vite rebaptisé Maurice G. Dantec, il se dépêcha d'aller sur tous les plateaux télé pour déverser toute sa haine du monde en général et de la société occidentale en particulier. Car en effet, Maurice G. est un rebelle. Un vrai. Beaucoup de signes vont dans ce sens, notamment le fait qu'on ait toujours pas découvert la moindre photo laissant entendre qu'il ait pu sourire un jour. Sans oublier cette preuve irréfutable : quand il était jeune, il a été le leader d'Artefact, le groupe punk français le plus radical (et le plus pitoyable *) qu'on ait vu à ce jour. Malin, Maumaugégé se reconvertit dans la littérature. Son ami et ancien professeur Jean-Bernard Pouy lui dit un jour :

"Tiens, Maumaugégé, dessine-moi un mouton !
- Aime po les moutons. Trop naze.
- Bon alors écris-moi un thriller.
- Ok, chiche !"

Ainsi, en 1993, Maumaugégé publie-t-il La Sirène rouge, remarquable thriller qui va lui valoir d'entrée de jeu le prestigieux Trophée 813 du Roman Policier (je dis prestigieux parce que je trouve le nom joli, en fait je ne le connais pas). Mais notre rebelle, lui, le polar, il s'en balance. Il préfère aller jeter un œil à la guerre en Bosnie et se rêve en combattant héroïque, songeant même se convertir à l'Islam (rétrospectivement, ça ne manque pas de sel). On imagine sans peine le bonheur éprouvé par le peuple bosniaque tout entier à l'annonce de cette possible conversion . Des scènes de liesse ont lieu à Sarajevo, et Milosevic, apprenant que Maumaugégé était du côté de l'opprimé, prend peur. C'est d'ailleurs à cette époque que Peter Handke lui a affiché son soutien ! Pas du tout parce que le grand écrivain autrichien avait des opinions sujettes à caution et avait envie de justifier l'injustifiable... mais bien pour des raisons purement littéraires. Il fallait au moins un Peter Handke pour faire aussi peur qu'un Maurice G. Dantec ! On pourrait même considérer que l'œuvre de Dantec est l'antithèse absolue de l'œuvre de Handke **... Quand on pense que l'histoire (qui est écrite par une classe dominante qui veut nous manipuler, bien sûr) n'a pas retenu le combat de titans de ces deux grands auteurs engagés (qui finiront du reste du même côté)...

Voilà pour la période "je suis de gauche". Après, Maumaugégé va devenir de droite, car il est connu que pour être un écrivain rebelle vraiment cool, en France, il faut être de droite, si possible bien dure et réac. Et à chaque roman il sera un peu plus de droite. Bientôt, on ne pourra même plus parler d'extrême droite, il faudra créer une frange politique qui soit à l'extrême droite de l'extrême droite exprès pour lui.

Mais pour l'heure, ça ne se ressent pas encore dans son œuvre littéraire, qu'il affine dès 1995 avec Les Racines du Mal, roman SF largement inspiré par ce qu'il a pu voir en Bosnie, qui va le catapulter au rang de superstar. En fait, un truc plus malin que vraiment génial, où il s'illustre principalement par ses talents pour pomper tout et n'importe quoi sans avoir l'air d'y toucher. Suit la nouvelle Là où tombent les anges, du même tonneau, et les lecteurs n'ont désormais plus de doute : Maurice G. aurait préféré s'appeler Philip K.

Dantec est alors au top de sa crédibilité : encensé ou détesté, il ne laisse personne indifférent et acquiert une notoriété de rockstar. De jeunes écrivains se réclament de lui, et il collabore personnellement à l'écriture de l'excellent album Utopia du non moins excellent groupe No One Is Innocent (qu'on pourra difficilement soupçonner d'être un repère de skins). Cette seconde période de l’œuvre dantequienne va trouver son apogée avec Babylon Babies (1999) qui fait figure de classique du genre quasiment dès sa sortie. Roman cyberpunk ultraviolent et trop grave à donf politisé, il explose les ventes et attise toutes les convoitises. Matthieu Kassovitz, notamment, promet de l'adapter au cinéma quasiment depuis ce jour là, il se prostitue même pour ça puisque c'est uniquement dans la perspective d'avoir un budget décent pour ce mega projet qu'il a tourné les pathétiques œuvres de commande que sont Les Rivières pourpres et le kitchissime Gothika. Pas sûr que le livre méritait de s'inflinger un tel supplice, mais allons - ne soyons pas taquins.

Bref ! Maumaugégé est en train de prendre une toute autre dimension, il est traduit dans le monde entier, et il finit par fuir les paillettes en émigrant au Canada. C'est notre petite vengeance à nous, les français : les Québécois nous ont infligés Céline Dion ; nous on leur a balancé Dantec . Dans les milieux autorisés, on en rit encore.

Commence alors la troisième période dantequienne, celle où on ne rigole plus et où on fricote avec la droite tellement dure que dessus, tu te casses les dents. Les deux pamphlets Manuel de survie en territoire-zéro (2000) et Laboratoire de catastrophe générale (2001) sont fort diversement appréciés par ceux qui parviennent à les comprendre, fort heureusement largement minoritaires. On commence à se demander où Maumaugégé veut en venir ...certains de ses fans de la première heure (car à propos d'un auteur aussi controversé on ne parle pas de lecteurs, mais bel et bien de fans) trouvent qu'il y va un peu fort. La plupart, cependant, pensent qu'il s'agit avant tout de provocation. Las ! en 2003, Périphériques, recueil d'essais à la limite du lisible, et Villa Vortex, roman que personne à part Dantec n'a jamais compris, viennent confirmer toutes les craintes. Pour beaucoup, Maumaugégé a grillé un fusible. Lorsque paraissent l'année suivante des articles traitant de l'islamisation de l'Europe sur le site du Bloc Identitaire (le nom vous donne une idée de ce dont il s'agit), la plaisanterie a tourné court. Qu'il s'agisse une fois de plus de provoc ou bien de conviction réelle, tout le monde s'en fout. Son livre suivant, Cosmos Incorporated (2005) , va être totalement boycotté par la presse française, et même ceux qui l'ont défendu durant plus d'une décennie (votre serviteur en tête, faut-il le préciser ?) ont quitté le navire lorsqu'il a commencé à militer pour le rétablissement de la peine de mort au Canada. Son troisième essai, American Black Box, a été repoussé aux calendes grecques avant de finalement sortir en catimini en 2007.

Et la littérature, dans tout ça ? C'est tout le problème : Maumaugégé semble de moins en moins la pratiquer, ce qui est tout de même un peu ballot vu qu'il était surtout doué pour ça. Il aurait depuis publié Grande jonction, la suite de Cosmos Incorporated, mais comme personne ne l'a lu et que quasiment tout le monde s'en fout, on ne sait pas trop ce que ça vaut. Même commentaire pour son dernier livre en date, une œuvre à vocation comique qu'on s'en veut d'avoir loupé... mais si : ça s'appelait Artefact...


* ne soyons pas mesquins, les combos punk-hardcore français de l'époque l'étaient presque tous
** ok, j'en fais des tonnes... mais le pire, c'est que ce n'est pas même si idiot que ça !

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