mardi 15 avril 2008

Hole - Tenue de soirée

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Comment différencie t'on un authentique artiste d'un habile faiseur ? En matière de musique, c'est assez simple : l'authentique artiste a la plupart du temps dans ses bagages de grandes reprises et de grandes faces B.

On peut penser tout le mal qu'on veut de Courtney Love, de sa vie comme de son œuvre. Personne ne s'en prive jamais. Il n'empêche que n'importe qui étant capable d'aligner deux reprises aussi magistrales que celles figurant sur ce disque, « Season of the Witch » (de Donovan) et « He Hit Me (and It Felt Like a Kiss) » (des antiques Crystals), mérite un tant soit peu de respect.

Le MTV Unplugged de Hole n'a jamais été publié de manière officielle. A vrai dire quand on l'entend on se demande franchement pourquoi. Transition parfaite entre le classique Live Through This et le mésestimé Celibrity Skin, ce concert ferait le bonheur de n'importe quel grunger repenti. Mieux : c'est probablement l'un des meilleurs de la série de showcases (parfois insupportables) initiée par MTV dans les années 90.

Enregistré un an après celui de Nirvana et six mois avant celui d'Alice In Chains, il raccorde de manière troublante Courtney Love à une scène grunge dont on lui interdit plus ou moins longtemps l'entrée (moins on s'en doute parce qu'elle venait de Los Angeles que parce qu'elle ne plaisait pas trop au petit milieu de Seattle). C'est même sans doute le disque le plus grunge qui ait jamais été (non) publié avec le Jar of Flies des susnommés Alice. Chez Hole comme chez Mudhoney ou Nirvana on retrouve cet espèce de mélange hybride et fascinant de pop, de hard-rock, de folk et de punk, mélange troublant sur disque et tout à fait probant dans cette saillie live.

Qualité et défaut de l'enregistrement : c'est un MTV Unplugged. Ce qui signifie en décodé que la prestation va être de qualité soniquement, musicalement et artistiquement parlant. Ce qui signifie aussi que le répertoire va être particulier (ou disons évènementiel) et c'est un peu plus dommageable, surtout dans le cas d'un groupe qui le cas échéant n'a jamais publié de live officiel. Le concept acoustique est souvent bien plus passionnant lorsqu'on peut lui accoler un comparatif électrique, et si l'unplugged de Nirvana a plu aussi bien au grand public qu'aux fans de la première heure c'est sûrement parce que ces derniers possédaient depuis longtemps le terrible (et quasi officiel) Live From Italia.

Reste qu'une fois passée la déception de n'entendre ici nul « Teenage Whore » et nul « Violet », l'ex-kid des années 90 (qui a priori a grandi) sera enchanté par quelques compos qui, décidément, vieillissent moins vite que lui. « Miss World » n'a pas perdu grand chose de sa superbe (et cette version braillarde lui sied bien) ; « Asking for It » (le « Come As You Are » de la Love) reste l'hymne mineur d'une génération. Surtout, « Doll Parts » est plus cinglante que jamais, cynique et vicieuse. En parlant de faces B., que dire de la rutilante « Drown Soda » sinon qu'elle en jette ? Même en acoustique, Love reste une sacrée performeuse et son groupe une machine punk redoutable. Quand la plupart de ses collègues se sont vus légèrement loukoumiser par l'exercice unplugged Hole a conservé une hargne salutaire, et « Best Sunday Dress », rareté plus connue que certains morceaux officiels, en est un témoignage vibrant.

L'autre versant de ce disque est sans doute moins capital mais n'en demeure pas moins étonnant : plus encore que Live Throuh This, MTV Unplugged affiche une consaguinité évidente (et sans complexe) avec... Nirvana, bien sûr. Sur l'album culte précédemment nommé cela relève plus de la sensation diffuse que de la musique - comme si certains morceaux sonnaient comme des chutes d'In Utero. Ici, c'est d'autant plus flagrant que Hole interprète deux titres de Kurt Cobain - et pas des moindres. Le premier est évidemment le longtemps mythique « You Know You're Right »... vous savez ? Le fameux inédit dévoilé en 2002 sur le best of - au final une chanson moyenne. Sauf que ça, c'était la version Nirvana. Aussi étonnant que cela puisse paraître (quoique pas tant que ça quand on connaît le génie de Love pour avoir du succès avec les idées des autres) la version Hole est dix, quinze, vingt fois supérieure aux deux éditions cobainiennes (celle de Nirvana et celle du seul Cobain figurant sur le coffret). Ceux qui connaissaient la reprise de Hole ont d'ailleurs souffert le martyr lorsque l'originale a été publiée - ils fantasmaient encore plus que les autres.

Le second morceau est celui de la discorde : il s'agit du fameux « Old Age », face-B du simple Beautiful Son d'abord publiée par Hole, puis par Nirvana et dont la paternité fut à l'époque réclamée par tout le monde (enfin sauf Kurt Cobain - excusé pour cause de suicide). Il était si hautement improbable pour les journalistes que Cobain ait repris un morceau de sa gourde d'épouse que la plupart ont opté pour le cadeau fait à l'être aimé. Pourtant l'hypothèse que les deux l'aient écrite ensemble (défendue par... moi seul, en fait) est sans doute la plus probante, la plus acceptable, la plus nette. Car « Old Age », à plus forte raison sur ce live, sonne bel et bien comme du Hole. Aucun doute là-dessus. C'est peut-être même le meilleur morceau de Hole (c'est aussi du reste l'un des meilleurs morceaux de Nirvana). Ses paroles sont superbes, la voix de Courtney Love est hantée, l'atmosphère dépouillée...

...rien que pour ce titre et la sensationnelle reprise de « Season of the Witch » cet enregistrement est plus que recommandable. Comme en plus il ne contient que d'excellents morceaux livrés au cours d'une prestation de haute tenue... il méritait qu'on s'y attarde. Car s'il était paru officiellement, il aurait très bien pu connaître le même destin que l'unplugged de Nirvana - et convertir au groupe mal aimé certains de ses plus farouches détracteurs.


👍👍👍 MTV Unplugged (ou un autre titre qui vous fera plaisir)
Hole | Bootleg, 1995