vendredi 7 mars 2008

Unbelievable Truth - Broken Promise

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1998/99 est restée une période assez amusante dans mon souvenir. Une époque de dépression post-OK Computer où tous les trois mois la presse spécialisée nous sortait le Nouveau Radiohead du trimestre, ce qui permit quelques horreurs (la consécration de Travis), des emballements qui laissent a posteriori perplexe tant ils semblent loin de l’univers de Thom Yorke (Addict, Arid, June Panic), une ou deux vraies révélations boostées à tort ou à raison par la vague (Muse bien sûr… et surtout Venus), ainsi que quelques douceurs prématurément rangées au rayon des souvenirs. C’est dans cette catégorie qu’on retrouve les remarquables Stony Sleep, dont le Slack Romance restera éternellement sans suite tandis que ses membres se sont éparpillés dans une kyrielle de groupes (du discret et attachant Serafin en passant par le lourdingue Razorlight). Et c’est évidemment la catégorie, dans un tout autre genre, où se trouve désormais rangé Unbelievable Truth. Groupe réellement doué pour qui le terme paradoxe semble avoir été inventé.
 
Car il y a bien sûr une ironie du sort certaine dans le fait de se retrouver catapulté sur le devant de la scène quand quelques mois avant on ne voulait pas faire carrière dans la musique – comme c’était le cas d’Andy Yorke. Ex-étudiant en art surdoué devenu dilettante professionnel, le jeune homme alors âgé de vingt-six ans avait passé jusque là le plus clair de sa vie à changer de voie, écrivain, traducteur, en France, en Russie… il avait toutes les peines du monde à savoir ce qu’il allait faire de sa vie et l’on devine à demi-mot lorsqu’on lit ses (rares) interviews que toute carrière musicale lui était quasi interdite. Il faudra toute la force de persuasion de son ami Nigel Powell, batteur et véritable leader du groupe, pour le convaincre de réactiver leur projet fondé (puis rapidement abandonné, comme tous les projets d'Yorke Jr) en 1994. Un seul maxi, Building, suffira pour convaincre Virgin du potentiel du trio complété par Jason Moulster. Nouvelle ironie du sort : le premier EP d’Unbelievable Truth, sensé mettre le feu aux poudres, sortira… deux mois après OK Computer. Soit donc pile au moment où Radiohead passe du statut de groupe le plus prometteur de sa génération à celui de star mondiale. Dès lors, difficile d’assurer la promo sans être immédiatement assimilé à Thom. Éternel numéro un.

Mais le paradoxe le plus troublant à propos d’Unbelievable Truth demeure cette double casquette étonnante : tout en étant musicalement presque l’inverse de Radiohead (les mélodies sont immédiates, les constructions d’une simplicité confinant par moment au cristallin) le groupe était à la fois, parmi tous les prétendants au titre d’héritier de Radiohead, celui qui en était le plus proche… du moins dans l’esprit, le feeling, cette charge émotionnelle renversante dès l’écoute de « Who’s to Know », morceau emblématique du groupe… réduit au rang d’éternelle face B. En ce sens l’écoute à la file de ses (innombrables) EPs est pour le moins troublante : Unbelievable Truth était le prototype du combo à singles dont on était quasi sûr à l’époque qu’il n’existait plus. Cherchant plus l’immédiateté que l’architecture ambitieuse, Almost Here est dans cette lignée, album sensationnel qui dix ans après n’a fait que se bonifier.
Après une entame bondissante et totalement à contre-courant de la suite (« Solved ») on passe directement aux choses sérieuses avec « Angel », titre bateau et morceau d’une lenteur inquiétante. On monte doucement en puissance, spécialité d’Unbelievable Truth qui (c’est à la fois sa grande qualité et son énorme point faible) construit quasiment tous ses titres sur ce schéma. On commence dans le calme, ça grimpe d’un ton, l’accompagnement s’emballe… à ce petit jeu « Building » est insurpassable, ballade déchirante et sans le moindre équivalent chez Radiohead… comme chez qui que ce soit. Car Unbelievable Truth a réussi la prouesse d’être comparé à peu près à tout le monde sans jamais vraiment sonner comme quiconque.
 
Bizarrement, Almost Here illustre à merveille ce que nous disions il y a peu en parlant de littérature. D’une émotion étouffant la technique. C’est exactement de cela qu’il s’agit : il y en a un paquet, des passages poignants qu’il faut écarter avant de véritablement saisir les finesses des morceaux. « Finest Little Space » la bien nommée est l’incarnation de cette réserve, mais le plus surprenant (pour moi) demeure lié à une anecdote personnelle dont je souris encore chaque fois que j’écoute le disque : acheté en occase, mon exemplaire était rayé et grésillait au milieu de « Stone ». Concrètement cela donnait un morceau qui arrivé à mi-parcours connaissait des pics d’accélération puis des coups de freins brutaux… le pire étant que cela me paraissait tout à fait plaisant. A l’époque évidemment internet balbutiait, et moi je n’avais aucune bonne raison d’aller écouter dans une Fnac un disque que je possédais déjà (et de toute façon... je vivais à une heure de la première Fnac !). Il a donc fallu des années avant que j’entende « Stone » dans une version décente… et m’aperçoive que le morceau connaissait réellement ces pics d’accélération que j’aimais tant ! Ce qui lui faisait donc une construction similaire à celle de « Same Mistake » (la meilleure chanson du disque, rétrospectivement – pop et swing), qui s’enchaînait directement à elle (et sautait un peu au début). Et soudain ce qui n’était pour moi qu’une rayure devenait un parti pris…
 
Ne reste plus qu’à souligner l’étonnante cohésion d’un ensemble passant sans tambour ni trompette de la béatitude à la dépression, de l’onirique au rageur… c’est Nigel Powell qui produit, et son travail est des plus impressionnants de la part d’un arrangeur amateur (et d’un batteur en plus !). Il est pour beaucoup dans l’aspect évanescent des compositions, comme s’il était parvenu à trouver la formule sonique la plus complémentaire de la voix de son chanteur… comme s’il avait, même, réussi à calquer les arrangements sur le timbre d’Yorke. Etonnant, vraiment (d’autant plus que le même Nigel Powell produira un son tout à fait moche pour le second album du même groupe). C’est là qu’on apprécie vraiment l’ironie d’une comparaison abusive : tabler sur un Nouveau Radiohead était d’autant plus idiot de la part des critiques qu’à tout prendre, Pablo Honey était beaucoup moins prometteur qu’Almost Here. Du moins le premier opus du grand frère n’atteignait-il pas un tel degré d’achèvement, quant à l’aspect carte de visite inhérent à tout premier album qui se respecte… il vaut sans doute plus pour The Bends.
 
C’est dire si la suite de la carrière d’Unbelievable Truth n’aura eu de cesse de décevoir ceux qui avaient placé tant d’espoir en eux après ce premier album si réussi. Sorrythankyou, deux ans plus tard, décevra tout le monde (même le groupe). Long, mal fichu, boursouflé… on y chercha en vain la beauté limpide d’Almost Here. Et beaucoup frôlèrent la colère en découvrant que la compile de faces-B publiée en 2001 était dix fois supérieur à cet album officiel… d’un groupe déjà séparé, Andy Yorke étant reparti faire autre chose (c’était prévisible). Le live testament raviva un peu la flamme, mais l’insuccès général du groupe laissa songeur… alors Unbelievable Truth, groupe culte ? Peut-être bien. En tout cas archétype du petit groupe d'amateurs éclairés qui n’aurait jamais dû sortir du circuit indépendant (où il retourna sitôt la tournée 1998-99 terminée) et mourut au moins autant de ses propres carences que du buzz l’ayant mis en scelle. Étonnante histoire que celle-ci, en tout cas. Une histoire d’amour déçue, en fait, dont l’un des protagonistes si séduisant au moment de la rencontre s’avéra au final d’une insupportable inconséquence. Mais qu’on n'aura pas cessé d’aimer pour autant, au fond de nous.
 
La preuve : Andy Yorke vient de sortir un album solo et voilà que certains petits cœurs se remettent à vibrer. Oubliées les promesses non-tenues. Après six ans à bouquiner dans sa chambre l’ex-meilleur espoir masculin a repris sa guitare… et embauché Nigel Powell (comme producteur) et Jason Moulster (comme bassiste) ! C’est chouette : du coup Simple n’a pas été comparé à Radiohead. Mais à Unbelievable Truth. La boucle est bouclée, et nous reparlerons de ce disque prochainement.


👍👍👍 Almost Here 
Unbelievable Truth | Virgin, 1998