lundi 30 juin 2008

Jonas - Once But Never Again

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« Je m'appelle Jonas Carex. J'ai cinquante ans. Je suis divorcé d'une femme intelligente, fille de médecin, qui s'est remariée avec un médecin. Tout est bien. J'ai deux fils, un ingénieur et un chercheur en biologie. Ils sont heureux et beaux. Tout est encore mieux. Je ne les vois plus. »

Sur ces paroles faussement candides et profondément désabusées s'ouvre l'un des livres les plus étranges de Jacques Chessex, longue errance nostalgique d'un homme au bout du rouleau dans la ville de sa jeunesse - Fribourg. Jonas y a connu le bonheur, la gloire, l'amour. Trois décennies plus tard il y retourne, marchand rêvant de créer l'art plutôt que de le vendre, écrivain raté n'écrivant de toute façon plus. Que recherche t'il en revenant si longtemps après dans la ville de ses débuts, amoureux et littéraires ? Une forme de renaissance, sans doute. Mais il n'y trouvera que l'alcool, la solitude... et son propre fantôme.

Le prénom du héros n'est évidemment pas un hasard : le Jonas de Chessex est bien entendu une variation (habile) sur le mythe biblique ; si la manière dont le fils d'Amittaï est avalé par la baleine est connue, l'imaginaire collectif a tendance à occulter le fait qu'après cela Jonas ère dans le ventre-matrice de l'animal - et c'est à cette errance que fait écho celle de Jonas Carex. Qui va d'ailleurs jusqu'à qualifier Fribourg de « ville-matrice ».

De là à considérer Jonas comme une métaphore biblique filée sur deux cents pages il y a une marge que l'on franchira toutefois pas. Jonas est avant tout l'autoportrait d'un homme en fin de vie, désarmé, incapable de faire face tant au monde qui l'entoure qu'à son monde intérieur. Rarement un livre aura semblé si désolé et rarement un auteur aura projetté une image si fidèle de la déchéance : épave pensante, Jonas n'est à la hauteur de rien, pas même de lui-même, et se contente de traîner ses guètres de bar en bar et de corps en fantasme. Pas une seconde il n'entreverra l'ombre d'une délivrance, l'illusion d'une rédemption. Son avenir étant prisonnier de son passé, à quoi bon garder l'espoir ? Au moins la baleine avait-elle eu la gentillesse de recracher l'autre Jonas. Celui-ci a tout autant le mauvais œil, mais il ne parviendra jamais à s'échapper de la matrice - au terme du récit elle et lui ne forment plus qu'une seule et même entité. L'image est belle ; le livre désolant.


👍 Jonas 
Jacques Chessex | Grasset, 1987