lundi 23 juin 2008

Sebadoh - Esthète de nœud

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Nous étions jeunes et rebelles et on portrait des jeans déchirés et des chemises à carreaux. On avait bien entendu les cheveux gras, et on aimait Dinosaur Jr, Pavement, Guided By Voices et... Sebadoh, évidemment. Sebadoh plus que tout, en fait, parce que c'était le plus rock du lot, le plus nerveux, le plus abrasif. C'était aussi le plus grunge, au sens littéral du terme - le plus sale. Rétrospectivement, ç'avait sans doute sa petite importance.

Se repasser Bubble & Scrape quinze ans plus tard a quelque chose d'assez perturbant, quelque part entre la madeleine de Proust et le voyage dans le temps. Sauf à être un incurable nostalgique de la belle époque alternative, difficile de crier au génie à l'écoute d'un album affreusement brouillon et dont les dissonances, si séduisantes en 1993, apparaissent aujourd'hui un tantinet désuètes. Et, en tout cas, particulièrement soûlantes. Au plus fort de l'éphémère vague lo-fi, Sebadoh était considéré par les gens cultivés comme le groupe le plus passionnant de son temps - autant vous dire qu'en 2008 on n'arrive même plus vraiment à en sourire. Quelle surprise que Pavement ait traversé les époques, et aucun autre de ses collègues d'alors. Ah ça, le patron de Sebadoh, Lou Barlow, était effectivement le compositeur le plus prolifique de sa génération. Personne n'a eu de cesse de le répéter à loisir à chaque nouvelle parution du collectif. Comme si la quantité avait jamais fait la qualité... pourtant il n'aura échappé à personne que Frank Black a écrit plus de chansons que la plupart des grands songwriters 70's qu'il adore...

Lou Barlow, c'est un peu pareil. Sauf qu'il écrivait quand même plus souvent des arrangements que des chansons, et qu'il les aimait les plus moches possibles. Ses arrangements... et ses chansons. Si vous vous êtes toujours demandés ce que signifiait l'adjectif dissonnant on vous conseillera de vous jeter sur l'œuvre de Lou Barjot, c'est à peu près la seule utilité qu'on puisse encore lui trouver aujourd'hui. Pour être tout à fait exact ses disques sont une espèce d'ode ultime à la laideur absolue. Sans doute lui a-t-on dit un jour que le rock'n'roll ne devait pas être aimable, et sans doute qu'il a pris la phrase au pied de la lettre. Résultat le refrain de « Flood » n'évoque pas grand chose d'autre qu'un type en train de vomir. Et lorsque Barlow la joue romantique sur « Happily Divided » on s'interroge : y-a-t-il plus de chances de croiser dans sa vie un alien ou bien une fan féminine de Sebadoh ? Quand son collègue de Pavement, Stephen Malkmus, écrivait des choses sublimes comme « Elevate Me Later », Barlow rédigeait sur un coin de table des trucs aussi passionnants que « No Way Out » (genre de love-song pour grille-pains dépressifs), chantait comme un Jean-Louis Aubert apoplectique (la bien nommée « Fantastic Disaster ») et réussissait la performance de publier tous les deux ans un album plus laid que le précédent. De ce point de vue au moins Bubble & Scrape, qui fit exploser Sebadoh à l'échelle planétaire (principalement chez les étudiants de Terminale L option "arts plastiques", soit), enfonce royalement son prédécesseur, le déjà bien peu supportable III. Il réussit en plus la prouesse de bien se vendre, enfin prouesse, c'est vite dit : pour avoir appartenu à l'un des plus grands groupes de tous les temps (Dinosaur Jr, au sein duquel il n'a du reste rien composé de mémorable - deux chansons en trois albums... pas de quoi se la raconter) Lou Barlow bénéficiera sans doute éternellement d'un capital sympathie inversement proportionnel à la qualité de ses compositions. L'honnêteté oblige à reconnaître que son jeu de basse est grandiose, cela suffisait-il pour autant à en faire une icône ? La question demeure posée et s'avère d'autant plus gênante que quinze ans plus tard, Barlow demeure une référence pour un nombre incommensurable de gens se croyant sincèrement des esthètes sans savoir qu'ils ne sont que de pathétiques petits snobs accordant un crédit démesuré à n'importe quel guignol intello vendant moins de cent mille exemplaires. Parce que si certains disques peuvent prêter à la controverse, si certaines œuvres peuvent éventuellement prêter à débat... on conviendra qu'il faut quand même des dispositions auditives tout à fait spécifiques pour trouver quelque chose comme « Elixir Is Zog » agréable à écouter !

Heureusement nous vivons dans un monde raisonnable : en 2008 plus personne n'aurait l'idée de se réclamer de Sebadoh ou de de s'inspirer du ridicule gimmick introductif d' « Emma Get Wilde ». Barlow lui-même, qui sans doute culpabilisait un peu à force, a fini par prendre la saine initiative de redevenir le bassiste de Dinosaur Jr - on ne l'a jamais trouvé aussi sympathique que sur Beyond l'an passé (sans doute parce qu'il n'en signait qu'un seul titre ? Le plus mauvais, en plus - et ce n'est même pas de la mauvaise foi).

Alors pourquoi rééditer aujourd'hui Bubble & Scrape et ainsi raviver les vieilles blessures ? La réponse est évidente, limpide, il suffit de s'arrêter sur les titres (plus grotesques les uns que les autres) des morceaux : Barlow milite pour le sado-masochisme auditif. A peine nous étions-nous réconciliés qu'il a fallu qu'il remette ça, avec du rab en plus : cette nouvelle édition est dix fois plus longue (donc dix fois plus excitante ?) que la première. Or donc à part un masochiste qui aurait envie aujourd'hui d'écouter le même album pourri de 1993 agrémenté de seize titres supplémentaires, principalement des démos... à moins que justement le but secret de cette réédition soit de mettre fin au suspens : non, les chanson de Sebadoh n'étaient pas déjà des démos. Cette rumeur odieuse n'était propagée que par des fans de Pavement voulant asseoir la popularité de Stephen Malkmus (gagné). Les chansons de Sebadoh étaient travaillées et achevées. La preuve : la version démo de « Telecosmic Alchemy » est bel et bien encore plus inaudible que l'originale. La vérité est enfin rétablie. Mais avions-nous vraiment envie de la connaître ?...


👎👎 Bubble & Scrape 
Sebadoh | Sub Pop, 1993
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