mardi 22 avril 2008

Sacré Dennis Lehane !

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Inutile de tourner deux heures autour du pot : Sacred ne vaut pas les deux précédents volets de la série Kenzie-Genaro - le grandiose A Drink Before the War et le chef-d'œuvre Darkness, Take My Hand . Tout le monde vous le dira, et mieux encore : tout le monde aura raison de vous le dire. Est-il mauvais pour autant ? Point du tout, chers lecteurs - point du tout. Il est surtout assez différent. Voire carrément déstabilisant au départ.
 
Dès les premières pages, en fait, le fan de la série est complètement pris à revers : Patrick et Angie sont carrément kidnappés par un milliardaire souhaitant les embaucher ! Lequel milliardaire a tout pour lui puisqu'en plus d'être veuf et condamné à plus ou moins court terme sa fille a disparu, et le détective la recherchant aussi. Que vont donc faire Patrick et Angie ? Enquêter, mazette ! Après avoir ronchonné pour la forme (c'est quoi ces manières, vraiment - enlever les gens comme ça pour les convaincre de bosser pour vous ?... (N'importe quoi !) ils vont démêler les fils tout blancs d'une intrigue déconcertante de facilité (au point que quiconque pourvu d'un minimum de neurones parviendra à deviner la fin avec au moins cinquante pages d'avance), casser quelques gueules histoire de répondre aux quotas (oui : il y a des quotas de cassages de gueules dans tous les polars US), s'opposer aux puissants - bref : la routine.
 
Vous me direz que je ne le raconte pas sérieusement mais c'est parce que justement Sacred n'est pas du tout un livre sérieux. Après deux romans incroyables de noirceur et d'intensité, Lehane semble avoir voulu se détendre, jouer un peu avec les caractères de ses deux héros et livrer une intrigue ressemblant beaucoup plus à un pastiche de cette littérature hardboiled qu'il aime tant qu'à un roman de Dennis Lehane tel qu'on l'imagine. Pour vous dire : il y a même des moments franchement burlesques - oui oui... vous avez bien lu. Le lecteur attentif soupçonnait d'ailleurs déjà Lehane d'aimer l'humour noir et l'ironie la plus cruelle (Cf. le début complètement décalé de Darkness, Take My Hand ou certains dialogues particulièrement enlevés dans Shutter Island ). Avec Sacred , il explore à fond cette autre facette de son talent, moins poétique parce que moins crépusculaire et moins évidente parce que beaucoup plus codifiée (il est probable qu'un lecteur n'ayant jamais ouvert un bouquin de Chandler ou de Spillane n'y verrait qu'un polar moyen, d'autant plus décevant qu'il viendrait d'un grand écrivain)... mais plutôt séduisante - à condition bien sûr de ne pas attendre de Sacred les émotions fortes (sinon insoutenables) provoquées par un Darkness....
 
En somme un Lehane mineur (situé d'ailleurs à part de la série Kenzie - Genaro dans les bios anglo-saxonnes) qu'on conseillera sans doute de lire après tous les autres... mais qui reste néanmoins réussi.


👍 Sacred 
Dennis Lehane | Riverhead Books, 1997