jeudi 6 mars 2008

Un putain d'écrivain...

[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - N°9] 
Poison Heart : Surviving the Ramones [Mort aux Ramones !]- Dee Dee Ramone (1997)

Avant d’aller plus loin, commençons par casser quelques clichés circulant à propos des Ramones, et donc par extension de Dee Dee :

- les Ramones n’ont pas inventé le punkrock ; d’ailleurs, depuis le temps, plus personne ne sait vraiment qui l’a inventé (même si une dizaine de thèses différentes circulent).

- même dire qu’ils en cristallisent toutes les obsessions et toute l’esthétique, ce serait déjà trop. Si le groupe a un morceau en commun avec Richard Hell (« Chinese Rocks »), difficile (par exemple) de retrouver chez eux le romantisme exacerbé du leader des Voidods (et théoricien du mouvement), encore moins la verve contestataire de la scène ou l'anglaise, ni l'éthique d'un Television... etc.

- les Ramones ne sont pas débiles ; ils sont candides, ça n’a rien à voir.

- leurs comptines destroy ne racontent donc pas n’importe quoi ; elles sont le fruit d’un parti pris artistique réel, simplissime soit... mais réel.

- les Ramones ont publié beaucoup de disques… dont peu sont indispensables. Peut-être même que seul It’s Alive l’est vraiment. Leurs classiques (The Ramones, The Ramones Leave Home, Rocket to Russia et Road to Ruin – tous quatre publiés entre 1976 et 1978) pouvant difficilement être considérés comme des chefs-d’œuvre au même titre qu’un Never Mind the Bollocks.

De son vrai nom Douglas Colvin, Dee Dee Ramone est né en 1952 et fut donc de 1973 (environ) à 1989 le bassiste et principal compositeur des Ramones, légendes du rock, incarnations parfaites de l’expression groupe culte – c’est à dire un groupe vendant très peu mais ayant une influence énorme sur les musiciens des générations suivantes. Aujourd’hui encore les Ramones sont partout dans le rock contemporain, ou comment un quatuor de branleurs n’ayant quasiment jamais connu le succès de leur vivant auront fini par entrer dans le Top 10 des musiciens les plus influents des trente dernières années. Un pied de nez sympathique qui n’aura cependant pas empêché le groupe de s’autodétruire à vitesse grand V. Car si sur le papier ces jusqu'au-boutistes de Ramones peuvent sembler à l’exact opposé de leurs petits frères anglais les Pistols (qui connurent la gloire dès le premier quarante-cinq tours et implosèrent moins de deux ans plus tard), restant soudés pendant plus de vingt ans et laissant derrière eux une discographie des plus conséquentes… en coulisse, le groupe fonctionnait sur un mode tout aussi autodestructeur. Les Ramones, si on osait la formule facile, sont un peu des Sex Pistols qui auraient oublié de se séparer et continué à jouer et tourner jusqu’à se désintégrer.

Après 1989 Dee Dee Ramone va, cas unique dans l'histoire du rock, continuer à composer des morceaux pour les Ramones bien que ne faisant plus officiellement partie du groupe... (c'est d'ailleurs un des principaux moteurs du livre dont nous allons parler ci-après) et publiera quelques albums sporadiques (trois si je ne m'abuse) n'ayant qu'un intérêt tout relatif. Car ce qui l'intéresse désormais, et notamment depuis qu'il est devenu ami avec Stephen King (fan des Ramones qui les cita à de nombreuses reprises et insista pour qu'ils composent la BO du film Pet Cemetary), c'est la littérature. Après avoir vainement essayé de se faire publier sous son vrai nom, Douglas va redevenir Dee Dee et entamer une carrière littéraire prometteuse qui sera hélas avortée par son décès en 2002, peu de temps après la sortie de son second livre, Chelsea Horror Hotel, dans lequel il rend un hommage goguenard aux maîtres du roman noir et du polar à l'américaine (Chandler un peu, Hamett surtout) mais dont la traduction en français ne semble pas programmée - ce qui est regrettable car ce livre est vraiment très bon.

Reste donc de lui une carrière musicale aussi copieuse que déroutante (son premier album solo était un disque de… rap ! musique qu’il considérait – à juste titre – comme l’héritière directe du punk), et une carrière littéraire étouffée dans l'œuf, réduite à deux livres dont ce fameux Surviving The Ramone

1995 : Dee Dee Ramone est au plus mal. Son second effort solo, I Hate Freaks Like You, est allé directement rejoindre les bacs à soldes alors que le dernier album en date des Ramones (qu'il a co-écrit) est un carton. Le manuscrit de son premier roman lui a été refusé. Qui plus est sa santé physique est de plus en plus déclinante, il sent qu’il n’en a plus pour très longtemps… et commence donc, plus ou moins, à prendre des notes en vue d'une éventuelle autobiographie. Mais le coup de grâce arrive en 1996 : les Ramones annoncent officiellement leur séparation et programment un grand concert à Hollywood (immortalisé sur l'album We're Outta Here) auquel est convié tout le gotha du rock d'alors. Dee Dee sera bien sûr de la fête.. .une fête, vraiment ? Après le concert, Dee Dee se rend compte que pour le grand repas d'après show réunissant toute la joyeuse bande de rockers, on ne l'a tout simplement pas compté au nombre des invités.

Ainsi s'ouvre Surving The Ramones, livre totalement culte aux USA, et de plus en plus en France depuis que Despentes en a fait une (paraît-il) excellente traduction. Sur un constat amer et désenchanté.

Alors Dee Dee décice de raconter son histoire et celle des Ramones, car il se devine condamné - même s'il évoque sa santé avec une pudeur immense - et veut le faire avant que les autres ne le fassent. Il sait qu'une fois les Ramones officiellement splités, ils (re)deviendront populaires. Et il connaît trop bien le music-business pour ignorer qu'au lendemain de sa mort programmée, les journaleux de tout poil vont y aller de leur petite biographie. Lui, il veut raconter l'histoire, la vraie, avant que les hagiographes n'encombrent les rayons des librairies. Et il ne nous épargnera rien. Sa haine pour des parents violents et méprisables, son enfance dans les rues les plus sordides de New York, sa rencontre avec Johnny Cummings, un guitariste de son âge. Les premiers groupes, les premiers shoots, les débuts dans les bars miteux.

Et puis cette idée lumineuse : prétendre que le groupe est composé d'une fratrie. Johnny Cummings devient Johnny Ramone, et Douglas Colvin devient Dee Dee. Ils sont rapidement rejoints par Joey (chant) et Tommy (batterie). Leur groupe est au complet : ils sont les frères Ramones, jouent une musique basique aux textes faussement idiots et parachèvent l'oeuvre en décidant de se fringuer tous les quatre de la même manière (façon Beatles des débuts). La mayonnaise prend. Premier contrat, premiers disques, premières tournées et premières prises de tête... là encore, Dee Dee tape direct là où ça fait mal. Il ne cache pas son mépris pour Joey, n'épargne aucun détail de la lente mais inéluctable descente aux enfers de Tommy - qui s'achèvera dans un hôpital psychiatrique. Mais Marky prend sa place, un nouveau frère, la fratrie s’agrandit... après tout, n'achèvent-ils pas tous leurs concerts par la chanson « We're a Happy Family » ?

Tu parles d'une famille heureuse... on comprend alors que toute sa vie durant, Dee Dee a tenté de recréer au sein de son groupe la famille qu'il n'a pas eu... tout ça pour sombrer totalement... dans le rien... parce que dès le début des années 80, les Ramones sont d'ores et déjà considérés comme des has-been... déjà qu'ils ne vendaient pas beaucoup de disques ! L'ambiance se fait de plus en plus tendue. Chacun se bat pour caser ses chansons sur le disque, et tous (à l'exception de Johnny , pour qui Dee Dee semble avoir conservé un certain respect) sombrent dans la dope et la folie autodestructrice... à commencer par notre auteur, qui narre (inconsciemment ?) tout le cheminement logique amenant l’homme de l’ombre d’un groupe à plaquer ce dernier pour entamer une carrière solo. Persuadé de se diluer dans un collectif ne le respectant pas, Dee Dee voit tous ses compteurs passer au rouge, invente tout et surtout n’importe quoi pour avoir l’impression d’exister. Peine perdue : le public, de plus en plus éparse, n’a d’yeux que pour la présence sauvage de Joey et la classe désinvolte de Johnny. Et lui ? Bof : c’est le bassiste. Peu importe que le son du groupe lui doive presque tout.

Jusqu'à ce jour de 1989 où l'auteur, rétamé physiquement et moralement, décide donc de s'auto-virer du groupe qu'il a créé de toutes pièces... et se rend rapidement compte que l'après Ramones risque d'être bien pire que le pendant. Qu'on lui a collé une étiquette dont il ne parviendra à se détacher (ironie du sort) qu'une fois mort. Alors il tente de survivre aux Ramones, dans un style miraculeux, bukoswkien, qui rend l'histoire captivante.

Car oui, on peut lire ce livre sans être fan des Ramones, sans les aimer voire même sans les connaître... c'est l'histoire des Ramones, mais ce pourrait être celle de n'importe quel petit groupe de losers catapulté du jour au lendemain en haut de l'affiche. Grandeur et décadence du rock’n'roll ? Même pas... juste l'histoire d'un mec finalement ordinaire, tentant de ne pas péter les plombs en voyant venir le succès, tentant de se livrer tel qu'il est. La plume de Dee Dee est acérée, rageuse, poignante. Et sa conception de la nature humaine (plutôt nihiliste on s'en doute), son recul par rapport à lui-même, son regard sur l'évolution du music-business durant les quelques vingt-cinq années où il en fit partie... tout cela revêt une dimension quasi sociale tout à fait étonnante, là où nombre d’ex rockers à sa place se seraient principalement contentés de déverser leur haine et leur rancœur sur leurs exs collègues… la mise en perspective, le style… voilà ce qui différencie un vrai livre de littérature d’une autobiographie lambda. Contrairement aux bouquins d’un Bill Wyman (autre ex-bassiste d'un groupe de légende, les Stones) ceux de Dee Dee Ramone appartiennent bien à cette littérature qu’il aime tant. Bien sûr, Dee Dee ne se souvient pas de tout, sa mémoire vacille parfois. Il y a forcément à boire et à manger, sans doute des moments où il en rajoute, sans doute noircit-il parfois le tableau... mais il y a une écriture qui est là pour faire corps avec le propos (là où les livres de Bill Wyman sur les Stones ne sont qu'une longue et fatigante succession d'anecdotes). Ce mec avait du style, comme on témoignera d’ailleurs son second livre. Et si la mort ne l'avait pas emporté si jeune (quarante-neuf ans !) il aurait fait j'en suis sûr un foutu écrivain.