jeudi 17 avril 2008

C'est Djian et c'est tout.

[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - N°13]  
Échine - Philippe Djian (1988)

« Alors c'est celui-là... ton Philippe Djian préféré ?
- Eh bien oui ! Échine.
- Je l'ai lu il y a quelques années.
- Et tu as aimé ?
- Oui, plutôt.
- Cool. »

Elle a gardé le silence une seconde. Et moi, pour une fois, j'ai essayé de ne pas monopoliser ce silence.

« Mais... pourquoi c'est ton préféré ?
- Comment ça pourquoi ?
- Pourquoi celui-ci spécialement ? Il est très bon, je suis d'accord. Mais Zone érogène aussi. Lent dehors aussi. Ils sont presque tous très bons, et en plus ils se ressemblent. Alors pourquoi Échine ?
- Euh... bah... comment dire?... disons que c'est celui qui me parle le plus.
- C'est tout ?
- Non non, c'est pas tout... c'est aussi celui qui me semble le plus équilibré, le plus cohérent... le plus achevé parmi tous ceux que Djian a publié dans les années 80. Comme si Zone Érogène et les autres avaient été des genre de brouillon de celui-là...
- Ah ?
- ... enfin je ne sais pas... en le relisant j'ai eu la sensation que cette année-là, Djian a publié le livre qu'il cherchait à écrire depuis ses débuts.
- Ce qui expliquerait que dans tous ses premiers livres on ait parfois une impression de redite ?
- Ce qui expliquerait surtout qu'après Échines son œuvre prenne une toute autre direction !
- Moui.
- Quoi ?
- J'avoue que j'ai toujours un peu du mal quand tu emploies le mot œuvre à propos de Djian.
- Tu dirais quoi, toi ?
- Je sais pas... bibliographie...
- C'est pareil.
- Non, c'est pas pareil. Œuvre pour moi ça désigne quelque chose de précis... une bibliographie - ok - mais avec une espèce de cohérence grandiose... ce n'est pas du tout ce qui me vient quand je pense à Philippe Djian.
- Et pourtant... il y a une vraie cohérence dans son œuvre.
- Ah ah.
- Je pense surtout que tu prends des gants parce qu'il est français, vivant et très connu.
- Peut-être... enfin je ne confonds pas non plus Djian et Marc Levy ! N'exagère pas.
- Je n'exagère pas du tout. »

...ai-je dit de manière juste un tout petit peu pompeuse (restons raisonnables).

« Quand l'auteur est français, vivant, connu... on a toujours un peu peur de dire : c'est un grand écrivain. Reconnais-le ! Peur de dire une grosse bêtise...
- ... oui, c'est sûr qu'on prend moins de risque en disant Proust est un grand écrivain...
- ... et pourtant je t'assure que même si je me gourre en disant ça il y a très peu de chances pour que je sois encore là pour me payer la honte dans un siècle - quand ma boulette aura été démontrée par l'épreuve du temps et que Djian aura été oublié par tout le monde.
- Tu crois vraiment qu'on va oublier Djian ? Y a quand même eu le film, tout ça...
- Tu connais beaucoup de gens qui ont lu Cela s'appelle l'Aurore ?
- C'est quoi ? »

On a éclaté de rire au même délicieux instant.

« Enfin bref... » a-t-elle repris, essayant d'avoir l'air à peu près sérieuse - ce qui n'est jamais simple quand nous nous retrouvons tous les deux dans la même pièce « ... de toute façon je trouve que Djian, ça soûle quand même un peu. Surtout cette période-là. Toutes ces histoires d'écrivains losers... pff... ça se revendique de Buwkoski ou de Fante mais c'est hyper français, ça. Hyper nombriliste. L'écrivain qui n'arrive pas à écrire son livre et qui décide d'écrire un livre sur l'écrivain qui n'arrive pas à écrire son livre...t 'auras toujours quelqu'un pour dire que c'est une remarquable allégorie de l'humanité mais ça reste un peu chiant pour ceux que ça n'intéresse pas.
- J'en conviens. Enfin Djian n'est pas Angot, quand même. Ok dans ses bouquins des années quatre-vingt on a toujours l'écrivain raté qui sert de narrateur... mais je trouve quand même qu'il nous guide vers autre chose. Chez lui il y a une humanité, une poésie... dans Échines, les rapports du père avec son fils - par exemple... c'est très fort. Les histoires d'amours foireuses, les amitiés indéfectibles... ce n'est pas du nombrilisme tout ça. Ecrivain... c'est juste le filtre par lequel le narrateur voit le monde. Je crois... »

Silence songeur. Puis :

« Thomas ?
- Oui ?...
- Pourquoi on a toujours ce genre de discussion à chaque fois qu'on se voit ?
- J'en sais rien... parce qu'on ne peut jamais les avoir avec d'autres ? »

Il m'a semblé que son sourire me disait oui. Fieffé menteur.



Trois autres livres pour découvrir Philippe Djian :

Maudit manège (1986)
Lent dehors (1991)
Impuretés (2005)