mardi 17 juin 2008

Noir Désir - Le Texte & Le Paratexte

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Ce devait être une double chronique, consacrée aux deux lives de Noir Désir. Deux albums intéressants captant un même groupe à deux époques de sa vie, le genre d'exercice totalement sans intérêt avec certains et tout à fait palpitant avec d'autres. En public n'a même pas atteint la platine. Balayé par Dies Irae cet album parfait, passé relativement inaperçu à sa sortie et devenu au fil des années l'un des rares véritables classiques du rock français.

C'est que Noir Désir, qui n'a pas publié que des chefs-d'œuvre (loin de là), n'a peut-être jamais été aussi grand que sur ce double live dont le seul véritable défaut est un son un peu brouillon par moment, une voix trop mixée en retrait (la grosse faiblesse - ou timidité peut-être - du Noir Désir première manière... ce qui les amènera à faire exactement l'inverse à partir de 666.667 Club). A tous les autres points de vue, Dies Irae est un sommet. Leur meilleur disque ? On serait en droit de le penser, même si Tostaky restera sans doute éternellement dans l'imaginaire collectif comme le plus grand disque du rock français de tous les temps TM. Il le vaut sans doute, mais quiconque a déjà vu le groupe sur scène sait ce curieux paradoxe : tout ambitieux qu'il puisse être en studio Noir Désir ne prend sa réelle dimension que sur scène (ce qui n'est pas peu dire au regard de la qualité des ses albums).


Alors donc : Dies Irae. Et lui seul. En public est excellent ; il n'est pas magistral. Trop expérimental. Trop réfléchi peut-être. Ou trop adulte - tout simplement. A l'image de l'album qu'il soutenait, ce Des visages Des figures ambitieux, captivant... mais rarement poignant, plus douloureux qu'émouvant. Finalement avare en grandes chansons, en hymnes (non : « Le Vent nous portera » n'est pas un hymne, c'est un tube - rien à voir). Pas de « Tostaky » du point de vue strictement musical - soit. Mais pas plus du point de vue symbolique. Pas d' « Ecorchés ». Ni d' « Ici Paris ». Aucun titre capable de s'arracher à l'album pour fusionner avec son époque, traumatiser une génération pour finalement des années après, en d'autres lieux et auprès d'autres gens, vous arracher le frisson que vous arrache aujourd'hui encore qui le riff de « Tostaky », qui le swing de « Marlène », qui le break d' « A l'arrière des taxis ». Comme si Noir Désir, en devenant le meilleur groupe français du monde, avait bizarrement cessé d'être un groupe essentiel (l'inverse de Pearl Jam, en fait). La preuve ? En 2003 beaucoup ont pensé qu'on ne pourrait jamais se passer de Noir Désir. Que le manque allait être intenable. Cinq ans plus tard y-a-t-il tant de gens qui souffrent de ce manque ? Oui, sans doute. Du point de vue éthique, politique voire sociologique. Mais du point de vue musical... ? Le rock français a été décapité, il a perdu son icône. C'est de ça qu'il manque. Pas de groupes talentueux, pas de disques ambitieux. Juste de charisme. De mythe. De paratexte. Preuve en est que quand Serge Teyssot-Gay publie On croit qu'on en sorti, album supérieur en tout point aux deux derniers Noir Désir... tout le monde s'en fout et personne ne l'achète. Un mauvais single solo de Keith Richards attire plus la sympathie.

Dies Irae, c'est cela : le texte et le paratexte. Le vestige d'une époque où même les mauvaises chansons de Noir Désir étaient grandioses. En 1989 « La Chaleur » n'était la chanson préférée de personne. En 2008 son intro pyromane vous fait tourner la tête. Tiens donc.

Et ainsi revient-on à la musique (en espérant ne plus devoir la quitter).

Le temps de ce double album on oubliera tous les griefs faits à Noir Désir par quelques puristes un brin frustrés (pléonasme) les procès en gunclubisation excessive (Ciel ! quelle horreur d'avoir le Gun Club comme influence... et dites-moi : sans Noir Désir, combien de gens de ma génération auraient même entendu parler de Jeffrey Lee Pierce ? Déjà que la plupart des gens de sa génération à lui ignoraient son existence...). On se laissera porter par la rythmique martiale de « One Trip / One Noise ». On se rappellera que Sergio est un guitariste immense, que la section rythmique est renversante (c'est le cas de le dire - Cf. « En route pour la joie » ou « A l'arrière des taxis »). On réalisera (peut-être un peu tard) tout ce qu'on aimait tant sur Veuillez rendre l'âme... et Tostaky et tout ce qu'on ne retrouvait déjà plus sur 666.667 Club, ce rock viscéral, urgent. Ce romantisme rugueux. « Here It Comes Slowly » ? Mon œil ! « La Rage », plutôt. Mais pas que ; le groove, aussi (« Ici Paris »). Le blues rugueux (« Le Fleuve ») et l'incandescence (« It spurts »), l'ironie la plus mordante (« The Holy Economic War ») et la désolation (« Sober Song »). Oui, la reprise de « Long Time Man » est meilleure que la version de Nick Cave. Sur Dies Irae les élèves dépassent les maîtres, Cantat n'est pas habité comme Nicholas Edward - il est possédé. Si le rock'n'roll est censé être la musique du Diable, celle qui transpire le danger... alors Noir Désir n'a été rock'n'roll que sur ce double live. Où il fait réellement peur, où « Tostaky » gronde, où « Les Écorchés » sentent le soufre et où « Oublié » se tord, vicieuse - menaçante. Est-ce si étonnant ? Dies Irae a beau signifier Jours de colère... ça n'en est pas moins le chant des morts.


👑 Dies Irae 
Noir Désir | Barclay, 1994