jeudi 24 avril 2008

Francis Dannemark - Les Faits

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Francis Dannemark est un auteur singulier qui vient de publier un livre pour le moins... comment dire ? Singulier ? Disons plutôt déroutant. Captivant mais particulièrement ardu à pénétrer. Une de ces œuvres qu'on aime parce qu'elles ne font rien pour être aimables. De celles exigeant autant du lecteur qu'il en exige d'elles. Le genre d'ouvrage sur lequel il faut s'attarder. Se décourager parfois, pour mieux y revenir, essayer encore - jusqu'à ce qu'il accepte de se livrer. On en croise de moins en moins, des comme ça - et plus tellement en littérature. Difficile de dire si c'est un mal pour un bien. Le fait est que Le Grand Jardin n'est assurément pas un livre pour les gens comme moi - qui lisent à deux cents à l'heure et n'ont qu'une hâte une fois le livre refermé : en commencer un autre. En ces temps de zapping (même littéraire, oui), qu'un livre comme celui-là existe a quelque de chose de miraculeux. Qu'il se vende par palettes serait sans doute mieux mais bon... il faut savoir se satisfaire de peu.

L'histoire est aussi difficile à raconter qu'elle coule de source lorsqu'on la suit : Florent et Paul sont frères, jumeaux mais faux (ç'a sa petite importance), pareils mais différents. Adultes déjà, quoique pas tout à fait finis, il se sont construits contre une histoire familiale impossible, par-delà les blessures de la guerre et les douleurs enfouies. C'est l'histoire de cette famille que raconte ce roman, véritable fresque en clair-obscur, œuvre romanesque considérable à la construction tout à la fois complexe et limpide. L'écriture est sobre, désincarnée parfois, si rêche qu'elle peine à remporter l'adhésion. Mais le parti pris fonctionne - puisqu'il sert remarquablement le propos. Le style factuel souligne délicatement les faits, suggère plutôt que d'imposer - quelque part entre le Philip Roth de The Facts et le Robbe-Grillet de « La Jalousie ».

On aurait tort, pourtant, de s'arrêter à cela : car ce roman étrange est mené de main de maître, conduisant lentement mais sûrement ses héros vers la lumière. Sous ses airs inabordables, Le Grand Jardin n'est finalement que cela : un roman d'apprentissage, une simple histoire d'hommes mise en scène avec une étonnante sophistication. Trop ? Peut-être. On aurait aimé par moment - surtout vers la fin - que l'écriture se libère pour laisser échapper l'émotion. Faute de mieux elle reste sous-tendue, planquée entre les lignes d'un Francis Dannemark qui semble bien loin de Qu'il pleuve.

Elle n'en est pas moins là.


👍 Le Grand Jardin 
Francis Dannemark | Robert Laffont, 2007