jeudi 19 juin 2008

C'est quand même weezer

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Rien à dire, rien à faire : le cas weezer ne semble décidément pas près d’être élucidé. Chaque fois que l’on croit comprendre son étrange leader, Rivers Cuomo, il parvient malgré tout à surprendre, à désarçonner. Deux pseudos séparations, des périodes d’hyperactivité suivies de longs silences, un album solo annoncé pendant des mois et finalement réduit à une vague compile de démos… Cuomo prend un plaisir manifeste à ne jamais être là où l’attendent ses fans, honorant sa réputation d’être un dangereux malade sous couvert de faire sautiller les teenagers du monde entier. Quinze ans que ça dure cette année. Et ce n’est a priori pas près de s’arrêter. Bien au contraire : à quelques jours de ses trente-huit ans, Cuomo vient peut-être de publier son disque le plus singulier à ce jour. Et il est probable que cette fois-ci, nous ne soyons pas bien nombreux à le défendre.

En effet comme tout disque singulier qui se respecte, The Red Album a l’apparence d’un ratage complet. La première écoute se révèle même carrément déprimante – sinon juste soûlante. Autant que l’amateur s’y prépare à l’avance : il n’aura sans doute aucune envie d’y revenir. Plus que décevant, ce sixième opus semblera de prime abord lent, lisse, dépourvu de mélodies vraiment marquantes et qui plus est totalement décousu. Seules deux chansons se dégageront très nettement du lot : "Troublemaker", intro pétaradante et tube probable ; "Pork & Beans", premier single aussi efficace que prévisible (de la mélodie aux arrangements en passant par les paroles, tout semble fait pour donner l’impression qu’il s’agit d’une face B. du Blue Album – cultissime première œuvre de weezer). Le reste ? Quel reste ? Après deux ou trois écoutes, on n’en aura pas retenu beaucoup plus tant la suite paraîtra monotone et indigne du plus grand orchestre power-pop de sa génération. Il faudra y revenir, pour le principe. Parce que c’est quand même weezer…


Il se passe pourtant avec ce Red Album, sur le long terme, ce qui ne s’était jamais produit avec son prédécesseur (Make Believe, il y a trois ans, si inspide que tout le monde l’a déjà oublié) : il se révèle au fil des écoutes. Sans doute pas de là à prétendre au statut de chef-d’œuvre que la presse américaine lui accorde déjà de manière incompréhensible, mais suffisamment pour que l’on s’y arrête malgré tout. Il se dévoile en creux, d’abord comme une musique de fond agréable, puis comme un disque pas si mou qu’il y paraît au premier coup d’oreille… et au final après quelques jours l’auditeur le plus sceptique n’aura d’autre solution que de se rendre à l’évidence : il le connaît par cœur et le sifflote avec plaisir. Logique : c’est quand même weezer ! Le principal paradoxe du Red Album étant de sembler à la fois totalement prévisible et complètement inattendu ; beaucoup trop weezerien par instants ("Dreamin’" frôle l’auto-parodie) et franchement pas assez à d’autres moments – au point que sur certains titres on peine à croire que c’est des auteurs de "Buddy Holly" qu’il s’agit. Ici un morceau fusion particulièrement efficace ("Everybody Gets Dangerous", qui rappellera étrangement aux auditeurs français d’excellents souvenirs de F.F.F. ou Silmarils), là une ballade en apesanteur noyée sous les effets ("The Angel & The One"), là encore une délicatesse acoustique et presque lounge (la langoureuse "Hearts Song")…

On se rend compte alors que ce qui perturbe surtout sur ce disque… c’est le son, particulièrement radiomical et assez peu en phase avec le côté relativement fouillé du répertoire. On en sourirait presque : weezer n’a jamais été un groupe aux productions rugueuses (mis à part sur le chef-d’œuvre Pinkerton), loin s’en faut. Mais celle du Red Album est si léchée qu’elle en devient dérangeante, gâchant le plaisir (réel) procuré par des compositions au final bien plus ambitieuses que par le passé ("The Greatest Man that Ever Lives" ; le décontracté "Thought I Knew"). Un défaut strictement sonique qui gâchait déjà passablement les meilleurs passages de Make Believe et suscite bien des questions à propos d’un groupe qui au gré d’un trio de premiers albums parfaits s’est (justement) imposé comme l’un des rares à pouvoirs concilier sans rougir exigences artistiques et commerciales.

Pas de quoi crier haro sur le baudet, soit. Mais pour la première fois depuis quinze ans on s’inquiète tout de même un peu de savoir où va Rivers Cuomo. Aurait-il définitivement vendu son âme au teenager américain ? Seul au monde capable de glisser un semblant d’âme dans la mélodie radiophonique la plus éculée, personnage mystérieux s’amusant toujours à glisser une ligne de refrain perverse ou un couplet vicieux au milieu de sa popinette… Cuomo semble avoir voulu cette fois-ci pousser l’ambigüité jusqu’à son paroxysme, quitte à sonner Red Hot par moments, quitte à ne plus jouer cette musique gentiment foldingue qui, autrefois, assurait avec brio le lien entre les Beachs Boys, les Ramones et les Pixies.

Seule certitude pour l’heure : The Red Album est un bon disque. Qui déroute, agace parfois, mais jamais ne laisse indifférent. Prises individuellement certaines chansons sont imparables ("Troublemaker", "Thought I Knew") ; et si l’ensemble boitille parfois, il ne mérite clairement pas la volée de bois vert qu’il essuie, en France, depuis sa sortie. Parce que… oui : parce que c’est quand même weezer.


👍 The Red Album 
weezer | Geffen, 2008