lundi 26 mai 2008

Air - Moi aussi, un jour, je serai beau comme un Dieu...

...
C'était il y a dix ans, je m'en souviens encore.
 
Mon cousin était venu dormir à la maison et le matin, lorsqu'on avait allumé la télé, nous étions tombé sur « Sexy Boy ». On avait écarquillé les yeux. Le clip était génial, la musique tripante à souhait. Je nous revois en train de nous demander si c'était de l'art ou du cochon, un trip conceptuel génial ou juste une merde de plus destinée à passer en rotation lourde sur M6 pour finalement disparaître.

Dix ans plus tard je ne suis pas persuadé d'être parvenu à trancher. J'ai écouté Moon Safari chaque matin durant un an. Entre 1998 et 2000 il a assurément été mon album préféré de tous les temps. Mais Air, en revanche, est devenu le groupe décevant par excellence, et à présent que Pocket Symphony (auréolé d'une grandiose 117ème place au Classement des blogueurs 2007) les a assis sur un trône de médiocrité musicale comme on en a pas beaucoup vu dans l'histoire de la pop... la tendance a assez peu de chances de s'inverser subitement. Proche de l'absolue perfection dès le premier album, la musique du duo versaillais n'a fait qu'irrémédiablement décliner depuis dix ans, à tel point que cette réédition en grande pompe de Moon Safari s'avère finalement plus triste que festive - un constat d'échec. Ni plus ni moins.
 
D'aucuns opposeront sans doute qu'à tout prendre Air se sera montré moins décevant que la plupart de ses camarades de la french touch (rien que d'écrire le mot on a l'impression d'un voyage dans le temps... quelle époque, tout de même, et bravo aux médias d'avoir réussi à faire gober à la France entière qu'il s'agissait d'un courant musical révolutionnaire unanimement acclamé dans le monde... un rapide détour par l'Angleterre de l'époque suffisant à prouver ce qu'on soupçonnait déjà, à savoir que la french touch personne n'en avait jamais entendu parler à part quelques journalistes et tout le monde s'en foutait). C'est vrai... et c'est faux. Car justement : si Air a déçu, c'est parce qu'il était bien moins médiocre que tous les autres. Proportionnellement aux attentes qu'ils ont suscitées, Godin et Dunckel ont été infiniment plus décevants que (au hasard) Daft Punk. Parce qu'ils auraient dû être NOTRE grand groupe à nous, français. Et l'ont été, d'ailleurs - le temps d'un album et d'une B.O. magistrale (The Virgin Suicides).
 
Il n'empêche que l'écoute de cette réédition laisse un goût amer tant Moon Safari aura été une merveille classée sans suite. Non pas tant en matière de son (par bien des aspects il s'agit de l'album le plus classique de la scène française de l'époque, bien moins révolutionnaire dans le fond qu'un Homework) qu'en matière de ton, d'esthétique, de puissance émotionnelle. Rien là-dedans qui n'ai déjà été dit ou fait par Gainsbourg, par Bowie ou par les Beach Boys. Mais plus que n'importe quel autre groupe Air sut digérer et lessiver ces influences pour créer quelque chose. Pour écrire ce qu'on a cru un temps être la musique de demain. D'où l'immanquable désillusion qui suivit : nous sommes demain, et force est de reconnaître que le principal apport d'Air à l'histoire de la musique fut de populariser le vocoder auprès d'une cohorte de cloportes sans envergure (par pudeur on ne les nommera pas).
 
Et pourtant ! Une demi-seconde de « La Femme d'argent » suffit à faire replonger l'auditeur le plus exigeant dans un voyage musical fascinant, une odyssée pop au sens le plus littéral du mot : populaire. Moon Safari, c'est l'underground qui explose à grande échelle, qui se substitue au mainstream le temps d'un disque et laisse l'espoir fou qu'un jour, peut-être, la musique la plus belle règnera sur les charts. Un rêve que tous les amoureux de musique ont déjà fait, qui s'ensuit presque toujours d'un réveil douloureux mais n'en demeure pas moins essentiel à la pérennité de leur passion. De ma mère à ma grand-mère en passant par Simone, mon ancienne voisine fan de Céline Dion... personne n'a su rester insensible devant l'hymne insouciant « Kelly Watch the Stars », les invitations aux rêves de « Ce matin-là » ou de « New Star in the Sky », la béatitude soul de « You Make it Easy »...
 
...et dix ans plus tard voilà que tout cela rejaillit le temps d'une réédition. Qui n'apporte rien au schmilblick (à l'exception de la version électrique déjantée de « Kelly... » tous les remixes offerts sur le second cd sont absolument dispensables) mais ravive cette idée joyeusement utopiste d'une œuvre simple et universelle, légère et émouvante, qui saurait fédérer les publics au-delà des castes, des classes sociales et des querelles de chapelles. Comme Pet Sounds avant lui, Moon Safari a rendu cela possible, à un moment M. qui semble aujourd'hui bien loin de nous. Souvenez-vous, c'était la fin d'un siècle... la gauche était au pouvoir dans toute l'Europe, on parlait de réduire le temps de travail et on légalisait les unions homosexuelles, on râlait quand même un peu pour la forme mais finalement... est-ce que la vie était si moche ? Quand on se repasse « Sexy Boy » aujourd'hui... on en doute. On l'ignorait encore, mais le pire était devant nous. 


👑 Moon Safari 
Air | Source/Virgin, 1998