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Il paraît que l'autocitation c'est le commencement de la fin. Je me vois donc dans l'obligation de vous signifier que Le Golb devrait fermer ses portes très prochainement. Puisque c'est en m'auto-citant que je vais commencer cette chronique :
« ...quand un Pratchett évolue clairement dans le domaine de la parodie un Gaiman s'adonne à l'art nettement plus subtil du décalage. Ici il joue si bien de l'alternance premier/second degré que je n'arrive pas à déterminer si ces facilités narratives sont volontaires ou non. »
Tous ceux qui ont une bonne mémoire auront reconnu la conclusion d'une précédente chronique dédiée à Neil Gaiman, et plus précisément à son roman Neverwhere. A ce propos, j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c'est que j'ai enfin fini par trancher la question. La mauvaise, c'est que la réponse n'est pas très sympa pour Neil Gaiman : cet auteur incontestablement talentueux est juste incapable de construire une intrigue solide au-delà de trois cents pages.
Neverwhere et Stardust n'étaient pas exempts de défauts, mais l'imaginaire était séduisant, la fantaisie prenante, on passait un bon moment en leur compagnie. Un peu comme face à un très bon film de pur divertissement, on pouvait dire à la fin de la séance : Je ne me suis pas ennuyé une seule seconde ! Dans Anansi Boys on s'ennuie dès la première page, c'est d'autant plus mauvais signe qu'il en compte quatre-cent-cinquante. Son pitch tout d'abord (j'utilise cet horrible terme cinématrographico - branchouille volontairement) est aussi enthousiasmant sur le papier qu'encombrant dans les faits : Gaiman se propose de nous raconter l'histoire de Fat Charlie, brave gars qui n'a pas du tout de chance puisque son père n'est autre que le Dieu Araignée - Anansi himself. Un sacré fouteur de merde, blagueur invétéré qui a littéralement traumatisé son fils durant l'adolescence, à tel point que ce dernier appréhende terriblement de devoir le revoir à l'occasion de son mariage. La seule idée de voir débarquer le déjanté Anansi est hilarante... sauf que c'est tout sauf drôle. C'est à dire qu'avant même qu'il arrive, bien entendu, le lecteur va être mis en condition via un flashback sensé illustrer le genre de bonhomme que c'est - notre dieu araignée. Or le sketch (le mot est de rigueur) narré est si lourd et si peu inventif qu'à peine dix pages après avoir commencé on se met nous aussi à appréhender les retrouvailles de Fat Charlie avec son père !
Inutile de se faire se faux espoir : durant toute la durée du livre on sera dans le même registre. Soit donc une succession décousue de sketches presque toujours ratés, à tel point qu'arrivé à la moitié on se demande si on est réellement en train de lire du Neil Gaiman ou bien s'il s'agit d'une espèce de clone fadouille de Terry Pratchett. Le fait est qu'on ne retrouve rien ici de ce qui faisait le charme de Neverwhere ou Stardust. L'imaginaire débridé de Gaiman semble dans ce livre incroyablement étriqué, son humour ailleurs si séduisant et mordant verse dans un consensualisme inhabituel... ce qui ne change pas, en revanche, c'est son incapacité à rythmer une narration et à avancer dans l'intrigue sans donner l'impression d'enchaîner les figures imposées. On se sent du coup floué par un roman non seulement trop long mais surtout un peu trop lisse et finalement terriblement politiquement correct - un comble venant d'un sale gosse comme Neil Gaiman. Le plus dérangeant demeurant cette impression diffuse (mais impossible à évacuer) qu'il s'en va chasser sur les terres de son copain Pratchett, en essayant d'injecter dans son délire un côté fable morale... sans jamais hélas en effleurer la maestria.
👎 Anansi Boys
Neil Gaiman | William Morrow & Comany, 2005